L’année dernière, les CEO des plus grosses entreprises américaines ont eu une augmentation de leur rémunération de 8,5 %. Leur salaire médian se chiffre désormais à 11,7 millions de dollars (10 millions d’euros). En 2016, leurs salaires avaient déjà augmenté de manière comparable. D’un autre côté, au cours des 20 dernières années, très peu d’Américains ont bénéficié d’augmentations dépassant les niveaux de l’inflation. Faut-il y voir une tendance lourde ?
Les entreprises américaines ont dû publier pour la première fois l’année dernière le rapport entre le salaire de leur dirigeant, et celui de leur employé type. Il en ressort que le CEO moyen a gagné 164 fois l’équivalent du salaire médian perçu par les employés de son entreprises, montre une étude réalisée par Equilar pour l’Associated Press.
Un ratio de 1358 chez Yum Brands
Le salaire annuel du patron de Yum Brands, de 12,3 millions de dollars (environ 10,5 millions d’euros), est 1358 fois plus élevé que le salaire médian des employés de la firme, de 9111 dollars (environ 7782 euros), correspondant à la rémunération annuelle d’un des employés à temps partiel des établissements Taco Bell, une enseigne de la firme.
D’un côté, les patrons profitent de “packages” de plus en plus généreux, et de l’autre, les salariés ne bénéficient plus d’augmentations de salaires. En conséquence, les écarts se creusent.
“Les ratios élevés envoient un message démotivant à la main d’oeuvre. Les entreprises demandent à leurs travailleurs d’en faire plus pour des salaires inférieurs, et pendant ce temps-là, les payes des CEO augmentent”, commente Liz Shuler, secrétaire-trésorier de l’AFL-CIO, le principal regroupement syndical aux États-Unis.
Augmenter les salaires, c’est « has been », disent les patrons
Pourtant, par le passé, les classes moyennes et ouvrières bénéficiaient de hausses de salaire régulières au fil du développement de leur entreprise. Lorsqu’on les questionne à ce sujet, certains patrons de grandes firmes américaines expliquent que cette époque est révolue, et qu’il ne faudra plus compter sur des augmentations de salaire généralisées. Pire, ils ajoutent souvent qu’ils prévoient également de réduire les effectifs de leurs entreprises.
C’est notamment ce qui est ressorti des discussions qui se sont tenues jeudi dernier à la conférence de la Federal Reserve Bank de Dallas. Troy Taylor, CEO de la branche Coca-Cola pour la Floride, a expliqué que son entreprise était actuellement en train de recruter, mais que son objectif à long terme était de réduire ses effectifs grâce à l’automatisation. Les 15 chaînes de fabrication seront modernisées, afin de les rendre plus efficaces. L’objectif est d’y affecter une main-d’œuvre plus réduite qui fera de l’analyse de données, afin d’ajuster la production et la distribution. Désormais, la firme recherche donc essentiellement des profils qualifiés.
Lorsque l’on a demandé aux participants s’ils pensaient que l’on pouvait encore croire aux hausses de salaires généralisées, Taylor a répondu : « Cela ne se produira tout simplement pas. En tout cas, pas dans mon secteur”. Il a par la suite précisé que seuls, les employés techniquement qualifiés pourraient profiter d’augmentations de salaires.
John Stephens, directeur financier chez AT & T, a indiqué que son entreprise ne cherchait plus non plus de personnel peu qualifié : “Je n’ai pas besoin de tant d’employés que ça pour installer des câbles coaxiaux”, a-t-il dit. Son entreprise incite ses salariés à se former pour être capable d’occuper d’autres emplois, en son sein… ou ailleurs.
Un cercle vertueux… avec des effets pervers
Récemment, une étude de la Brookings Institution avait contribué à expliquer pourquoi les salaires stagnent dans les pays occidentaux, malgré la relance économique, et le quasi-plein-emploi dans certains pays. Elle concluait à un partage différent des bénéfices issus des gains de productivité depuis les années 1980.
Elle constatait que le nombre d’emplois est resté stable ou a baissé sur les 50 dernières années dans les secteurs où l’automatisation a généré d’importants gains de productivité (la production textile, la construction automobile, la chimie…). Ces gains de productivité ont fait baisser les prix, ce qui a amélioré le pouvoir d’achat des citoyens, et augmenté la demande pour de nouveaux biens et services. Cela a créé un cycle vertueux créateur d’emplois dans d’autres secteurs.
Le problème, c’est qu’une grande partie de ces emplois sont des emplois précaires et/ou mal rémunérés (dans les secteurs de la restauration, du nettoyage, des services de sécurité, et des soins de santé à domicile).
Ainsi, les revenus totaux des 28 secteurs des 18 pays étudiés dans cette étude ont augmenté de 20 % entre 1970 et 2007. Mais les revenus des employés n’ont augmenté que de 13,5 % à la même époque, contre 32 % pour les revenus des chefs d’entreprise, et les actionnaires.