L’optimisme de vendredi dernier a laissé place à la méfiance. Tant sur le fond que sur les postes-clés, symbolisés par le rôle de Premier ministre. Le MR et le PS s’affrontent ouvertement, le CD&V parle déjà d’une ‘violation des accords’. La Vivaldi démarre de manière assez chaotique. Une partition impossible?
On connait l’enjeu. Suite à l’échec de la nomination d’un formateur vendredi dernier, les deux nouveaux préformateurs – Egbert Lachaert (Open VLD) et Conner Rousseau – doivent débloquer le puzzle pour vendredi prochain, lors de leur prochaine visite chez le roi.
Deux obstacles barrent la route vers une Vivaldi. Le fond de l’accord de gouvernement et celui ou celle qui devra mener un gouvernement sans direction idéologique claire. C’est le prix à payer du compromis à la Belge: personne ne sera complètement satisfait ni totalement mécontent. Un cliché qui n’a sans doute jamais été aussi vrai aujourd’hui.
Sur l’accord de gouvernement, la volonté est de décider plus tard pour les dossiers qui fâchent: tant les dossiers éthiques, que l’institutionnel ou par exemple la sortie du nucléaire, personne ne veut fixer en détail un accord dans le marbre.
Écrire l’accord en cours de route, si cela facilite les choses au départ, fragilise la coalition par la suite. Avec un risque de lutte ouverte en cours de législature, ce qui fait toujours désordre. Néanmoins, il semble qu’un processus ait été décidé pour régler chaque dossier – notamment par la voie parlementaire (IVG) ou via des commissions (institutionnel).
Mais ce lundi, surprise, Joachim Coens (CD&V) tacle férocement la Vivaldi. Devant les caméras de ‘Terzake’, le président des démocrates-chrétiens prévient: ‘Je vais informer le bureau du parti. J’ai demandé à l’avance des garanties très claires et je ne suis pas tout à fait sûr qu’il y en ait. Pour le moment, le projet Vivaldi est sous pression. Nous avons conclu des accords la semaine dernière sur la manière dont nous voulions voir certains problèmes résolus, et je n’ai pas l’impression que ce soit le cas aujourd’hui.’
Joachim Coens devait rencontrer les deux préformateurs dans l’après-midi pour aplanir les angles. Ce qui a été fait. Une tempête dans un verre d’eau ? Apparemment, une note qui n’avait pas été mise à jour a été adressée au CD&V par erreur. Une explication un peu loufoque. Certains négociateurs pensent que la réaction du président des démocrates-chrétiens a de toute façon été exagérée. Les négociations sont le fonds ne sont pas encore entrées dans le vif du sujet.
Mais le CD&V fait face à une énorme pression de sa base (les parlementaires flamands menés par Hilde Crevits et les bourgmestres principalement) ainsi que de la N-VA et du Vlaams Belang. Ce dernier est descendu ce lundi devant le siège de CD&V pour qualifier le parti de ‘paillasson de la rue de la Loi’. Le tout a été diffusé sur les réseaux sociaux dans une vidéo théâtrale, largement inspirée par le mouvement de jeunesse identitaire Schild en Vrienden.
La question du 16: à chacun ses arguments
Tout le monde ou presque a déjà revendiqué le 16 rue de la Loi, le bureau du Premier ministre. Mis à part les écologistes et les socialistes flamands, chacun met en avant son poulain.
Alors qu’il est président de parti et toujours bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette a clairement fait savoir jeudi dernier qu’il ne refuserait pas le rôle de Premier ministre. Chaque famille politique dévoile ses arguments. Celui du PS est assez logique: le poste de Premier ministre doit revenir au premier parti de la première famille politique de la coalition: les socialistes.
Ce qu’a vivement contesté Georges-Louis Bouchez ce dimanche sur RTL TVi. Pour lui, le 16 doit revenir à Sophie Wilmès: ‘Selon moi, il y a 70% de chances que Sophie Wilmès reste Première ministre (…). Quand on voit les sondages d’opinion, elle est largement en tête du côté francophone. Ce serait bien que de temps en temps on suive ce que veut la population.’
Mais est-ce vraiment la volonté des libéraux? Ce qu’ils craignent par-dessus tout, c’est de voir leur équipe actuelle – 7 postes ministériels – décimée. Or, s’il n’y a pas de règle écrite pour décider à qui doit revenir le poste de Premier ministre, il y a la coutume. Chaque poste de ministre vaut 1,5 point, un secrétaire d’État en vaut lui 0,5. Dans ce calcul, on intègre généralement le poste de Commissaire européen (1,5 point) qui est actuellement occupé par Didier Reynders (MR), et ceux des présidents de la Chambre (Dewael, Open VLD) et du Sénat (Laruelle, MR). Le plus grand parti de la coalition possède le plus grand nombre de points jusqu’au plus petit. De manière assez surprenante, le MR demande maintenant à ce que le poste de Commissaire européen ne soit pas repris dans le calcul.
Les écologistes ont eux appuyé la candidature de Sophie Wilmès. Rajae Maouane (Ecolo), face à Pascal Vrebos ce dimanche, a reconnu que la Première ministre avait été à la hauteur durant la crise, et elle ne verrait pas d’inconvénient à ce qu’une femme garde le poste, ‘c’est mon côté féministe’, a-t-elle souri. Plus tout à fait un hasard, Kristof Calvo (Groen), numéro 2 de Groen, a également ‘apprécié le style avec lequel Sophie Wilmès a guidé notre pays à travers la crise, avec beaucoup d’empathie’.
Alexander De Croo favori?
Côté flamand, un argument plus politique est avancé: si la coalition penche du côté francophone, le rôle du Premier ministre doit revenir à un Flamand. Une sorte de signal envoyé à la Flandre, avec une N-VA et un Vlaams Belang qui n’ont pas attendu pour flinguer la coalition en préparation.
Au jeu des comparaisons, Charles Michel avait effectivement reçu le poste de Premier ministre dans un gouvernement francophone ultra-minoritaire. Mais tout était plus simple: les libéraux étaient la plus grande famille politique du pays, et une rivalité entre la N-VA et le CD&V avait fait le reste. Marianne Thyssen (CD&V) était propulsée à l’Europe, Kris Peeters (CD&V) se retrouvait du coup sur les roses.
Si le CD&V est entendu dans ses revendications, les démocrates-chrétiens demanderont-ils à tout prix le rôle de Premier ministre? Revendiquer le poste ouvertement est une manière pour eux d’obtenir certaines garanties sur d’autres dossiers. De plus, au vu de la rivalité qui oppose le MR et le PS, c’est bien l’Open VLD qui pourrait en profiter. Egbert Lachaert ne revendiquant pas le poste, Alexander De Croo est tout désigné, lui qui a été vice-premier à plusieurs reprises. Sa personnalité fait consensus, il est parfait bilingue, il est Flamand et à droite, ‘dans une coalition qui penche à gauche’, estimait Georges-Louis Bouchez dimanche.
De là découlera un calcul avec une répartition des points comme expliqué plus haut. Tout dépendra bien sûr du nombre de ministres et de secrétaires d’État. Beaucoup supposent qu’il y a aura 14 ministres, c’est-à-dire 7 ministres de chaque côté linguistique (le Premier ministre étant lui ‘neutre’). Ça veut dire que chaque parti pourrait potentiellement prétendre à un, voire deux postes ministériels.
Bref, si les discussions des derniers jours ont souvent tourné autour du ’16’, c’est bien dans le contenu que tout pourrait se décanter.
- Les socialistes tiennent à quelques mesures symboliques comme la pension à 1.500 euros ou l’investissement dans les soins de santé.
- Les écologistes se joignent à eux pour une fiscalité plus juste avec notamment une taxation sur les plus-values, et ils ne comptent pas abandonner la sortie du nucléaire pour 2025.
- Les démocrates-chrétiens veulent des garanties sur les dossiers éthiques et le volet institutionnel.
- Enfin les libéraux veulent des garanties budgétaires, même si l’Europe lâchera du leste à ce niveau pour les prochaines années. Mais les bleus veulent en tout cas éviter à tout prix une nouvelle avalanche de taxes.
7 partis, 4 familles politiques pour 4 saisons et autant d’orientations politiques, le tout sans chef d’orchestre clair. Voici la partition que les deux préformateurs devront écrire d’ici vendredi.