Les Américains promettent de livrer plus de gaz, mais c’est loin d’être une solution miracle

Les Etats-Unis promettent de livrer 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel supplémentaires jusqu’à la fin de l’année, soit 70% de plus qu’en 2021. Mais du point de vue logistique, cette augmentation pourrait amener son lot de casse-têtes. Et du point de vue sanitaire et écologique, l’extraction du gaz de schiste américain est hautement polluante.

Avec la guerre de Poutine en Ukraine, l’Europe veut s’affranchir des produits énergétiques russes. Une entreprise qui s’avère être un casse-tête : le gaz et le pétrole consommés en Europe viennent en bonne partie de Russie, l’uranium (transformé) aussi, et le charbon également. Ainsi, vouloir réduire une énergie (par exemple le gaz) au profit d’une autre (par exemple le nucléaire) ne modifiera pas fondamentalement notre indépendance. De plus, la menace de Poutine de fermer les robinets comme réponse aux sanctions plane toujours sur l’échiquier.

Le renouvelable est disponible partout et gratuit, en plus d’être meilleur pour le climat que les autres sources énergétiques citées. L’Europe veut en faire sa pièce maîtresse pour devenir indépendante au niveau énergétique et s’affranchir des énergies fossiles russes, et des énergies fossiles tout court, mais le niveau de déploiement nécessaire à cela ne sera pas atteint avant un bout de temps. A court terme, l’Europe cherche donc d’autres sources d’énergie.

Vendredi, dans le cadre de la visite du président américain Joe Biden sur le Vieux continent, un accord de livraison de gaz naturel liquéfié (GNL) a été conclu entre les Etats-Unis et l’Union européenne : les Américains s’engagent à augmenter leurs livraisons de 70%.

15 milliards de mètres cube supplémentaires

En 2021, les Etats-Unis avaient déjà livré 22 milliards de m3. En 2022, 15 milliards de m3 supplémentaires sont prévus d’être livrés. En 2021, les Etats-Unis étaient le premier fournisseur de GNL à l’Europe, représentant 28% des importations. Une part de marché qui a augmenté un an plus tôt, où elle affichait 22%, rapporte BFM Business.

Mais sortir 15 milliards de mètres cubes du chapeau, est-ce seulement possible? Selon des analystes d’ING, cités par CNN Business, ce serait de l’ordre du faisable. « Une augmentation de 15 milliards de mètres cubes par rapport aux niveaux de 2021 devrait être réalisable, en particulier si nous continuons à observer les flux importants que nous avons vus jusqu’à présent cette année », estiment-ils.

15 milliards de m3, ce n’est pas rien. Alex Froley de Independent Commodity Intelligence Services, cité par CNN, calcule que cela correspond à un sixième de la demande annuelle de l’Allemagne en gaz (pays le plus dépendant de la Russie).

Une (petite) aide, mais qui vient avec son lot de (grands) problèmes

15 milliards de m3, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas grand-chose contre les 155 milliards de m3 de gaz naturel livrées par la Russie au continent européen en 2021 par exemple.

Cette augmentation, même si « petite » comparée au gaz russe, est un défi logistique. 15 milliards de m3 de GNL correspondent à 150 navires, des méthaniers pour être précis (qui gardent le méthane à une température de -160 degrés Celsius pour qu’il reste liquide). Jusque 150 navires supplémentaires doivent donc traverser l’Atlantique d’ici la fin de l’année. Sauf que les ports sont déjà sous pression, à cause des retards dans les chaines d’approvisionnement mondiales.

Et en parlant de ports européens : pour accueillir des navires à GNL, il faut des terminaux spéciaux, appelés de terminaux de regazéification. L’Allemagne n’en compte aucun, mais accélère tant qu’elle peut les constructions. L’Irlande lance également des constructions. La Belgique en a un, tout comme les Pays-Bas, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Croatie et la Grèce. La France en a quatre (et annonce ce week-end vouloir en construire un de plus), l’Espagne est la championne avec sept, l’Italie en compte trois, comme la Finlande. Cela devrait donc se bousculer au portillon, comme le veut l’expression, surtout que davantage de navires vont également venir du Qatar.

Après la logistique, vient le souci écologique. Si les Etats-Unis ont cette importante capacité de réserve, c’est que leur production de gaz naturel (et de pétrole) est en grande partie issue de ce qu’on appelle le fracking, ou le gaz de schiste. Le gaz est contenu dans de petites poches dans des couches de sédiments géologiques, notamment de l’argile. Il ne peut pas être extrait comme le gaz naturel, via perforation du sol, mais des composants chimiques sont injectés, avec de l’eau à haute pression, dans la terre pour fracturer cette roche argileuse et libérer le gaz. Ces composants peuvent notamment se retrouver dans les nappes phréatiques par après et ainsi contaminer l’eau et les sols. Ce type de production est en plus extrêmement gourmand en eau, ce qui pose problème dans des zones sèches comme le Texas, et peut créer des risques sismiques.

En Europe, les réserves ne sont pas exploitées à cause des risques écologiques précisément. Mais en se jetant sur le gaz américain, l’Europe contribue à la pollution aux Etats-Unis, ce qui est finalement contraire à ses ambitions pour le climat, qui cherchent à réduire la pollution tous azimuts. Dans cette guerre, la question climatique est définitivement une victime collatérale aussi. Au lieu de cette course effrénée vers des énergies fossiles autres que russes, d’autres voix préconisent alors de réduire la consommation.

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