Le commissaire européen au Budget, Paolo Gentiloni, est prêt à présenter ses nouvelles propositions de règles budgétaires européennes. À première vue, celles-ci semblent plus claires et plus simples que les précédentes « normes de Maastricht ». Mais le diable se cache dans les détails : pour les pays présentant un taux d’endettement excessif (plus de 60 %) ou un déficit budgétaire excessif (plus de 3 % du PIB), un plan quadriennal sera obligatoire. La Belgique se trouve dans le rouge pour les deux catégories et se verra donc irrémédiablement imposer un plan pour réduire son déficit d’au moins 0,5 %, mais de préférence 0,8 % du PIB, sur quatre ans. Les sanctions seront moins lourdes, mais les États devront se conformer à une « feuille de route stricte ». Il est plus que probable que le Parlement européen et les États membres approuveront les nouvelles règles cette année : la prochaine coalition fédérale devra donc sortir son bleu de travail. Un effort obligatoire d’au moins 5 milliards, soit 0,8 % du PIB, par an, sera sans doute à prévoir.
Dans l’actualité : L’Europe simplifie les règles budgétaires et les rend « plus réalistes », mais pas moins strictes pour les pays les plus mal classés.
Le détail : Ce carcan financier européen aura de lourdes conséquences sur les discussions politiques fédérales. L’assainissement lourd, et surtout la réforme, deviendront la seule option.
- Pas de répit pour la Vivaldi, et il est une nouvelle fois question d’argent. Cette fois, il s’agit de l’accord social.
- Celui-ci a été conclu en mars par les syndicats et les employeurs, après des mois de lutte à couteaux tirés contre l’absence de marge salariale pour accorder une augmentation : après tout, l’indexation automatique avait déjà fait grimper les salaires beaucoup plus vite que dans les pays voisins.
- Seulement, à la surprise générale, le Groupe des Dix est parvenu assez rapidement à un accord. Ce faisant, les deux camps avaient bien réglé la question : des trophées pour chacun, mais au bout du compte, une nouvelle facture pour le contribuable. Le paquet comprenait
- Un régime fiscalement favorable pour les heures supplémentaires.
- La prolongation d’un mécanisme flexible pour le chômage temporaire.
- Et cerise sur le gâteau : une nouvelle extension de la retraite anticipée, désormais appelée RCC.
- Le fait que la FEB et l’Unizo, présents à la table du côté des employeurs, aient également approuvé toutes ces mesures a été difficile à avaler pour les politiciens de l’aile droite de la Vivaldi : ce n’est pas une façon de redessiner le marché du travail ou de le réformer structurellement, selon eux.
- Mais pire encore : la mise en œuvre de l’accord coûtera 174 millions d’euros aux contribuables. Hier, l’Open Vld a freiné des quatre fers : il refuse d’approuver l’accord pour l’instant. Le PS n’accueille pas très bien cette réaction : les socialistes étaient plus qu’heureux que le RCC soit une fois de plus prolongé, étant donné le débat délicat sur les pensions. Les partenaires sociaux semblent d’ailleurs être d’accord avec eux sur ce point.
- Pour l’Open Vld, c’est simple : l’accord social ne pourra être maintenu que si, lors de l’audit budgétaire d’octobre, le dernier de la Vivaldi, ces 174 millions d’euros peuvent être trouvés quelque part. Le parti du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) met donc immédiatement la pression sur ce dernier conclave : « Nous ne pouvions vraiment pas laisser passer cela », nous explique une source gouvernementale bleue.
- Lors de ce conclave, les chiffres du budget 2024 seront présentés à l’automne. La Belgique y affichera encore un déficit de 4,3 % du PIB : la route vers les 3 % est donc encore très longue. La dette publique, estimée aujourd’hui à un peu plus de 107 % du PIB, peut également susciter des inquiétudes.
- La semaine dernière, la Vivaldi a annoncé à la Commission européenne ce qu’elle allait faire en octobre : éliminer encore 0,2 % du PIB, soit 1,2 milliard d’euros. Le PS et Ecolo ont mené une guerre acharnée à ce sujet contre le MR, l’Open Vld et le cd&v, mais ces chiffres sont maintenant fixés, avec l’effort précédent, le tout sera porté à 0,8% du PIB, dans les clous. L’Open Vld ne veut donc pas ajouter 174 millions supplémentaires, sans se battre en retour.
- Mais quiconque met l’ampleur de ce montant en rapport avec l’effort financier qui nous attend, dans les années à venir, ne peut qu’être pris de vertige. Il faudra le réitérer trois fois de suite.
Explications : À quoi ressemblent les nouvelles règles budgétaires européennes ?
- Le commissaire européen Gentiloni, socialiste, n’avait pas l’intention de commencer soudainement à imposer un autre cadre européen beaucoup plus strict aux États membres. Mais tout le monde dans l’UE était d’accord pour dire que le « PSC » ou Pacte européen de stabilité et de croissance (l’autre nom des « règles de Maastricht ») avait besoin d’être réformé.
- Les règles actuelles sont trop complexes et ne sont pas adaptées aux grandes différences entre les États membres : désormais, chaque État membre sera autorisé à élaborer son propre plan et à se mettre d’accord sur celui-ci avec la Commission. Ce faisant, une « marge de manœuvre » peut être accordée afin d’éviter d’étouffer l’économie d’un État membre en étant trop strict trop tôt. À présent, c’est du cas par cas, avec un plan quadriennal par État membre, dans lequel toutes les réformes et tous les investissements doivent être inclus. Les autres États membres doivent ensuite approuver ce plan. C’est donc là que l’Allemagne, la plus stricte de la classe, aura un peu plus de poigne.
- Dans le même temps, la méthode actuelle d’évaluation par la Commission est également trop lourde et trop lente : les pays sont d’abord placés sur un banc d’accusés, mais la sanction finale est une menace irréaliste dans le système actuel ; la Commission n’est jamais allée jusqu’au bout. Le nouveau système prévoit des sanctions financières moins lourdes, mais elles seront certainement appliquées par la Commission cette fois-ci.
- La nouvelle proposition supprime aussi la règle selon laquelle tous les pays dont le ratio d’endettement est supérieur à 60 % doivent réduire chaque année de 5 % la part de leur dette dépassant la norme. Cela donne de ce fait de l’air à de très nombreux États membres de l’UE : seuls 14 des 27 pays de l’UE ont des taux d’endettement inférieurs à ce seuil.
- En contrepartie, les plus mauvais élèves seront clairement dans le viseur : les pays qui dépasseront la norme des 3 % seront soumis à une trajectoire de suivi plus stricte. Ils devront donc établir avec la Commission un plan quadriennal dans lequel la dette devra diminuer, et le déficit devra passer sous la barre des 3 %. Pour ce faire, la Commission se penchera désormais principalement sur les dépenses nettes d’un État membre : elles doivent être inférieures à la croissance économique à long terme.
- L’idée est que le processus, sur lequel M. Gentiloni a travaillé pendant un an, avec de nombreux tests, va maintenant avancer rapidement. L’Allemagne a encore un peu de mal, parce qu’elle juge que la réforme « n’est pas assez stricte », mais on s’attend à ce que les États membres et le Parlement européen approuvent le nouveau cadre cette année. Le nouveau cadre européen s’appliquerait alors à partir de 2024.
L’essentiel : la prochaine équipe fédérale connaît déjà sa trajectoire budgétaire. Elle sera épouvantable.
- En novembre de l’année dernière, la Commission européenne a de nouveau interrogé la Belgique sur les dépenses publiques nettes à long terme. Le commissaire européen Valdis Dombrovskis a alors présenté une évaluation de l’exercice budgétaire précédent, de 2022. Cette année-là, les dépenses courantes nettes ont encore augmenté, alors qu’il n’y avait pas de place pour cela en raison d’une croissance économique trop faible.
- Pour 2024 et les années suivantes, il n’y a donc guère de discussion : la Belgique, par l’intermédiaire du gouvernement fédéral, devra présenter un plan pluriannuel qui sera contraignant. Cela nécessitera un minimum de 0,5 % par an de ce déficit, mais il est plus que probable qu’il s’agira d’environ 0,8 %, pour pouvoir revenir à un déficit en dessous des 3%.
- Cela correspond exactement à ce que la Vivaldi a soumis, la semaine dernière, à la Commission : ils « promettent » que le prochain gouvernement fédéral fera un effort de 0,8% en 2025 et 2026, à hauteur de 5 milliards d’euros par an. Les guillemets ne sont pas superflus : personne n’a de boule de cristal, mais ce budget 2025 doit être établi à l’automne 2024. C’est assez irréaliste : il faudrait alors qu’il y ait une équipe fédérale déjà en place, ce que personne ne suppose au vu de l’histoire politique récente.
- Les réformes de la Commission mettent le couteau sous la gorge de tous les gouvernements qui suivront. Et ce n’est pas tout : elles exercent également une forte pression sur les négociateurs fédéraux de 2024, qui doivent former un gouvernement après les élections de juin. En effet, plus cette formation sera longue, plus la réforme budgétaire sera difficile à mettre en œuvre si les finances dérapent et que l’Europe attend un plan pluriannuel.
- La répartition classique d’un tiers de nouveaux impôts, d’un tiers d’économies et d’un tiers de mesures exceptionnelles semble déjà ne plus fonctionner pour améliorer chaque année de 0,8 % le travail budgétaire. Et la discussion actuelle sur la réforme des pensions montre à quel point il est difficile, d’un point de vue idéologique, de redessiner le système, avec l’équipe fédérale actuelle.
- En fait, il n’y a pas de formule magique pour assainir ce budget. Mais les points sensibles sont connus de tous :
- Les budgets des entités fédérées comptent également dans la balance. Seule la Flandre obtient de meilleurs résultats, mais Bruxelles et la Wallonie tirent les chiffres belges vers le bas. Il faudra donc intervenir là aussi pour assainir le budget.
- La sécurité sociale, avec les coûts liés au vieillissement de la population, surtout au nord, pèse une part de plus en plus importante de la dette fédérale. Elle doit être maîtrisée, notamment par le biais d’une grande réforme des pensions.
- Les intentions de la Vivaldi étaient et sont toujours les bonnes : un taux d’emploi de 80 %, et donc beaucoup plus de personnes qui contribuent plutôt qu’elles ne coûtent, reste une condition préalable à l’assainissement structurel du budget. Mais cela nécessitera des réformes beaucoup plus profondes que les plans envisagés actuellement.
- Ce n’est pas habituels, mais il est désormais certain que les nouvelles règles budgétaires seront un enjeu des élections de 2024, avec une pression intense venant du nord du pays. Chaque parti devrait être en mesure de présenter un plan budgétaire crédible pour pouvoir honorer les accords européens.