On a tôt eu fait d’accuser la Chine et l’Inde d’être des « alliés » de la Russie. Les deux géants démographiques se soucient avant tout de leurs intérêts et n’ont aucune amitié particulière avec la Russie. Face au boycott sur le pétrole lancé par les États-Unis, qui sera peut-être suivi par celui des Européens à moyen terme, l’Inde en profite et négocie des importations avec quelques ristournes. Il n’y a aucune raison de penser que la Chine ne fera pas pareil dans un avenir proche.
La Russie produit 5 millions de barils par jour. C’est le 3e producteur mondial après les États-Unis et l’Arabie saoudite, mais le plus grand exportateur mondial de pétrole vers les marchés mondiaux, selon l’AIE, l’Agence internationale de l’énergie.
Jusque-là, l’Inde n’était pas un grand importateur de pétrole russe. En 2021, la quantité de pétrole importé de Russie tournait autour des 12 millions de barils. Cela représente 2 à 5% de ses besoins. Le sous-continent préfère se servir au Moyen-Orient et en Afrique: New Dehli s’approvisionne en pétrole brut d’Irak, d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Nigéria.
Mais voilà, les sanctions occidentales bloquent une partie du pétrole en Russie, qui ne peut plus écouler toute sa production. À long terme, Moscou a bien compris le message de l’Europe qui veut s’affranchir des énergies fossiles russes. Moscou cherche donc des alternatives. Et elles s’organisent déjà à très court terme.
Depuis début mars, cinq cargaisons de pétrole russe, soit environ 6 millions de barils, ont été chargées à destination de l’Inde. Ces cargaisons devraient être déchargées début avril, estime Matt Smith, analyste pétrolier en chef chez Kpler. « C’est environ la moitié du volume total de l’année dernière – une augmentation significative », explique l’expert à CNBC.
L’intérêt national avant tout
Depuis l’année dernière, les prix du pétrole sur les marchés mondiaux ont augmenté d’environ 80%. Pour des pays comme l’Inde et la Chine, très énergivores, cela pèse sur leur croissance. Il ne faudrait pas croire que l’Inde se soucie vraiment de la Russie et des sanctions qui brisent son économie. Les deux pays ont certes une histoire commune de soutiens politiques tacites – notamment sur la question du Cachemire qui oppose l’Inde et le Pakistan – mais l’intérêt est ici économique: du pétrole de l’Oural pourrait lui être proposé 20% moins cher.
« Aujourd’hui, les motivations du gouvernement indien sont économiques et non politiques. L’Inde cherchera toujours un accord dans sa stratégie d’importation de pétrole. Il est difficile de résister à une remise de 20% sur le brut lorsque vous importez 80 à 85% de votre pétrole, en particulier dans la foulée de la pandémie et du ralentissement de la croissance mondiale », analyse Samir N. Kapadia, responsable du commerce au cabinet de conseil en relations gouvernementales Vogel Group.
« La pression de la Maison Blanche pour limiter les achats de pétrole brut de la Russie est tombée dans l’oreille d’un sourd à Delhi », a déclaré Kapadia. « La vraie question sera de savoir comment les États-Unis et l’Europe répondront à l’Inde si elle permet à la Russie d’obtenir un débouché pour son pétrole. »
La Chine devrait suivre
Il n’y a aucune raison de penser que la Chine ne suivra pas le mouvement. Mais la configuration est ici toute autre: le géant asiatique est déjà le plus gros importateur mondial de pétrole russe avec en moyenne 1,6 million de barils de pétrole russe par jour, en 2021, selon l’AIE.
La Chine cherche deux choses : payer en yuans ou obtenir des ristournes. « La Chine préfèrerait vraiment un pétrole beaucoup moins cher… les prix sont bien trop élevés, même dans la fourchette des 90 dollars », juge Ellen Wald, présidente de Transversal Consulting. « S’ils peuvent acheter du pétrole russe à prix réduit, et certaines de ces remises sont assez importantes – 30 dollars de moins que la référence, alors je ne vois vraiment pas ce qui empêcherait la Chine d’acheter beaucoup de pétrole russe. »
Pour preuve: des sanctions américaines sur le pétrole iranien courent depuis des années, mais ça n’a pas empêché Pékin de traiter avec l’Iran, par « toutes sortes de moyens clandestins », conclut l’analyste.