Après une nuit cauchemardesque, où Vandenbroucke a déchiré des documents et où Gilkinet a menacé de faire tomber le gouvernement, De Croo trouve un accord sur le budget

Après une nuit blanche, la Vivaldi atterri sur un accord pour son budget jusqu’à la fin de la législature. Un effort supplémentaire de 0,3% du PIB sera bien consenti.

Selon la règle des trois tiers – un tiers d’économie, un tiers de nouvelles recettes (impôts) et un tiers de divers – la Vivaldi a dégagé un accord.

Économies

  • Des économies seront réalisées, notamment dans le versement partiel de la 4e tranche de l’augmentation de la pension minimale, réduite de 25%. La Vivaldi récupère 126 millions d’euros. Cela représente un manque à gagner d’une dizaine d’euros pour les personnes concernées. Mais la pension minimale a déjà dépassé les promesses initiales du gouvernement, bien au-delà des 1.500 euros. En 2024, elle devrait atteindre 1.622 euros (plutôt que 1.633).
  • Ailleurs, cette 4e tranche ne sera pas versée pour les allocations de chômage, le revenu d’intégration sociale et la grapa. En tout, sur le volet social, la Vivaldi économise autour de 374 millions d’euros.
  • Il y a également une « sous-utilisation » de 200 millions d’euros dans les soins de santé : de l’argent qui était prévu mais qui n’a pas été dépensé.

Recettes

  • La taxe sur les multinationales devrait rapporter 634 millions d’euros sur deux ans. Il s’agit de la taxe initiée par l’OCDE, elle ne porte donc par vraiment le sceau de la Vivaldi, mais c’est une manne financière bienvenue.
  • Il est question d’un report de l’augmentation de la déduction fiscale pour les investissements des entreprises.
  • D’une augmentation des accises sur le tabac.
  • Comme lors de chaque conclave budgétaire, le gouvernement s’engage à intensifier la lutte contre la fraude fiscale. La remise à l’emploi est également visée, avec une meilleure collaboration entre les Régions : devoir passer la frontière ne sera plus un argument suffisant pour refuser un job.

En tout, la Vivaldi fait un effort budgétaire de 1,75 milliard d’euros, comme voulu par le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD), après une longue bataille qui a opposé l’aile gauche et l’aile droite de la Vivaldi, parfois avec fracas. Devant la Chambre, ce jeudi, le Premier ministre s’est aussi réjoui du rapport du Comité de monitoring, qui indiquait, avant le conclave budgétaire, que la situation budgétaire s’était améliorée de 1,1% du PIB, par rapport à la rédaction du budget en octobre, soit l’équivalent de 6 milliards d’euros.

L’analyse

À retenir : La « méthode De Croo » a conduit à une profonde frustration. Mais elle a fonctionné…

  • « C’est ce qui se passe à chaque fois : improviser, tourner et y retourner. Pas de direction, pas de plan. Invisible de toute façon. » Un participant soupire et souffle : la façon dont le Premier ministre mène ce type de négociations avec ses sept vice-premiers ministres n’est pas orthodoxe, c’est le moins que l’on puisse dire. Tantôt par la force verbale brute, tantôt en traitant volontairement ce à quoi les autres partis s’étaient déjà engagés.
  • Une autre source ajoute « que c’est la dernière fois que nous devions faire cela, c’est peut-être pour cette raison que ça s’est passé comme ça ». Après tout, l’audit budgétaire de mars est, de l’avis général de la rue de la Loi, la dernière fois que cette équipe s’assoit autour de la table pour parler chiffres. Effectivement, à partir de l’automne, nous serrons en pleine campagne électorale et il n’y aura plus rien à faire.
  • En ce sens, De Croo obtient tout de même ce qu’il souhaitait : un effort supplémentaire pour que le budget 2023 soit un peu mieux ordonné. Ces derniers jours, il n’a rien voulu lâcher : il fallait réduire le déficit de 0,3 % du PIB. Bien que la gauche ait continué à se battre sur ce point, il a gardé le cap : « Tout le monde a fini par comprendre qu’il fallait de toute façon faire quelque chose, les chiffres étaient simplement trop négatifs », reconnaissent aujourd’hui les socialistes.
  • Le Premier ministre a habilement exploité le seul élément qu’il maîtrise totalement : l’ordre du jour. En effet, c’est le Premier ministre qui fixe le rythme et qui peut accélérer ou ralentir. Mercredi encore, plusieurs sources considéraient la situation comme délicate, bien que De Croo ait commencé à faire quelques ouvertures dans les discussions bilatérales avec les socialistes.
  • Mais d’autres sources gouvernementales étaient préoccupées : « De Croo a annoncé partout qu’il participerait au Tour des Flandres pour les coureurs amateurs le samedi, il fallait donc concrétiser vite. »
  • De Croo a fait le forcing : les vice-premiers ministres ont siégé ensemble dès 20h30, et ce, durant toute la nuit. Il était clair que le Premier ministre visait le jeudi après-midi, pour proposer un accord devant la Chambre.

Le drame : « Son ‘ami’ Vandenbroucke a déchiré des documents », raconte avec empressement un initié.

  • La réunion de la veille avait encore des répercussions ce matin, surtout après que La Libre eut révélé que Georges Gilkinet, vice-premier ministre d’Ecolo, s’était montré très contrarié par le dossier de l’énergie nucléaire. Les petits réacteurs SMR et le nombre de centrales nucléaires à maintenir ouvertes ont fait partie des discussions. L’inévitable Georges-Louis Bouchez (MR) n’a pu s’empêcher de mettre son grain de sel, sur Twitter, devant les tergiversations de la ministre de l’Energie : « Les positions de Tinne van der Straeten conduisent la Belgique dans le mur. Si elle ne vient pas avec un projet sérieux pour les SMR, c’est le Parlement qui s’occupera du dossier. Les verts réalisent que le nucléaire sera dans le mix énergétique du futur et sont nerveux. »
  • Ecolo voulait garder la porte fermée sur le nucléaire, malgré un soi-disant changement d’ADN. « Si c’est comme ça, on peut aussi aller aux élections en mai », a même menacé Gilkinet à trois reprises, au sein du kern. Seulement, le vice-premier ministre d’Ecolo ne pèse pas vraiment à la table des négociations : tout le monde sait qu’il n’est pas l’homme qui poussera à bout ou fera tanguer l’équipe.
  • Par contre, hier soir, le vice-premier ministre Frank Vandenbroucke en a eu assez des tentatives persistantes de De Croo d’empêcher l’augmentation des pensions minimales. Surtout lorsque des propositions d’économies dans le domaine des soins de santé, son domaine de prédilection, ont été ajoutées. Par un geste de colère, Vandenbroucke a déchiré les tableaux budgétaires du Premier ministre. Les socialistes étaient diamétralement opposés au Premier ministre.
  • « Il s’est vraiment fait remarquer. D’habitude, ce sont les autres, mais cette fois-ci, les socialistes étaient en colère contre le Premier ministre. Et surtout son ‘ami’ Vandenbroucke. Car oui, tout d’un coup, ils ont touché à ‘ses’ soins de santé », témoigne une source.
  • Mais après une matinée de concertation très matinale, le Premier ministre a éteint l’incendie : les pensions n’étaient rabotées qu’à la marge. Et les socialistes ont obtenu ce qu’ils considèrent comme un gros poisson : des centaines de millions d’euros de nouvelles taxes pour les multinationales. « Nous nous sommes beaucoup battus pour cela, c’est enfin une répartition équitable des efforts », a déclaré une source rouge haut placée.
  • « Il faut reconnaître qu’ils ont concédé beaucoup sur ‘leurs’ dépenses sociales. Ensuite, ils doivent gonfler l’histoire de ce nouvel impôt et le vendre comme leur victoire, c’est sûr », est un autre son de cloche parmi les vice-premiers ministres.
  • Quant aux libéraux, ils ne tarissent pas d’éloges à l’égard du Premier ministre. Et cette méthode ? « Il n’y a rien de mal à cela, c’est même constructif et respectueux », répond l’un d’entre eux. Et les conflits et les drames à la table des négociations ? « Cela fait partie du processus. Il est logique que des frustrations apparaissent. Il y a des moments de crise. Et le fait que nous puissions atterrir par la suite montre que tout le monde reste à la table et continue à travailler ensemble ».
  • Il est d’ailleurs à noter que le MR n’a pas revendiqué le rôle principal dans le drame cette fois-ci. Le vice-premier ministre du MR, David Clarinval, par exemple, avait une autre préoccupation ces derniers jours : mettre du sel dans du beurre. Littéralement. Clarinval avait été interpellé par le secteur agricole, dont il est d’ailleurs le ministre fédéral, pour ce qui lui reste de compétences : ils se plaignaient que les règles concernant le sel dans le beurre soient particulièrement strictes en Belgique, alors que ce n’est pas le cas dans les pays voisins. Résultat : dans les magasins, il y a du beurre salé, mais il ne vient pas de chez nous.
  • Clarinval a voulu remédier à cette situation et, selon LN24, s’est inévitablement heurté à Vandenbroucke qui, en tant que ministre de la Santé, met en garde contre le sel et ses conséquences médicales. Lui-même, comment pourrait-il en être autrement, serait un amateur de margarine. Mais, toujours selon les sources de la chaîne de télévision, ce serait finalement la femme de Vandenbroucke, qui aime le beurre, qui l’aurait fait changer d’avis. Quoi qu’il en soit, Clarinval a obtenu ce qu’il voulait cette fois-ci : du beurre salé.

Considération importante : la Vivaldi va maintenant économiser davantage sur le budget. Est-ce suffisant? Chaque institution et expert met en garde et continuera très probablement à le faire.

  • C’était un rapport alarmant de la Commission européenne en décembre : la dette publique belge atteindrait 106 % du PIB. La Belgique est ainsi entrée dans la liste, également connu sous le nom de Club Med, aux côtés de cinq autres pays qui avaient une dette de plus de 100 % du PIB. De cette liste, la Belgique est le seul pays qui verra sa dette augmenter à nouveau, entre 2022 et 2024, de 2,4 %.
  • Beaucoup plus récemment, il y avait l’avertissement de la Banque nationale, avec le président Pierre Wunsch à la Chambre. Il prévenait : « Je ne dis pas que nous ferons faillite l’année prochaine, mais le déficit est insoutenable à long terme ». Il a également indiqué qu’une augmentation du taux d’emploi est une exigence minimale, mais pas suffisante. « On ne peut pas tout miser là-dessus. Si la politique reste inchangée, nous nous dirigeons vers un mur ». En interne, la Banque nationale avait suggéré d’économiser 0,3% lors du conclave budgétaire à venir. De Croo est alors entré en guerre.
  • L’Agence de la dette a également proposé son analyse. Notamment des estimations sur le fardeau des intérêts sur cette gigantesque dette nationale. On parle de 10,69 milliards d’euros par an, d’ici 2027. Toujours le même constat : commencer à épargner maintenant, et créer un « delta » dans la courbe haussière, aura d’énormes effets à long terme.
  • Un effort supplémentaire non pas de 0,3 %, mais de 1 % est en fait nécessaire chaque année pour réduire le déficit budgétaire, stabiliser la dette publique et respecter les règles de la zone euro. C’est ce que le Bureau fédéral du Plan a finalement calculé.
  • Depuis l’opposition, la N-VA a immédiatement réagi de façon critique ce matin : « Le niveau d’ambition de De Croo est donc encore 3 fois trop bas. La Belgique bloque », a tweeté le député et expert budgétaire Sander Loones. « Nous heurterons le mur si la Vivaldi continue comme ils le font. Le FMI demande 0,8 %, la Commission européenne 1 %. Si vous mettez ça en perspective, on devrait faire trois fois plus, De Croo propose trois fois moins, et le PS et Ecolo jubilent encore. »

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