Quelle crise ? Ce vendredi, le décret fiscal du ministre du Budget a finalement été voté en commission par la majorité. Cette tempête de quelques jours pourrait néanmoins avoir des conséquences au sein du MR. Les parlementaires wallons ont voulu montrer leur indépendance – « Nous ne sommes pas des presse-boutons ». Mais pas au point de provoquer la démission du ministre Crucke et une crise gouvernementale.
C’était un jour important au Parlement de Wallonie. Le nombre de journalistes présents ne trompait pas et a même fait sourire les députés. Le ministre wallon du Budget, Jean-Luc Crucke (MR), à l’origine du décret, semblait revigoré, s’appuyant sur le Conseil d’Etat et l’Inspection des Finances: « Il s’agit d’un décret très complet, très longuement et complètement argumenté, et, sans inférer dans la politique de taxation, répond parfaitement à son objectif d’assurer le concept d’impôt juste. » Le ministre et la majorité veulent envoyer un signal fort: « Les comportements déviants ne peuvent plus être tolérés. » Les abus pour contourner l’impôt ne seront plus acceptés, voilà le message. « La Wallonie n’avait pas toujours l’image d’être assez rigoureuse en la matière », explique le ministre.
Si Jean-Luc Crucke était de nouveau en confiance, c’est parce que ce matin, sur La Première, le chef de groupe des députés de son propre parti, Jean-Paul Wahl, était venu apaiser les tensions: « On est en train d’atterrir (…). Aujourd’hui, le texte satisfait aux parlementaires du groupe MR. »
Pourtant, trois jours plus tôt, le renvoi à l’arriéré du texte avait suscité beaucoup d’interrogations. Plus encore, le ministre du Budget, qui avait porté ce décret depuis le début jusque dans sa dernière ligne droite, promettait de « tirer ses propres conclusions », suggérant sans le dire qu’il pourrait donner sa démission. Au lieu de régler le conflit en interne, voilà une dissension balancée sur la place publique.
Qui est la cible de ce décret ?
Trop émotif, le ministre ? Les députés libéraux voyaient dans ce décret des éléments qui allaient à l’encontre de leurs électeurs, qu’ils ont qualifié de « classe moyenne ». Deux éléments précis ont attiré l’attention médiatique et les craintes : le système de donation (le délai passant de 3 à 5 ans) et l’avantage fiscal lié aux véhicules utilitaires. Le décret, porté par un libéral, était visiblement jugé trop à gauche, Ecolo et le PS défendant bec et ongles le texte de leur collègue au gouvernement. Une situation assez inédite.
Mais qui est la cible de ce décret ? Après les différents commentaires des députés en commission, ce n’est toujours pas très clair, la lutte contre les zones grises pouvant faire des victimes collatérales. Qui a la capacité de contourner ou d’éluder l’impôt ? Qui utilise le mécanisme de la donation pour éviter les frais de la succession ? Le MR a-t-il pris peur d’un décret trop ciblé sur son électorat ? Par le terme « fiscalité plus juste », il y a nécessairement des perdants pour atteindre un meilleur équilibre. En tout cas, le soutien indéfectible des députés PS (Paul Furlan) et Ecolo (Stéphane Hazée et Rodrigue Demeuze) au décret peut nous donner un indice pour répondre à toutes ces questions.
L’ombre de Georges-Louis Bouchez
Sur le plan politique, une autre question surgit : pourquoi les députés libéraux se sont-ils réveillés si tardivement dans le processus ? Certains y ont vu la main du président Georges-Louis Bouchez, ce que ce dernier nie fermement. Mais des fuites dans la presse, y compris en interne, présentent une situation différente. Se jouerait au sein du MR une sorte de lutte idéologique entre le libéralisme social (incarné par Crucke) et un libéralisme plus conservateur (incarné par Bouchez).
Et, à la suite de cette commission et au vote du décret, on est tenté de conclure que la première ligne a vaincu. Un camouflet pour Bouchez? Le président du MR n’a jamais vraiment eu beaucoup d’influence sur le niveau régional wallon. Ses ministres y sont autonomes. Certains lui ont prêté l’intention de vouloir saisir cette occasion pour affirmer son autorité (et se venger de Crucke qui n’a pas toujours eu des mots doux pour son président). Là encore, l’intéressé dément.
Dur à avaler
Au niveau des députés libéraux, leur réponse apportée aujourd’hui ont sauvé le soldat Crucke, qui n’avait pas l’intention de reculer. Pourtant, dans leurs propos, les députés libéraux François Bellot et Jean-Paul Wahl ont voulu marquer leur indépendance et l’importance de tenir des débats, y compris en interne: « Dans une formation politique, il peut également y avoir des approches différentes. J’ai lu et entendu beaucoup de choses (…). Le ministre a notre plein soutien. On s’étonne que des députés donnent leur avis ? Nous ne sommes pas des presse-boutons. Je me réjouis de ce débat interne, de cette liberté de s’exprimer et de débattre. Le compromis que nous avons fait nous mène au vote d’aujourd’hui. »
Qu’est-ce qui a changé dans le décret entre le début de semaine et aujourd’hui ? Là encore, ça ne saute pas aux yeux. Les députés ont dû accepter le décret en contrepartie de quelques amendements techniques pour éviter de porter le poids d’une crise gouvernementale. Un bras de fer s’est joué au sein du MR entre le ministre, les députés et le président. Malgré la bonne ambiance générale devant les caméras, les sourires crispés durant cette commission ont montré que cela avait chauffé. « J’aime bien qu’on me chatouille les pieds de temps en temps, mais pas trop », résumait Jean-Luc Crucke.
Avec l’acceptation de ce décret, les libéraux s’extirpent d’une crise malvenue, aux yeux de tous, ce qui ne profitait finalement à personne. Ils peuvent désormais se vanter d’avoir fait jouer la démocratie. La question est maintenant de savoir quel impact aura ce décret et comment il sera perçu par l’électorat du MR. De son côté, le ministre Crucke reprend lui confiance et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. D’autres textes viendront, a-t-il déjà promis. Ce qui ne plait pas vraiment à Bouchez, partisan d’une approche fiscale plus globale. Ca devrait à nouveau chauffer lundi prochain lors du bureau de parti.