Au terme d’une année boursière mouvementée, marquée par la domination des « Sept Magnifiques » – Apple, Microsoft, Nvidia, Amazon, Alphabet (Google), Meta (Facebook) et Tesla -, les comparaisons avec la tristement célèbre bulle Dotcom de la fin des années 1990 se font de plus en plus nombreuses. Ces géants de la technologie, responsables d’une grande partie de la croissance de l’indice S&P 500, rappellent la frénésie spéculative qui entourait les sociétés internet à l’époque. Mais les parallèles sont-ils vraiment si forts, ou la situation actuelle est-elle fondamentalement différente ? Cet article examine en profondeur les similitudes, l’évolution de la bulle Dotcom et les performances actuelles, ainsi que les risques potentiels pour les investisseurs.
Que sont les « Magnificent Seven » ?
Le terme « Magnificent Seven » fait référence à sept grandes entreprises technologiques qui ont porté le marché boursier américain ces dernières années. Il s’agit d’Apple (AAPL), de Microsoft (MSFT), de Nvidia (NVDA), d’Amazon (AMZN), d’Alphabet (GOOGL/GOOG), de Meta Platforms (META) et de Tesla (TSLA). Ce groupe, souvent abrégé en Mag7, représente une concentration sans précédent du marché : au 21 octobre 2025, il représentait environ 36,6 pour cent de l’indice S&P 500, avec une capitalisation boursière combinée de plus de 22 000 milliards de dollars (19 000 milliards d’euros), soit 37,4 pour cent de l’indice total. Leur domination est due aux innovations dans les domaines de l’intelligence artificielle (IA), de l’informatique en nuage, du commerce électronique et des véhicules électriques, ce qui leur confère un rôle central dans le marché haussier actuel.
En 2025, les Sept Magnifiques ont connu une année de fortes variations du cours de leurs actions, avec des prises de bénéfices et un engouement pour l’IA alternant à un rythme rapide. Au début de l’année, six des sept actions ont chuté de 7 à 15 pour cent, Tesla étant le plus grand perdant (plus de 15 pour cent). Mais à partir d’octobre, elles se sont fortement redressées, surperformant le S&P 500. Au troisième trimestre 2025, elles étaient le moteur de la croissance des bénéfices du S&P 500, avec une croissance dite « mixte » de 10,7 pour cent en glissement annuel (une combinaison des résultats déclarés et attendus), contre 7,9 pour cent attendus. Des entreprises comme Alphabet, Microsoft et Amazon ont fait état d’une forte demande liée à l’IA, tandis que Meta a enregistré une croissance de 26 pour cent de son chiffre d’affaires malgré une charge fiscale exceptionnelle. Nvidia, dont la publication est prévue le 19 novembre, reste un acteur clé de l’engouement pour l’IA. Des secteurs tels que les technologies de l’information et les biens de consommation durables, portés par Mag7, ont surpassé la moyenne du marché plus large, qui est de 7,9 pour cent de croissance du chiffre d’affaires. Les analystes prévoient une croissance des bénéfices de 11,2 pour cent et 14,0 pour cent pour le S&P 500 en 2025 et 2026, respectivement, en grande partie grâce à ce groupe.
Le cours de la bulle Dotcom : une leçon de spéculation
La bulle Dotcom, également connue sous le nom de bulle Internet, a été une période de spéculation extrême à la fin des années 1990, qui s’est soldée par un krach spectaculaire. Vous trouverez ci-dessous une chronologie détaillée basée sur une analyse historique :
1995-1997 : La montée en puissance
La bulle a commencé avec la commercialisation de l’internet. Les investisseurs se sont rués sur les jeunes pousses technologiques, stimulés par les faibles taux d’intérêt, le Taxpayer Relief Act de 1997 (qui a réduit l’impôt sur les plus-values) et l’abondance de capital-risque. L’indice Nasdaq Composite a augmenté de 400 pour cent entre 1995 et 2000. Des entreprises sans bénéfices ni même produits sont entrées en bourse, les introductions triplant les prix dès le premier jour.
1998-1999 : L’engouement atteint son paroxysme
La spéculation explose : 39 pour cent de l’ensemble du capital-risque va à des sociétés Internet. Des médias comme le Wall Street Journal et Forbes alimentent cet optimisme, tandis que des sociétés comme Priceline.com atteignent une capitalisation boursière de 9,8 milliards de dollars malgré des pertes de 142,5 millions. Certaines entreprises ont consacré jusqu’à 90 pour cent de leur budget au marketing et à des fêtes somptueuses, animées par le credo « get big fast » – la croissance avant les bénéfices. En 1999, 457 introductions en bourse étaient liées à l’Internet.
Mars 2000 : le point culminant
Le 10 mars 2000, le Nasdaq a culminé à 5 048,62 points, soit près du double de l’année précédente. L’exubérance irrationnelle prévalait, les prix étant déconnectés des fondamentaux.
2000-2002 : Le krach
La bulle éclate lorsque les géants de la technologie, tels que Dell et Cisco, se vendent en masse, provoquant la panique. Des facteurs tels que la hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale (1999-2000), les craintes liées au passage à l’an 2000, les dépenses excessives et la récession au Japon ont accéléré le ralentissement. Le Nasdaq a chuté de 10 pour cent en quelques semaines et de 76,81 pour cent pour atteindre 1 139,90 points le 4 octobre 2002, perdant ainsi 5 000 milliards de dollars de valeur marchande. Des sociétés comme Pets.com, Webvan et eToys ont fait faillite ; des valeurs sûres comme Cisco et Intel ont perdu plus de 80 pour cent de leur valeur. L’économie en général a énormément souffert : 200 000 pertes d’emploi dans la Silicon Valley, un taux de chômage en hausse de 4 pour cent dans le secteur technologique (2001-2008) et des allégations de fraude dans des banques comme Citigroup.
Conséquences et reprise
Le Nasdaq n’a retrouvé son sommet qu’en 2015. Les survivants, comme Amazon et eBay, se sont adaptés en contrôlant leurs coûts et en se diversifiant. Les leçons tirées par tous : concentration sur les fondamentaux, diversification et vigilance à l’égard du battage médiatique.
Similitudes avec la situation actuelle : une répétition de l’histoire ?
Les performances de Mag7 présentent des parallèles frappants avec la bulle Dotcom, ce qui suscite des inquiétudes quant à la possibilité d’une bulle de l’IA.
Concentration du marché
À la fin des années 1990, les « quatre cavaliers » (Microsoft, Cisco, Dell, Intel) représentaient 50 à 60 pour cent de la croissance du Nasdaq ; aujourd’hui, les dix premières entreprises (y compris le Mag7) génèrent près de 70 pour cent des bénéfices du S&P 500, les bénéfices des entreprises représentant désormais 30 pour cent du marché total (contre moins de 20 pour cent en 2000). Par rapport au reste du S&P 500, la valorisation de Mag7 est comparable à celle des valeurs technologiques de l’époque.
Effervescence spéculative et élan
Les deux périodes se caractérisent par un engouement pour la technologie : l’internet à l’époque, l’IA aujourd’hui. Les particuliers ont investi massivement dans les technologies, ce qui a entraîné une hausse rapide des cours. Le Nasdaq a été multiplié par cinq entre 1995 et 2000 ; Mag7 a connu une dynamique similaire depuis 2023, Nvidia atteignant un rendement de 1 588 pour cent sur le long terme.
Impact des taux d’intérêt
Avec un taux des fonds fédéraux de 5,3 pour cent en 1999, similaire à celui d’aujourd’hui, les valorisations des actions subissent de nouvelles pressions.
Valorisations et risques
Le ratio P/E (price-to-earnings ratio) actuel du S&P 500 est d’environ 27, contre 50 au pic de Dotcom, mais le Mag7 a un P/E attendu (forward P/E, basé sur les prévisions de bénéfices futurs) d’environ 35 (contre 16 pour le reste du S&P). Si la croissance de l’IA est décevante (par exemple en raison de la concurrence de Nvidia), les prix des actions pourraient se corriger, comme ce fut le cas en 2000. Les stratèges mettent en garde contre l' »euphorie spéculative » (optimisme excessif et investissements risqués) en dehors du Mag7, qui pourrait créer une bulle plus large.
Différences : les fondamentaux sont-ils plus solides aujourd’hui ?
Malgré les similitudes, il existe des différences cruciales. Les Mag7 génèrent des bénéfices, des revenus et des flux de trésorerie importants, contrairement à de nombreuses sociétés Dotcom qui ne réalisent pas de bénéfices. Elles investissent 60 pour cent de leur trésorerie dans la recherche et le développement et sont des acteurs établis dotés de « moats » (avantages concurrentiels), et non des produits à la mode temporaires. Les valorisations sont moins élevées : les actions Dotcom étaient deux fois plus chères sur la base des ratios cours/bénéfice attendus. Mag7 a progressé malgré le resserrement monétaire, alors que la politique s’est assouplie en 1997-98. Les 42 sociétés suivantes du S&P ont un chiffre d’affaires 2,5 fois supérieur et des bénéfices 2 fois supérieurs à ceux du Mag7, mais la même valorisation – un signe de déséquilibre, mais soutenu par les fondamentaux, la santé financière sous-jacente.
Conclusion : la vigilance est de mise
Les Mag7 reflètent la bulle Dotcom en termes de concentration et de battage médiatique, mais leurs fondamentaux financiers sont plus solides. Néanmoins, les experts mettent en garde : si les bénéfices ralentissent, une correction similaire à celle de 2000-2002 pourrait s’ensuivre. Les investisseurs feraient bien de se diversifier et de se concentrer sur la santé financière sous-jacente des entreprises, comme ils l’ont appris lors de l’effondrement de Dotcom. Seul le recul permettra de déterminer si cette crise se transformera en bulle, mais les signaux sont clairs. Pour l’instant, Mag7 est en tête du rallye, mais l’histoire montre que les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel.
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