Qui va payer pour la réforme fiscale ? Cette question plane au-dessus du conclave que le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) convoque ce week-end. Car tout est lié quand il s’agit des finances publiques dans ce pays. Un grand transfert fiscal de 5,6 milliards d’euros, comme le propose le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v), aura inévitablement des effets sur les revenus des entités fédérées. La Wallonie, Bruxelles, mais aussi la Flandre ont été fortement choquées par le chiffre de 1,25 milliard d’euros, mentionné lundi par la secrétaire d’État au Budget, Alexia Bertrand (Open Vld), sur La Première. C’est l’estimation du « coût » pour les régions et communautés : le résultat indirect de la baisse de l’impôt sur les personnes physiques et la modification de la TVA. Elio Di Rupo (PS) et Rudi Vervoort (PS) tirent immédiatement la sonnette d’alarme : ils demandent depuis longtemps des « solutions créatives », et en particulier une compensation pour respectivement les 350 et 100 millions d’euros qu’ils risquent de perdre chaque année. On parle déjà d’un fonds de compensation. La Flandre n’en a pas nécessairement besoin, mais « si la compensation arrive, elle doit être égale pour tous », telle est la logique là-bas. En même temps, il y a des critiques sur les plans actuels de Van Peteghem de la part du gouvernement flamand : « Pourquoi compenser la baisse des impôts par de nouvelles taxes ? Les retraités vont être les victimes, car ils auront une TVA plus élevée et pas de réduction ailleurs », fustige le ministre flamand des Finances Matthias Diependaele (N-VA).
Dans l’actualité : Vendredi, le conclave de la réforme fiscale commence.
Les détails : Les entités fédérées ne sont pas à la table, mais elles font du bruit. Les deux ministres-présidents du PS, Di Rupo et Vervoort, ne veulent pas recevoir la facture des réformes fédérales. La Flandre suit le mouvement : si eux obtiennent des compensations, nous aussi.
- Vendredi après-midi, le Premier ministre De Croo rassemble tout le monde. La coalition Vivaldi se réunit pour un conclave : une longue session pour vraiment discuter de l’une des dernières grandes réformes que le gouvernement fédéral souhaite mettre en œuvre, la fameuse réforme fiscale.
- Pas de réunions isolées dans des châteaux cette fois-ci, ce n’est « plus de cette époque », mais simplement un rendez-vous au « Seize », la résidence de travail du Premier ministre. Donc une première session ce vendredi, une deuxième samedi et probablement une prolongation le dimanche.
- Personne ne s’attend à des conclusions définitives ce week-end. « Ce serait très ambitieux compte tenu de ce qui est en jeu », dit un vice-premier ministre. « Mais il est bon que nous fassions enfin plus. Nous devrions faire de grands progrès ce week-end. »
- La question est de savoir combien chacun est prêt à concéder, en commençant par le Premier ministre lui-même. De Croo, après de mauvais sondages, pourrait être tenté par le décrochage d’un succès rapide. La question est de savoir comment : en tant que libéral qui veut empêcher une augmentation des taxes, ou en tant que Premier ministre qui veut conclure un accord.
- Il est clair que les socialistes et les écologistes veulent absolument décrocher certains trophées, à commencer par « plus de taxes pour les grandes fortunes et le capital ». Le MR insiste sur une « réforme du marché du travail », notamment en limitant le chômage dans le temps. « Nous devons éviter cette impasse. La réalité est que ce tax shift, s’il a lieu, serait de loin la plus grande intervention sur le marché du travail pour faire travailler plus de gens », déclare un membre du gouvernement.
L’essentiel : L’attaque contre les inconvénients du tax shift a commencé. Cela va être la grande bataille, ce week-end.
- D’un point de vue politique, l’augmentation de la TVA est peut-être le sujet le plus épineux. Van Peteghem veut l’augmenter de 6% à 9% dans son plan, en uniformisant tous les taux. Cela pose problème, symboliquement, tant pour les socialistes que pour le MR : une augmentation du coût du panier de la ménagère est-elle vraiment judicieuse pour le moment ? Il est aussi prévu de réduire la TVA sur certains produits dits durables ou bons pour la santé, mais la balance totale est une hausse de la TVA.
- Au cabinet de Van Peteghem, on cite des études : « Le prix du panier de la ménagère augmenterait en moyenne d’un euro en raison de cette mesure. Alors que les gens gagneraient des centaines d’euros nets en plus dans le cadre de la réforme. C’est un choix qu’il faut oser faire. »
- Du côté de la N-VA, et donc de l’opposition fédérale, c’est là qu’il y a le plus de critiques pour le moment. Et le ministre flamand des Finances, Matthias Diependaele (N-VA), l’a aussi fait savoir :
- « Je suis tout à fait d’accord pour que le gouvernement fédéral augmente les salaires nets, mais c’est la mauvaise façon de le faire. On déplace tout vers d’autres taxes, comme augmenter la TVA, en plus d’autres taxes sur les investissements et la recherche. C’est une grave erreur. »
- « Ces réductions devraient être financées par des économies et des réformes, avec une dépense publique de 56%, nous avons déjà presque les dépenses les plus élevées au monde. »
- « De plus, les retraités vont être les plus grandes victimes : ils vont devoir avaler une augmentation de la TVA, mais ne recevront pas de réductions fiscales. »
- La FEB, la fédération des employeurs, a également formulé de vives critiques ce matin. Ils soulignent que le problème ne réside plus dans le pouvoir d’achat des citoyens, mais dans la compétitivité des entreprises qui a baissé de 4 à 5% : un effet de l’indexation automatique des salaires. « Et quel est le plan ? Donner encore plus de pouvoir d’achat et faire payer les entreprises. N’est-ce pas étrange ? », a déclaré Pieter Timmermans de la FEB ce matin dans Het Nieuwsblad.
Le contexte plus large : La question est de savoir si les régions veulent contribuer financièrement. Ou si elles seront forcées de le faire.
- En préparation du conclave, une autre bataille doit être résolue : qui va régler la facture. Car le niveau fédéral compte sur un « tax shift », avec certains effets de retour, de sorte que la réforme devienne un « tax down ». Mais en même temps, un autre mécanisme est en jeu.
- Les 5,6 milliards d’euros de taxes, qui sont actuellement dans les charges sur le travail et qui seraient déplacés, reviennent en partie aux régions par le biais de l’impôt sur les personnes physiques. Mais le mécanisme est assez complexe, il n’est donc pas évident de prédire quelle sera la « facture nette » pour les régions. D’autant plus que personne ne sait ce qui ressortira exactement de cette réforme, notamment après un conclave qui fera office de « discussion de marchands de tapis ».
- Van Peteghem avait déjà eu des contacts à cet égard : il sentait que la sensibilité des régions s’enflammait. Là-bas, on s’attendait à un coût d’environ 500 millions d’euros par an pour la Flandre, 350 millions d’euros pour la Wallonie et 70 millions pour Bruxelles. L’idée d’un « fonds de compensation », sur lequel les régions étaient plutôt vagues, n’a pas été rejetée par le ministre fédéral des Finances lors d’une réunion avec toutes les parties concernées. Mais cela devait encore être élaboré.
- « En particulier, Di Rupo a demandé deux choses: ‘de la clarté’ et ‘de la créativité’. Logique, car toutes les régions veulent surtout savoir à quoi s’attendre », a déclaré un participant à la réunion. « Et en effet, les francophones veulent être indemnisés pour ce qu’ils vont perdre ».
- Cependant, lundi, la secrétaire d’État au Budget, Alexia Bertrand, a lancé un pavé dans la mare, sur La Première, en parlant d’une facture « de 1,25 milliard d’euros » pour les régions. De plus, elle a rejeté l’idée que les régions doivent être compensées pour ces montants. « Je dis attention. C’est la conséquence du fédéralisme. Compenser les régions comme le demande la Région wallonne remet en question les principes fédéraux », a déclaré Bertrand.
- Cela a provoqué une réaction de la part du PS : aussi bien Elio Di Rupo que Rudi Vervoort, les ministres-présidents de leurs régions, ont réagi avec véhémence.
- « La Wallonie fait déjà des économies, elle ne veut pas que son argent serve à financer le fédéral », a réagi Di Rupo dans La Libre aujourd’hui.
- « Nous ne nous sommes pas prononcés sur la méthode, mais il faudra quand même des compensations », a déclaré Vervoort au même journal.
- Pierre-Yves Jeholet, à la tête de la fédération Wallonie-Bruxelles, voit sa communauté moins affectée par la réforme, puisqu’elle ne dispose pas des mêmes leviers fiscaux que les régions. Il a néanmoins écrit à Van Peteghem, rapporte toujours La Libre, pour veiller à ce que le ministre respecte « un certain équilibre » et ne déforce pas la fédération déjà aux aboies.
- Du côté flamand, l’approche est un peu différente. Au sein du gouvernement flamand, on dit aussi « vouloir le plus rapidement possible une clarté sur les plans », mais en même temps on « ne peut pas être contre une réduction des charges sur le travail ». Une compensation n’est donc pas nécessaire, même si la Flandre perdra certainement un demi-milliard par an si les réformes sont mises en œuvre.
- Cependant, ils ont un principe clair : « Pas un centime de moins pour la Flandre si les autres régions devaient recevoir des compensations. L’égalité devant la loi pour tous », c’est ainsi qu’ils le formulent de manière stricte au sein du gouvernement flamand. Du côté de Van Peteghem, on est d’accord : « Le principe sera bien sûr que nous ferons autant pour chaque région ».
- Mais cela risque de faire enliser la réforme fiscale dans l’un des sujets les plus sensibles et brûlants de la politique de la Rue de la Loi : le financement des régions. La loi spéciale de financement, qui a été introduite après la 6ème réforme de l’État, est une bombe à retardement pour la Belgique francophone : son financement qui provient du fédéral va diminuer avec le temps. Ajouter maintenant le coût d’une réforme fiscale, même s’il s’agit d’une mesure de pouvoir d’achat (pour laquelle le PS ne peut pas aller contre), c’est aller trop loin. Si De Croo et Van Peteghem veulent vraiment progresser ce week-end, ils doivent également clarifier ce problème épineux.

