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L’Open Vld célèbre la fin de la concession presse, mais la N-VA pointe du doigt de nouveaux transferts nord-sud : « Qui est l’imbécile, maintenant ? »

L’Open Vld célèbre la fin de la concession presse, mais la N-VA pointe du doigt de nouveaux transferts nord-sud : « Qui est l’imbécile, maintenant ? »
Alexander De Croo (Open VLD) & Bart De Wever (N-VA) – Getty Images

Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Pour le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), il n’y a pas de doute. Du côté de l’Open Vld, les visages rayonnent de triomphe : après une bataille historique de dix ans, le controversé contrat de presse prend fin. Cependant, on reconnaît aussi qu’il en coûte un prix élevé : une extension temporaire pour Bpost, et une somme considérable de 50 millions d’euros par an , au-delà de ce qui était initialement prévu, pour distribuer des réductions fiscales aux grands éditeurs. Ces mesures compensatoires s’estomperont progressivement : elles devraient prendre fin d’ici 2027. Mais il y a un grand « mais » : le prochain gouvernement subira une pression immense pour prolonger ces mesures. Les éditeurs francophones, quant à eux, expriment leur colère : cela ne suffit pas. Pourtant, ils reçoivent la majeure partie des fonds, et l’on assiste désormais à un transfert financier manifeste du nord vers le sud. Bart De Wever, président du N-VA, n’a pas manqué de le souligner : « Qui est l’imbécile et qui dirige la Vivaldi ? », a-t-il ironiquement commenté.

À la une : La fin de la concession presse est désormais un fait accompli.

Les détails : Le coût politique de cette victoire pour l’Open Vld est conséquent. En effet, non seulement Bpost reçoit encore 75 millions d’euros de fonds publics, mais les éditeurs et le secteur associatif touchent également 50 millions. Même les marchands de journaux bénéficient d’un soutien financier.

  • Après une série de réunions au kern, le gouvernement Vivaldi a réussi hier après-midi à finaliser l’accord sur le contrat de distribution de journaux et de magazines. Une conférence de presse s’est ensuite tenue dans le bunker, la salle de presse du 16, rue de la Loi, où le Premier ministre De Croo a eu du mal à cacher sa satisfaction.
  • Pour l’Open Vld, mais surtout pour le Premier ministre lui-même, la décision de ne plus attribuer la concession presse est une importante victoire politique. En tant que vice-premier ministre dans les gouvernements Di Rupo et Michel, il s’était constamment opposé à ce mécanisme de subvention, souvent isolé dans le débat.
  • Particulièrement au sein de la coalition suédoise, les libéraux, en compagnie du N-VA, poussaient pour mettre fin au soutien étatique. Mais déjà à cette époque, les éditeurs francophones exerçaient une pression énorme sur le MR pour conserver le mécanisme. Le cd&v s’est aussi fermement opposé, cherchant à préserver le soutien aux magazines de son ex-pilier chrétien.
  • Au sein de la Vivaldi, avec le PS aux commandes du dossier et les écologistes fervents défenseurs de ce type de soutien, il semblait initialement impossible pour les libéraux d’abolir ce système. Rien n’était mentionné à ce sujet dans l’accord de gouvernement de Vivaldi.
  • Lors des discussions budgétaires d’octobre 2022, l’ancien vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) et le Premier ministre De Croo ont bien tenté, mais on savait que c’était une entreprise vouée à l’échec : finalement, 50 millions ont été retranchés du contrat, le réduisant de 175 à 125 millions d’euros par an.
  • Cependant, De Croo et Van Quickenborne ont en réalité reçu cette opportunité sur un plateau d’argent, grâce aux éditeurs flamands de DPG Media et Mediahuis. Ces derniers, fin 2021, ont discrètement conclu un accord avec la direction de Bpost pour se partager le marché en échange de quelques tournées de journaux supplémentaires à Gand, pour PPP, évitant ainsi une concurrence pour la grande concession de journaux. Le champagne qu’ont bu les dirigeants de ces trois sociétés dans le restaurant triplement étoilé Het Zilte à Anvers a aujourd’hui un goût amer.
  • En effet, les investigations menées par le député N-VA Michael Freilich ont contraint Bpost à révéler la vérité à l’automne 2022 : tout l’appel d’offres avait été mené de manière illégale. Actuellement, tant l’autorité de la concurrence ABC que le parquet mènent une enquête sur DPG Media, Mediahuis et Bpost.
  • Cette affaire a obligé Bpost et le ministre PS du Travail Pierre-Yves Dermagne à procéder avec une extrême prudence dans le nouvel appel d’offres. Il n’était plus question d’échanges informels d’informations avec la direction de l’entreprise publique ni de critères sur mesure pour Bpost. Le résultat est connu : les acteurs privés ont triomphé, à savoir ce même PPP et le français Proximy.

L’accord : De Croo n’a pas terrassé le « dragon », pas encore.

  • Il est intéressant de noter que lors de la conférence de presse sur cet accord, De Croo était seul, accompagné uniquement de sa collègue de parti, Alexia Bertrand (Open Vld). « Un accord typique du Premier ministre », c’est ainsi que le décrivent les membres de son gouvernement. En d’autres termes, une fois de plus, cet accord n’offre pas de quoi se vanter pour la Vivaldi. Et cela, de nombreux partenaires de la coalition l’ont ressenti.
  • En contrepartie de sa « victoire » dans la suppression du contrat, de nombreuses concessions ont dû être faites : « Il semble qu’il faille étouffer ce dragon étape par étape« , entend-on autour du Seize. « Mais en 2027, tout le système devrait disparaître. »
  • Ainsi, le Premier ministre est presque le seul satisfait dans cette affaire : le PS ressent la perte future autour de Bpost, et Ecolo aurait même préféré renouveler la concession presse. Il a fallu leur expliquer qu’une telle démarche serait juridiquement intenable.
  • Ils se sont battus avec acharnement pour obtenir au moins six mois de transition pour Bpost, à un prix raisonnable. L’entreprise d’État pourra donc continuer à distribuer les journaux pour 75 millions d’euros pendant six mois, ce qui est relativement plus cher que les 125 millions d’euros pour une année entière, plafond maximum de la nouvelle concession qui n’a finalement jamais été attribuée.
  • La question demeure de savoir si cette énième prolongation de l’ancienne concession sera validée par l’Europe : le gouvernement espère que son caractère temporaire suffira pour obtenir l’approbation de la Commission. Mais PPP et Proximy sont à l’affût et pourraient contester juridiquement cette décision, ou à tout le moins l’utiliser comme un levier pour revendiquer une plus grande part du marché.
  • Pour le PS, c’est donc une pilule amère à avaler, adoucie quelque peu par ces six mois de prolongation. Mais Dermagne n’était pas présent pour défendre l’accord. Et pour Audrey Hanard, présidente de Bpost et dont le nom circule comme ministrable, il s’agit d’un message très difficile à vendre : le plus gros contrat du gouvernement a disparu.
  • Parallèlement, les éditeurs francophones expriment aujourd’hui leur indignation : ils ont finalement obtenu une compensation conséquente. Ils bénéficieront de 34 millions d’euros de réductions fiscales pour compenser le surcoût de la distribution des journaux dans les zones rurales. Selon le Premier ministre, 75 % de cette somme ira aux francophones, la Wallonie étant moins densément peuplée.
  • Ainsi, on assiste à un transfert financier douloureux pour le nord et très visible vers le sud. Initialement, ce montant était estimé à seulement huit millions d’euros au total : la pression des lobbyistes a donc été efficace ces derniers jours.
  • De plus, du côté flamand, de grands groupes tels que DPG Media et Mediahuis bénéficieront encore de 8,5 millions d’euros de réductions fiscales par an, alors même que par le passé, leurs dirigeants avaient affirmé « ne plus avoir besoin de fonds publics ».
  • DPG Media, suite à l’éclatement du scandale, avait annoncé le lancement d’un audit interne. Depuis, on n’en a plus entendu parler. Le journal Het Laatste Nieuws a quant à lui publié une série d’articles sous le titre « Tout mettre en œuvre pour ne pas augmenter le prix des journaux », afin de donner le ton.
  • Une portion moins importante de 16 millions d’euros par an est allouée aux associations à but non lucratif qui peuvent distribuer leurs publications à des tarifs préférentiels via Bpost : Kerk & Leven, mais aussi Visie, en Flandre, et d’autres magazines des piliers chrétiens (En Marche, Dimanche) et socialistes. On y retrouve aussi les publications de membres de Greenpeace ou Natuurpunt.
  • Tout devrait s’éteindre en 2027. « Ce sera au prochain gouvernement de décider d’une éventuelle prolongation », a-t-on commenté. Si une nouvelle coalition Vivaldi se forme, il est très probable que le sujet revienne sur la table : les éditeurs francophones et le puissant pilier chrétien réitéreront leurs demandes et relanceront leur machine de lobbying.

L’essentiel : Qui peut désormais se targuer d’une victoire politique ?

  • Le Premier ministre n’a pas pris à cœur les critiques concernant le manque de finesse dans sa gestion de l’affaire. Avec Bertrand, il s’est vanté des économies totales résultant de cette opération. Bien que ces économies ne profitent pas entièrement à son gouvernement, elles sont significatives :
    • Pour l’année 2024, il y aura encore une dernière fois 75 millions d’euros alloués à Bpost et 16 millions en soutien fiscal, ce qui se traduira par une économie de 34 millions d’euros par rapport au montant maximal du contrat de presse, fixé à 125 millions.
    • En 2025, l’allégement fiscal pour les éditeurs et les associations s’élèvera à 42 millions d’euros, permettant ainsi d’économiser 83 millions.
    • En 2026, cette somme atteindra 50 millions d’euros, générant une économie de 75 millions.
    • À partir de 2028, l’économie nette sera de 125 millions d’euros par an.
  • L’Open Vld s’est rapidement félicité de ces résultats : « Une économie structurelle » et « enfin la fin de la concession presse », tels étaient les mots choisis. Les critiques à l’égard de cet accord ont été vivement réfutées : « Auriez-vous préféré que 125 millions soient dépensés pendant cinq ans pour la distribution de journaux et magazines, plutôt qu’une mesure transitoire de six mois et un soutien financier (aux éditeurs et aux marchands de journaux) jusqu’en 2026 ? », a rétorqué avec force la députée Marianne Verhaert (Open Vld).
  • Cependant, du côté de la N-VA, la réaction n’a pas été moins virulente. « Vous êtes sérieux ? Si je n’avais pas révélé ces manigances, aucun nouvel appel d’offres n’aurait été lancé et Bpost aurait continué à dépendre de ce système pendant des années. Votre parti a aussi voté contre chaque proposition de loi ou amendement que j’ai présenté pour mettre fin à ce système », a riposté le député Michael Freilich (N-VA).
  • De son côté, Bart De Wever (N-VA) a habituellement joué le refrain communautaire, qui fait forcément mouche au nord du pays. Il a montré une carte qui précise où se situera exactement la nouvelle aide pour les éditeurs : sur cette carte, la Belgique apparaît entièrement rouge dans le sud. « Qui est l’imbécile et qui dirige vraiment Vivaldi ? », a-t-il lancé en visant le Premier ministre.
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