« L’appréciation incessante du dollar » nous mène à la catastrophe, clame l’économiste Mohamed El-Erian

À l’exception du dollar américain, l’année 2022 s’est montrée difficile pour les principales devises. Elles ne cessent en effet de perdre de la valeur, alors que le dollar se renforce. Une situation de prime à bord bénéfique pour les Américains, sauf que les conséquences d’une telle situation pourraient être dramatiques à l’échelle mondiale, prévient l’économiste Mohamed El-Erian.

Depuis le début de l’année, la livre sterling, autrefois dominante, a vu sa valeur baisser de plus de 21% par rapport au dollar. Le yen japonais a accusé une chute de 20%, alors que l’euro et le baht thaïlandais sont tous deux en baisse de plus de 15% par rapport à la devise américaine. Cette dernière ne fait d’ailleurs que se renforcer.

Il faut dire que le dollar est perçu par beaucoup comme une valeur refuge. L’économie américaine est « la chemise sale la plus propre » en l’état actuel de l’économie mondiale, a déclaré Eric Leve, directeur des investissements de la société de gestion de patrimoine Bailard.

Mais les économistes avertissent que la force du dollar n’est pas forcément une bonne chose, elle peut en effet être un cauchemar pour l’économie mondiale.

« Ce qui est clair, c’est que nous avons cette augmentation incessante des rendements, cette appréciation incessante du dollar. Ce sont à la fois de mauvaises nouvelles pour les entreprises et pour l’économie », a assuré Mohamed El-Erian, économiste et président du Queens’ College de l’Université de Cambridge, à CNBC.

La montée en puissance du dollar est principalement due aux « incendies brûlants » qui ont cours partout dans le monde, notamment au Royaume-Uni, a souligné l’économiste, mettant en garde contre les implications potentiellement désastreuses d’une hausse de la devise américaine.

Un risque pour l’économie mondiale

Début septembre, l’homme avait déjà souligné qu’un dollar fort peut être une « bénédiction mitigée. Si la force du billet vert aide à réduire l’inflation aux États-Unis, elle peut entrainer la faillite des pays en développement, alors que le coût de leur dette libellée en dollars monte en flèche. »

Cela a déjà été prouvé par le passé, notamment avec la crise de la dette latino-américaine des années 80. Plusieurs pays en développement d’Amérique centrale et du Sud ont amassé des milliards de dollars en prêts libellés en dollars avec des taux d’intérêt bas au cours des années 70. Cette dette a véritablement explosé lorsque les États-Unis ont considérablement augmenté les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation au début des années 80, causant une crise économique persistante en Amérique latine.

Il n’est pas exclu que cela se reproduise aujourd’hui.

Mais un dollar fort ne représente pas un risque que pour les économies de marché émergentes, souligne El-Erian. « Plus le dollar monte longtemps et haut au-dessus des autres, plus le risque d’une stagflation mondiale prolongée, de problèmes d’endettements dans le monde en développement, de restrictions sur la libre circulation des marchandises à travers les frontières, de grands troubles politiques dans les économiques fragiles et de grands conflits géopolitiques est grand », a-t-il écrit dans un éditorial publié dans le Washington Post.

La « probabilité inconfortablement élevée » d’une récession mondiale renforcée

Dans un article publié sur Bloomberg, l’économiste a souligné que la récente vigueur du dollar américain ne faisait qu’ajouter trois changements de paradigmes clés, créant une « probabilité inconfortablement élevée » d’une récession mondiale.

  • Le dollar fort a poussé les banques centrales du monde à oublier les politiques de soutien au profit de politiques restrictives pratiquement à l’unisson pour contrer l’inflation – autrement dit, à augmenter leur taux d’intérêt, afin de réduire les dépenses.
  • La croissance économique mondiale s’en voit « ralentie considérablement », alors que les trois économies les plus importantes du monde, les États-Unis, l’UE et la Chine, continuent de perdre leur élan
  • Le processus de mondialisation qui a contribué à la tendance déflationniste dans le monde au cours de deux dernières décennies est en train de s’estomper en raison des « tensions géopolitiques persistantes« .

Ces changements de paradigmes n’ont été qu’aggravés par les politiques gouvernementales, a conclu El-Erian. L’économiste a par ailleurs appelé les décideurs politiques à cesser d’ajouter à la volatilité.

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