La polémique persiste. Il y a un mois, Conner Rousseau, président de Vooruit, était au cœur d’une controverse suite à une soirée arrosée dans un café, à Sint-Niklaas, où il a tenu des propos visant la communauté Rom, suite à une intervention policière. Hier soir, en prime time, il a tenu une conférence de presse depuis ce même café, présentant ses excuses. Mais celles-ci n’ont pas satisfait les partis flamands Groen et cd&v, dont les présidents, Nadia Naji et Sammy Mahdi, ont vivement réagi. Naji est même intervenue à la radio pendant de longues minutes pour juger les propos racistes de son collègue : « Il n’y a pas de circonstances atténuantes », affirmait-elle, ajoutant que Rousseau « doit prendre du recul et envoyer un message fort ». Sammy Mahdi, président du cd&v, évoque lui « une vision du monde qui donne la nausée ». De son côté, Unia, le Centre pour l’égalité des chances, s’est emparé de l’affaire. Sa directrice, Els Keytsman (ancienne membre de Groen), dénonce des « incitations à la discrimination voire à la violence » et prend l’affaire très à cœur, soulignant que Rousseau est une figure publique et un président de parti. Cette alimentation de la controverse suggère que Rousseau aura du mal à tourner la page. La grande question reste de savoir comment cette affaire, omniprésente sur la scène politique belge, est perçue par l’électeur flamand. La communication de Rousseau semble principalement axée sur cette dernière cible, parfois au détriment de sa relation avec les médias.
À la une : Conner Rousseau demeure sous les feux des projecteurs.
En détail : Sammy Mahdi (cd&v), Nadia Naji (Groen), Zakia Khattabi (Ecolo), Hadja Lahbib (MR) et Raoul Hedebouw (PVDA) s’insurgent tous contre des excuses jugées « aggravantes ».
- Il a été unanimement reconnu hier, dans le monde politique belge, que la conférence de presse organisée par Rousseau était parfaitement orchestrée. « C’est un communicateur exceptionnel. Sa capacité à parer chaque question, manifestement bien préparée à l’avance, est remarquable« , témoigne une figure emblématique de la coalition Vivaldi.
- Rousseau a soigneusement choisi de s’exprimer en prime time, durant les JT flamands de 19h15, pour s’adresser directement aux citoyens, sans l’intermédiaire des journaux ou d’une interview individuelle. Sur VTM Nieuws, son intervention a été diffusée intégralement. Sur la VRT, l’intervention a été plus concise et suivie d’une analyse dans l’émission Terzake.
En bref, voici ce qu’il a déclaré :
- Rousseau a d’abord contextualisé : « Dans mon quartier, il y a depuis longtemps une frustration concernant les nuisances, les déchets et les actes d’intimidation. »
- À propos de cette soirée au café ‘t Hemelrijk : « Après avoir consommé de l’alcool, j’ai engagé une conversation avec quelques policiers. J’ai mal exprimé la frustration ressentie par de nombreux riverains. »
- Puis sont venues les inévitables excuses : « Même si je tenais des propos en état d’ébriété, j’ai été choqué par mes propres mots. Ils étaient inappropriés et je tiens sincèrement à m’excuser. »
- Notons qu’il a refusé de répéter ce qui lui était reproché dans le rapport. Bien qu’il ait esquivé certaines questions, il semblerait qu’il remette en question certains points du rapport, puisqu’aucune déclaration raciste n’est visible sur les vidéos. « Ce sont des mots que je ne dirais jamais sobre, donc je refuse de les répéter maintenant. »
- Des informations provenant du rapport mentionnent des termes comme « racaille brune », à « traiter à coups de matraque » – un vocabulaire souvent tenu par l’extrême-droite flamande – à l’encontre des Roms.
- Enfin, à propos de l’accusation de racisme : « C’est aux autorités judiciaires de trancher. Mais pour être coupable, il faut avoir l’intention de blesser quelqu’un. Ce n’était pas mon cas. »
Au cœur du sujet : Rousseau modifie les règles tacites régissant les relations entre les politiques et les médias.
- Sa décision de répondre directement par le biais des journaux télévisés est caractéristique de sa démarche. C’est lui qui établit les règles du jeu avec la presse, pas l’inverse. Il n’hésite pas à agir de manière atypique, allant jusqu’à introduire une requête unilatérale en justice pour empêcher une publication.
- Après la conférence de presse, « Het Laatste Nieuws » publiait l’article qui lui avait été interdit de publier, suite à la décision d’un juge. Le média y a fait référence à des propos présumés racistes, relatés dans le rapport de la police de Sint-Niklaas, émis dix jours après les événements incriminés. En faisant cela, DPG Media s’exposait à une astreinte. Rousseau a prétendu vouloir prendre connaissance de la plainte avant qu’elle ne fuite dans la presse. L’argument n’avait plus lieu d’être après la conférence de presse.
- Le jeune trentenaire, véritable phénomène de la politique flamande, mi-président, mi-people, a surpris le milieu politique de la Rue de la Loi, avec son approche audacieuse et son contrôle absolu de son image publique. Si des partis tels que le N-VA et, plus particulièrement, le Vlaams Belang ont historiquement entretenu des relations complexes avec une partie de la presse, ni Tom Van Grieken (Vlaams Belang) ni Bart De Wever (N-VA) n’avaient jamais osé emprunter la voie de Rousseau.
- Il en découle une question : si un leader d’extrême droite avait agi ainsi, comment la presse aurait-elle réagi ? Rousseau, de son côté, semble peu préoccupé par le politiquement correct, ce qui commencer à poser problème à certains journaux qui y voient un enjeu capital pour la liberté de la presse.
- Sa stratégie a été de s’adresser directement aux citoyens via une conférence de presse. La seule question pertinente pour Rousseau est de savoir comment l’électeur flamand moyen juge toute cette affaire. Sa communication visait à clarifier la situation. Ce n’est peut-être pas tant l’incident raciste lors d’une soirée au bar qui est important, mais l’image qui émerge du président de Vooruit, constamment au centre des controverses.
- L’impact de son recours à la justice, équivalant de facto à une censure préventive, a profondément ébranlé la presse écrite. Les relations avec Rousseau ont indéniablement tourné au vinaigre. L’empathie dont il jouissait a totalement disparu, surtout après ses excuses orchestrées.
- Néanmoins, cela s’inscrit en parfaite harmonie avec la perception que Rousseau a de son rôle politique. Loin d’être l’archétype du politicien « terne soumettant des projets de loi en costume », il s’est décrit lors d’un débat à l’UGent, il y a quelques jours, comme un homme du peuple, proche des réalités quotidiennes, mais aussi comme une figure influente sur les réseaux sociaux et de fait une célébrité.
- Cependant, pour une telle figure publique, les règles médiatiques diffèrent. Il ne s’agit plus simplement de suivre le parcours traditionnel d’un politique face à un journalisme critique. La célébrité a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Quelles sont les règles pour ce type de politicien-people ?
- « En fin de compte, nous nous retrouvons avec des politiciens qui organisent des conférences de presse dans des bars, passent en direct au JT et émettent des déclarations provocantes à la manière de Trump. La communication semble désormais primordiale, reléguant le reste de l’action politique au second plan », déplore un membre du gouvernement.
L’histoire est loin d’être terminée : Ce matin, une offensive a été lancée par Groen et Ecolo, et même le MR.
- Une riposte vigoureuse a vu le jour. Depuis Molenbeek, Nadia Naji, la présidente de Groen, s’est rendue aux studios de Reyers. Sur Radio 1, elle n’a abordé qu’un seul sujet : Rousseau.
- Elle a confié avoir hésité à participer, car le sujet portait sur un autre parti et un autre président. Toutefois, elle a fermement critiqué ce dernier en réitérant : « Le racisme est du racisme. Il n’existe aucune circonstance atténuante. »
- Elle a ensuite déconstruit la défense de Rousseau : « J’ose espérer que ce n’était pas volontaire. Si une personne ivre renverse quelqu’un en voiture, ce n’est pas intentionnel, mais les dommages sont réels. »
- Elle a ajouté, avec une pointe de déception : « Un allié dans la lutte contre le racisme me manque. En tant que progressistes, nous devons unir nos forces. »
- Selon elle, les excuses de Rousseau ne suffisent pas : « Elles doivent aller plus loin et il doit envoyer un message fort. »
- Dans la même matinée, Sammy Mahdi, le président du cd&v, a partagé un message critique sur Facebook : « Je ressens le besoin de réagir. Quand j’étais enfant, j’étais perçu comme de la ‘racaille brune’ par l’extrême droite. Et il semble qu’en état d’ébriété, certains socialistes pensent de même. »
- « Ceux qui cherchent à nous diviser doivent être repris collectivement. Que ce soit ‘tous les blancs sont racistes’ ou ‘racaille brune’, cette vision du monde est répugnante, même sans l’influence de l’alcool. »
- De vives réactions ont aussi émané du gouvernement fédéral, malgré la participation de Vooruit dans la majorité. La ministre Ecolo, Zakia Khattabi, a réagi dans une série de tweets. Elle a été particulièrement choquée par la défense de Rousseau : « Sa manière d’aborder le problème semble désormais pire que le problème lui-même. Je ne me remets pas de telles déclarations d’un leader de la gauche. »
- Hadja Lahbib, la ministre des Affaires étrangères du MR, a également pris position : « Le racisme pour rire, c’est du racisme. Le racisme ivre, c’est du racisme. Le racisme après excuses reste du racisme. » Une prise de position qui a été remarquée, surtout de la part d’une ministre qui, il n’y a pas si longtemps, était sous pression, suite aux critiques des socialistes.
- A gauche, Raoul Hedebouw (PTB) a également tenu à s’exprimer : « Moi quand je suis bourré, je ne me mets pas à gueuler des insultes racistes », a-t-il affirmé sur la RTBF radio. « Il est grave qu’un président de parti qui se dit être de gauche puisse tenir des propos racistes, avec la pseudo-excuse qu’il était bourré. Tout le monde sait très bien que boire de l’alcool désinhibe, et que cela fait ressortir ce que l’on pense vraiment. »
- Et les socialistes francophones dans tout cela ? Silence radio sur les réseaux sociaux de la part du président Magnette. Son porte-parole a daigné répondre à La DH : « Paul Magnette regrette fermement les propos tenus par Conner Rousseau. Ils sont inacceptables, quelles que soient les circonstances. » On a déjà vu le bourgmestre beaucoup plus véhément à l’encontre de ses adversaires politiques. Thomas Dermine, le secrétaired d’Etat à la Relance, « condamne fermement » les propos du président de Vooruit, mais ajoute que la famille socialiste restera « unie ».
L’histoire est loin d’être terminée (bis) : Unia entre en scène.
- Ce matin, une nouvelle tournure à cette histoire. Inititée par Els Keytsman, autrefois engagée au sein des écologistes, qui est intervenue dans les studios de la VRT peu après Naji. Directrice d’Unia, le Centre pour l’égalité des chances, elle s’est sentie dans l’obligation d’intervenir.
- Elle a déclaré qu’Unia « initiait une enquête contre Rousseau ». Et elle s’est exprimée avec fermeté : « Au vu de ce que nous avons entendu, cela ressemble fort à une incitation à la discrimination et potentiellement à la violence, surtout s’il a réellement demandé aux agents de police d’user de la matraque contre une certaine communauté. De plus, en parlant de ‘ces racailles brunes’, il aurait fait allusion à la communauté Rom, ce qui est manifestement un discours raciste. »
- « Si ces allégations sont avérées, nous y accorderons une grande importance. Nous les condamnons, surtout venant d’une personnalité publique, d’un chef de parti et d’un élu s’adressant en outre à des policiers. Tout individu commettant un tel acte mériterait d’être blâmé, mais c’est d’autant plus grave venant de quelqu’un avec un tel statut. »
- Unia envisage de déposer plainte ou de se constituer partie civile dans l’enquête en cours.
L’histoire est loin d’être terminée (tris) : Du côté des socialistes flamands, on n’est guère impressionné ni par Naji ni par Unia.
- « Ils s’acharnent sur les socialistes », c’est ainsi qu’une source bien informée décrivait ce matin la double offensive venant à la fois de Groen et d’Unia. « Les gens ne sont-ils pas capables de lire dans leur jeu, se demandant pourquoi Unia souhaite soudainement jouer un rôle aussi central ? », commente un ténor.
- Quant aux critiques de Naji envers Rousseau, elles sont accueillies avec un certain sarcasme par les socialistes : « N’oublions pas qu’elle doit son poste de présidente à Rousseau. N’a-t-elle pas été propulsée à la tête de Groen, sans réelle expérience, parce qu’ils voulaient absolument quelqu’un originaire de Molenbeek après les commentaires de Rousseau sur cette commune ? Sans cela, elle serait restée dans l’ombre. »
- La confrontation entre Groen et Vooruit exacerbe des tensions existantes depuis un moment. Rousseau ne cache pas son peu d’intérêt pour Groen et Ecolo en tant que partenaires principaux pour la future coalition de 2024.
- Chez Groen, une certaine indignation monte face à un parti de gauche qui semble s’éloigner de leur vision du monde. La direction de Groen s’affirme comme le seul vrai parti progressiste, un titre qu’ils assument pleinement. Cependant, cette posture les place en désaccord avec Rousseau sur bien des débats.