« Les Verts mentent à nouveau » : c’est la grande agitation au sein de la Vivaldi à propos du cas De Sutter

La ministre des Entreprises publiques et vice-première ministre Petra De Sutter (Groen) reste en eaux troubles. « Les Verts mentent à nouveau », soupire un chef de parti de la majorité. Pour l’instant, De Sutter jouit encore d’un certain soutien, en ce compris le fort appui de son parti. Mais la semaine prochaine, à La Chambre, elle devra fournir une explication convaincante. Si pas, De Sutter et Groen risquent de payer le prix politique de tout le scandale entourant Bpost qui fait rage depuis des semaines maintenant. Au compte-gouttes, l’ancien CEO Dirk Tirez fait fuiter des informations qui devraient entraîner la ministre, ainsi qu’Audrey Hanard, la présidente du conseil d’administration de Bpost, dans le bourbier. Car hier, des échanges WhatsApp ont fait surface entre le cabinet De Sutter et Tirez à partir de 2021, montrant qu’au moins un expert du cabinet a travaillé sur le contrat controversé de la distribution de journaux, et surtout, qu’il y avait des liens très étroits entre le cabinet et l’entreprise publique. Tirez et le chef de cabinet de De Sutter ont discuté sans hésitation de la manière dont la ministre pouvait défendre le contrat au prix fort en influençant le kern. Toute une série de contacts entre Hanard et l’état-major du PS montrent également que le contrat avec la presse était (et reste) de la dynamite politique. C’est très ennuyeux aussi pour Bpost, qui a annoncé hier qu’elle devra continuer à fonctionner pendant des mois, sans CEO. Hanard n’est que le capitaine temporaire du navire à cet égard.

Dans l’actu : L’ex-CEO Dirk Tirez divulgue ses échanges de message avec le cabinet De Sutter, ainsi qu’avec Audrey Hanard.

Les détails : Cela montre tout d’abord à quel point les lignes étaient directes pour trancher des questions à des centaines de millions d’euros d’aides d’État. Le chef de cabinet de De Sutter a rassuré l’ancien patron de Bpost en disant : « La ministre va faire de son mieux pour défendre le dossier au kern ».

  • Groen semblait avoir retenu la leçon du cas Sarah Schlitz (Ecolo) : mettre un genou à terre rapidement et clairement, si une erreur politique avait dû être commise. Petra De Sutter paraissait l’avoir parfaitement exécuté en début de semaine.
  • En effet, après avoir reçu une première torpille – Bpost continuait à payer deux employés du cabinet de De Sutter – la ministre s’est rapidement et clairement défendue :
    • Selon elle, il n’y avait « aucun conflit d’intérêts », elle en mettait « sa main au feu ».
    • Cependant : il a été décidé que les deux collaborateurs allaient désormais être rémunérés par le cabinet, « afin d’éviter toute apparence de partialité », ce qui montrait, entre les lignes, le malaise dans ce dossier. C’était toutefois une demande faite par la ministre elle-même, a-t-elle expliqué, après avoir constaté l’irrégularité des faits, il y a plusieurs mois.
    • Mais De Sutter est allée plus loin et a affirmé que les deux experts « travaillaient uniquement sur l’accord de gestion et non sur les contrats publics controversés ».
  • Hier, De Tijd et De Standaard ont lancé une deuxième torpille. Une conversation confidentielle sur WhatsApp a été divulguée par les deux journaux. La source est plutôt claire : l’ancien patron mécontent Dirk Tirez. Il est le seul à disposer des Whatsapp. Et il est de plus en plus en désaccord avec la direction actuelle de Bpost et la ministre De Sutter. Auparavant, il avait déjà fait connaître à la presse que les deux membres du cabinet qui travaillaient pour le gouvernement au sein du cabinet De Sutter étaient toujours payés par Bpost.
    • « Je verrai les syndicats demain. Est-il vrai que le montant de la concession annuelle des journaux passerait de 170 millions à 110 millions d’euros ? », envoie Dirk Tirez au chef de cabinet de De Sutter, Kurt Van Raemdonck, via Whatsapp, le 24 mars 2021.
    • Dans la balance, Tirez met subtilement les « 4.500 personnes qui travaillent à la distribution de journaux et de magazines » : une exagération considérable, même selon les chiffres du syndicat de l’entreprise.
  • Le fait qu’il s’agisse de l’attribution d’une concession, qui devrait donc en principe se dérouler dans une offre de marché public, entre différents acteurs, semble totalement exclu de la conversation. Avec le recul, il s’avérera que c’est précisément là que réside le problème : il y a eu collusion entre Bpost et les éditeurs de journaux, afin d’écarter tout autre soumissionnaire potentiel.
  • Sans hésiter, le chef de cabinet répond au PDG de la société cotée en bourse : « Il y a effectivement une discussion à ce sujet demain au kern, je transmettrai votre préoccupation à la ministre. C.W. a suivi l’affaire, je vérifie, il y a eu des appels de la part des libéraux pour une réduction du budget de 10 % ainsi qu’une dégressivité d’une manière ou d’une autre, quoi que cela signifie, je me renseignerai, Kurt. »
  • Quelques instants plus tard, deux autres messages de l’administration De Sutter ont suivi, adressés au PDG :
    • « La ministre va faire de son mieux au kern demain, K. »
    • « Les 110 millions ne sont en fait qu’une proposition du VLD, qui n’a initialement fait aucune concession, ils sont quelque peu isolés, je ne pense pas que le budget baissera beaucoup, K. »
  • Au final, le contrat finira à 125 millions d’euros, après une guerre nocturne entre le PS et l’Open Vld, lors du conclave budgétaire d’octobre 2022.

La solution : Une fois de plus, De Sutter doit ajuster ses explications. Cela fragilise sa position.

  • Le fait que Tirez confirme une fois de plus les liens étroits qui existaient entre l’entreprise cotée en bourse et le gouvernement, ainsi que la désinvolture avec laquelle les règles d’attribution d’un marché public étaient traitées, ne semble pas trop le déranger.
  • En effet, avec ses messages WhatsApp, l’ex-PDG apporte la preuve d’un imbroglio profond et malsain avec le gouvernement et, au bout du compte, d’un court-circuitage des normes au sommet de Bpost. Mais dans cette conversation, il n’est question que d’un seul nom : C.W. à savoir Catherine Wijnants.
    • Elle est l’un des deux experts détachés par Bpost, en tant que « senior legal council », et, à la demande de Tirez, elle est toujours restée sur le payroll de la société cotée en bourse.
    • Le fait que De Sutter ait affirmé « que les deux experts n’ont travaillé sur aucun des contrats litigieux » s’avère donc inexact. Le porte-parole de De Sutter maintient toutefois la version de la ministre dans De Tijd : « Les WhatsApps illustrent le lien professionnel entre le Cabinet tutélaire et Bpost, où les questions de clarification et d’information sont normales. Les échanges n’indiquent pas une relation suspecte entre le cabinet et Bpost. »
  • Quelques heures plus tard, De Sutter, qui est en congé en France, a réagi sur Twitter :
    • « Je répète qu’il n’est pas question de conflit d’intérêts. Il est faux de dire qu’un employé de Bpost a été utilisé pour aider à négocier le contrat de la distribution de journaux. Ce dossier précis appartient à mon collègue Pierre-Yves Dermagne (PS). »
    • Interrogée sur la raison pour laquelle le nom de Wijnants a été explicitement mentionné par son chef de cabinet à Tirez, elle n’a pas répondu : « L’employé qui a suivi le dossier sur ce contrat est l’employé qui suit tous les dossiers de Dermagne et n’a aucun lien avec Bpost. Tous les autres membres du gouvernement peuvent le confirmer. »
    • Et enfin : « Je répondrai la semaine prochaine au Parlement à toutes les questions concernant le travail de mon cabinet au cours des deux ans et demi écoulés. »

L’essentiel : De Sutter bénéficie du soutien explicite de son propre parti. Mais au sein de la majorité, il y a des doutes.

  • Ça gronde au sein de la Vivaldi. Plusieurs partenaires de la coalition pointent du doigt le manque de professionnalisme. « Ils n’auraient-ils pas pu se rendre compte plus tôt que le maintien des fiches de paies des deux employés chez Bpost n’était pas une bonne idée ? Qui, au sein de ce cabinet, ne vérifie pas ce genre de chose ? » entend-on dans d’autres cabinets.
  • L’image de De Sutter va à l’encontre de la réputation de « bonne gouvernance » que Groen aime se donner. « Je me demande vraiment ce que Kristof Calvo (Groen) a à dire de toute cette affaire », commente cyniquement un dirigeant d’un parti de la Vivaldi.
  • « Une fois de plus, Groen ment. Car il a été dit que les deux n’avaient jamais travaillé sur le dossier controversé. Et maintenant, il y a des messages qui prouvent le contraire », a déclaré un autre président de parti de la majorité.
  • « De toute façon, De Sutter n’est pas au bout de ses peines. Pour l’instant, elle a encore du soutien, mais elle devra s’expliquer à la Chambre la semaine prochaine », a déclaré un autre chef de file.
  • La pression se déplace donc vers la semaine prochaine, car le Parlement est fermé cette semaine : la conséquence de la réforme des périodes de congé de l’enseignement francophone. Une coïncidence qui arrange De Sutter pour l’instant : la température pourra baisser. Mais, bien sûr, l’opposition ne compte pas lui laisser la moindre minute de répit :
    • « Une ministre et son cabinet qui font activement pression pour injecter le plus d’argent possible dans une entreprise publique (contre l’intérêt public), alors que cela a été prouvé, ne devrait pas être autorisée à rester en fonction », a réagi Michael Freilich (N-VA).
    • Mais ce qui est important pour De Sutter, c’est que son propre parti la soutient sans réserve, ce qui n’était pas vraiment le cas pour Sarah Schlitz. « Il n’y a pas de conflit d’intérêts. Il y a quelques mois déjà, Petra a procédé à des ajustements à la suite d’un audit qu’elle avait elle-même demandé. Ouverture au parlement, sérénité dans la réponse. Même après les insinuations et les dommages causés à l’opération. Fier de Petra », a tweeté le président Jeremie Vaneeckhout (Groen).
    • Fait surprenant : la coprésidente Nadia Naji (Groen) et la ministre bruxelloise Elke Van den Brandt (Groen) ont également mentionné que De Sutter avait « ordonné un audit externe de Bpost, il y a plusieurs mois ». Interrogée sur l’audit dont parlent ces trois personnes et que De Sutter aurait ordonné, Groen n’a pas donné de réponse claire : Bpost a mené de sa propre initiative une série « d’examens de conformité » ou d’audits internes. Il faut y ajouter l’audit gouvernemental sur le coût réel du contrat des journaux, mais il n’a pas encore commencé.
  • Quoi qu’il en soit, les Verts n’ont pas l’intention de se débarrasser de leur figure de proue. Si la vice-première ministre De Sutter devait partir, ce serait un désastre pour les Verts flamands. Sans doute encore plus grand que le coup porté à Ecolo suite au départ de Sarah Schlitz.

Et ce n’est pas fini : Nouvelle torpille ce matin, cette fois contre Audrey Hanard.

  • Cette fois-ci, l’attaque vise Audrey Hanard, la présidente du conseil d’administration de Bpost, estampillée PS. Sa présence a été remarquée, hier, lors de la conférence de presse des résultats trimestriels de Bpost : de facto, elle est désormais à la tête de l’entreprise postale, en l’absence de CEO.
  • Aussitôt, Hanard a été interpellée sur ses contacts avec plusieurs responsables du PS, tant le ministre Dermagne que le président des socialistes, Paul Magnette (PS), au sujet du contrat controversé avec les journaux. « En tant que présidente du conseil d’administration, mon rôle est d’établir des contacts avec les différents actionnaires et aussi avec l’actionnaire principal. En ce sens, j’ai des contacts avec différents ministres et responsables au sujet de la stratégie de l’entreprise« , a-t-elle admis.
  • Ou encore : « J’ai eu des contacts, au sujet de l’importance de ce contrat, également pour nous, pour savoir ce qu’ils pensaient être important. Mais il ne peut être question d’influence, un audit l’a confirmé », a affirmé Hanard.
  • Aujourd’hui, dans De Standaard, ces contacts se sont révélés particulièrement intensifs et peut-être pas tout à fait équitables pour les concurrents de Bpost. En effet, dans le cadre de ce contrat avec la presse, tous les candidats devaient poser des questions au gouvernement sur base d’un système transparent : tout le monde aurait pu lire les réponses. Mais Bpost n’a permis cela : ils ne voulaient pas que la concurrence soit au courant. C’est ainsi que, selon la version de Tirez, les contacts ont été établis entre le bureau de Hanard et le cabinet de Dermagne.
  • « I should probrably not share here… » a-t-elle envoyé à Tirez, à la suite d’un contact avec le cabinet, pour expliquer quels paramètres seraient utilisés pour la concession postale. Plus tard, d’autres messages de Hanard à Tirez l’informe « que le dossier avance bien », après avoir vu Magnette et Elio Di Rupo (PS).
  • Fin août 2022, Hanard organise une nouvelle réunion avec Tirez, ainsi que les hauts responsables du PS, dans la salle de réunion de Bpost, avec Magnette, Dermagne et les deux chefs de cabinet. L’enjeu est le fort taux d’absentéisme du personnel de Bpost. Selon la version de Tirez, le PS ne voulait pas agir sur ce point.

Vue d’ensemble : Bpost n’est pas au bout de ses peines, loin s’en faut.

  • Hanard a réaffirmé qu’un nouveau CEO n’était pas près de débarquer rapidement, cinq mois après le départ de Dirk Tirez. La recherche devrait se poursuivre pendant des mois. « Avant de lancer la recherche, ce que nous avons fait récemment, nous voulions d’abord trouver un consensus au sein du conseil d’administration sur le profil à adopter », telle est l’explication. Bpost se retrouve donc sans véritable capitaine pour les mois à venir.
  • L’administrateur délégué par intérim Philippe Dartienne a reconnu lors de la conférence de presse que l’incertitude persistante entourant les enquêtes en cours ne peut pas faire du bien au cours de l’action de Bpost. « Nous sommes dans le pire scénario possible : nous avons identifié le problème, mais nous ne pouvons pas encore dire quand exactement nous le résoudrons. »
  • Le sommet de Bpost a de nouveau évoqué trois contrats publics problématiques : les plaques d’immatriculation, les amendes et les factures publiques. Mais il n’est pas exclu que d’autres dossiers viennent s’y ajouter. « Dans une logique de transparence, nous continuons à examiner d’autres dossiers en cours », a expliqué Hanard. « Par souci de confidentialité et pour garantir la qualité des conclusions, nous ne pouvons pas partager plus d’informations sur les enquêtes en cours à ce stade. »
  • Et puis il y a le tout premier dossier qui a précédé le dernier audit judiciaire, le désormais tristement célèbre contrat de distribution de journaux. Ce qui intéresse particulièrement les investisseurs, ainsi que le principal actionnaire, l’État, c’est de savoir si l’autorité belge de la concurrence, l’ABC, infligera une amende à Bpost pour manipulation du marché, et quel sera le montant de cette amende.
  • Littéralement, l’entreprise a déclaré : « Compte tenu de l’incertitude liée aux enquêtes de l’ABC et au processus d’approbation du gouvernement, Bpost considère que l’exposition à une sortie de trésorerie est possible, mais pas probable à ce stade. Cependant, Bpost ne peut pas fournir d’estimation à ce stade ».
  • Le raisonnement est clair : Bpost a été la première à demander de se confesser à l’ABC en tant que personne en quête de remords. En règle générale, les amendes sont alors beaucoup plus légères. Ce n’est pas le cas de DPG Media, qui n’est entré dans le collimateur qu’à ce moment-là.

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