Quel sera le montant de l’amende européenne si la Vivaldi ne met pas en œuvre la réforme des pensions ? Cette question revêt une grande importance politique, car c’est le bâton avec lequel les partis de droite comptaient battre le PS au sein du gouvernement fédéral. La Commission européenne ne veut débloquer la première tranche d’aide européenne de 850 millions d’euros que si la Belgique met en œuvre la réforme des pensions promise. Le PS freine des quatre fers, la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) ne voulant plus rien ajuster qui pourrait nuire à ses partisans. Si l’amende venait à être élevée, les plans ambitieux du secrétaire d’Etat à la Relance, Thomas Dermine (PS), fonderaient comme neige au soleil. Jusqu’à présent, la Belgique n’a donc pas osé demander officiellement cette tranche : pour l’instant, elle emprunte pour financer les projets qui font partie du plan de relance européen. Mais voilà qu’une étude vient d’être réalisée par le SPF Economie, qui parle de « quelques dizaines de millions seulement » comme amende maximale. La Cour des comptes a semblé le confirmer à la Chambre, ce qui met immédiatement le PS sur du velours : on ne fera rien avaler qui nuit à la précédente réforme de juillet dernier aux socialistes. L’opposition réagit déjà vivement, par la voix du spécialiste du budget, Sander Loones (N-VA) : « Si l’on est si convaincu qu’il n’y aura pas d’amende sérieuse, pourquoi le gouvernement ne demande-t-il pas tout de suite la tranche ? » Par ailleurs, il constate que la Cour des comptes n’a pas vérifié les calculs du SPF Economie, qui dépend de Pierre-Yves Dermagne (PS).
Dans l’actualité : « Pas des centaines de millions d’euros d’amendes », semble confirmer la Cour des comptes.
Les détails : Une bataille féroce se déroule au sein de la Vivaldi sur l’estimation de cette amende européenne. Car c’est le moyen de continuer à forcer le PS à s’asseoir à la table des négociations sur les pensions.
- « Je ne peux pas donner un montant exact, mais nous estimons plutôt la perte à quelques dizaines de millions d’euros, trente, quarante, cinquante, si la réforme des pensions ne se concrétise pas. » Ces déclarations de Rudi Moens, conseiller à la Cour des comptes, venu expliquer le budget dans l’hémicycle hier, ne sont pas innocentes.
- La réaction ne s’est donc pas fait attendre : sur quoi la Cour des comptes s’est-elle basée pour donner des informations aussi sensibles sur le plan politique ? Il s’agit d’une étude du SPF Economie, une administration qui dépend du vice-premier ministre socialiste, Pierre-Yves Dermagne, et dont les responsables sont connus pour la couleur de leur sang. Sander Loones (N-VA) a demandé si le modèle de calcul du SPF Economie avait été validé. Ce qui ne semble pas le cas.
- Mais la nouvelle a fait l’effet d’une bombe : si ces modèles de calcul sont corrects, cela pourrait bien changer toute la dynamique à la table des négociations de la Vivaldi.
La vue d’ensemble : La négociation est une question de leviers. Le PS le sait aussi.
- Les députés présents ont tout de suite compris qu’il était question de bien plus que d’une « simple » amende : depuis des mois, les milieux fédéraux discutent de la réforme des pensions. La tentative d’obtenir une véritable avancée dans ce domaine a donné lieu à un affrontement très vif au sein de la Vivaldi, entre la droite et la gauche, juste avant la pause estivale de 2022. Le PS a fait des pieds et des mains pour limiter la possibilité de faire travailler les gens plus longtemps.
- Après tout, le PS avait déjà obtenu son grand trophée dès le début de la législature : l’augmentation de la pension minimale à 1.500 euros nets, qui est depuis devenue encore plus élevée en raison de l’inflation. En contrepartie, la ministre Lalieux était censée coopérer pour porter le taux d’emploi à 80 % en Belgique, mais dans la pratique, il n’y avait plus guère de leviers pour pousser le PS à relever, entre autres, l’âge effectif de la retraite : leur trophée était déjà acquis. Suppression des prépensions, flexibilité pour travailler plus longtemps, changement des régimes favorables aux chemins de fer ou aux fonctionnaires : autant de tabous pour les socialistes francophones et, dans leur sillage, Ecolo.
- Mais le reste de la Vivaldi semblait néanmoins avoir un outil en main pour faire pression sur le flanc gauche, et corriger la précédente réforme des pensions qui n’allait pas assez loin : la Commission européenne. Après tout, c’est la Vivaldi elle-même, avec le secrétaire d’État Dermine, qui a promis à l’Europe de faire une série de réformes en Belgique en échange d’un paquet de 4,5 milliards d’euros d’aide européenne.
- Et cela inclut les pensions qui, au moins en termes de coût, ne devaient pas dépasser le niveau de 2019 : aucune réforme ne doit ajouter un boulet financier supplémentaire au coût du vieillissement, dixit la Commission. Cet objectif n’a manifestement pas été atteint, l’été dernier.
- Le PS était agacé par cette situation : Paul Magnette (PS), entre autres, a déclaré haut et fort « que l’Europe ne devait pas venir s’immiscer dans les politiques sociales des Etats membres ». Mais la vraie question dans la rue de la Loi restait de savoir comment l’Europe punirait la Belgique si la Vivaldi ne tenait pas sa promesse de maintenir les pensions au moins au prix coûtant de 2019.
- En déclarant « qu’il ne s’agira que de dizaines de millions », la Cour des comptes et le SPF Économie enlèvent tout piquant au dossier. Si ce montant est correct, bien sûr.
L’essentiel : la bagarre des chiffres se poursuit. Mais la Vivaldi évite soigneusement de se précipiter : le gouvernement préfère emprunter, que de se mettre l’Europe à dos.
- Le jeu du « à combien s’élèvera l’amende européenne ? » fait rage depuis un certain temps, à propos du plan de relance et de la réforme des pensions. Début avril, le chef de file du PS, Thomas Dermine, évoquait lui-même une « perte de 150 à 200 millions d’euros », mais la secrétaire d’Etat au Budget, Alexia Bertrand (Open Vld), parlait plutôt d’un « montant certainement plus élevé ».
- Dans De Tijd, le vice-premier ministre David Clarinval (MR) a également cité ce dossier hier. « En ne réformant pas, nous transmettons la facture aux générations suivantes et nous risquons de perdre près de 800 millions d’euros pour le plan de relance de Thomas Dermine (PS). Nous sommes déjà obligés d’emprunter. C’est bizarre que Dermine pense que tout cela soit acceptable ».
- Ce faisant, Clarinval a souligné un détail douloureux : la Belgique n’a pas introduit de demande officielle auprès de la Commission pour payer la première tranche de 847 millions d’euros, afin d’éviter l’amende. En conséquence, elle a dû emprunter de l’argent pour mettre en œuvre les projets : l’équipe fédérale a préparé pour 954 millions d’euros de projets de relance, le reste des 4,5 milliards d’euros allant aux Régions. Mais ces projets ne doivent pas être retardés, sinon l’argent ne sera tout simplement pas versé.
- D’autres membres de la Vivaldi critiquent vivement les nouveaux chiffres : « Il nous semble qu’il s’agit d’un calcul personnel de Dermine, basé sur ce qu’il entend de la Commission, plutôt que sur la réalité ». Ces mêmes critiques soulignent que de nouvelles règles budgétaires arrivent, ce qui ne fait que pousser pour des réformes cruciales et plus profondes au sein des Etats membres. « Nous pouvons donc douter de la crédibilité d’une si petite amende. Ce serait un signal très étrange de la part de la Commission, à la lumière de sa stratégie plus large », affirme une source gouvernementale de haut rang.
- « Si le risque et donc les amendes sont si faibles, pourquoi le gouvernement De Croo n’ose-t-il pas demander ce financement européen ? », se demande Loones à la Chambre. « La Belgique risque de perdre toute crédibilité auprès de la Commission européenne et cela nous coûtera cher à l’avenir. En effet, seuls les États membres qui se réforment pourront bientôt compter sur une certaine flexibilité européenne. Quel signal la Belgique envoie-t-elle si nous nous balayons une de nos propres promesses ? »
- Dans les semaines à venir, la réforme des pensions devrait de toute façon être clarifiée : avant le 21 juillet, le Premier ministre souhaite que ce dossier, ainsi que ceux d’Engie, et de la réforme fiscale, soient réglés.