De Croo se donne jusqu’au 21 juillet pour réformer la fiscalité, mais des sources gouvernementales sont sceptiques : « Je ne vois pas comment on pourrait y parvenir »

Aujourd’hui, la Vivaldi se réunit à nouveau au sujet du monstre du Loch Ness de la rue de la Loi : la réforme fiscale, qui ne cesse de surgir et de disparaître sans devenir concrète. Entre-temps, à la Chambre, le Premier ministre De Croo a fixé une nouvelle date butoir à ce sujet : « Nous voulons absolument être prêts pour le 21 juillet et les vacances d’été. » C’est nécessaire, sinon la réforme ne pourra pas entrer en vigueur au cours de cette législature, comme les sept partis l’avaient convenu en octobre de l’année dernière, lors de l’élaboration du budget. Néanmoins, les membres du gouvernement restent très sceptiques : « Je ne vois pas comment on pourrait y parvenir », nous explique un membre du kern, le comité ministériel restreint. D’abord, il n’y a pas d’accord sur la question de savoir qui doit bénéficier du tax shift : tout le monde ou seulement les personnes à faibles revenus ? Ensuite, il n’y a pas d’accord sur les modalités de financement : faut-il augmenter la TVA, les entreprises devront-elles passer à la caisse, et les régions et les communes doivent-elles aussi contribuer indirectement ? « Il faut y aller pas à pas et faire déjà des choix aujourd’hui », se rassure un vice-premier ministre. Par ailleurs, les pensions et Engie traînent également en longueur, mais il n’est pas question de lier les dossiers, assure-t-on au cabinet du Premier ministre. D’ailleurs, l’entreprise française fixe désormais sa propre date butoir : le 30 juin.

Dans l’actu : La fiscalité est à nouveau à l’ordre du jour.

Les détails : à la Chambre, le Premier ministre De Croo affirme qu’elle arrive. Avant l’été.

  • « D’importants nœuds doivent être résolus », a déclaré De Croo dans l’hémicycle hier, en référence à la réunion du kern qui se tient aujourd’hui. Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), a aussi déclaré qu’il fallait « encore prendre des décisions sur la direction à prendre ».
  • C’est ainsi qu’a lieu aujourd’hui la deuxième grande réunion du kern, consacrée à l’orientation de la réforme fiscale. Van Peteghem a présenté cette réforme comme une opération à 6 milliards d’euros pour les caisses de l’État, avec une forte réduction de la charge sur le travail, compensée par de nouvelles recettes.
  • La question est de savoir quelle sera l’ampleur de cette opération : presque tout le monde s’attend à ce que le transfert fiscal net soit beaucoup plus faible que les plans du ministre des Finances. C’est d’ailleurs l’estimation qui a été faite lors des discussions budgétaires d’octobre dernier, quand les membres du gouvernement se sont mis d’accord pour réaliser cette réforme fiscale : l’estimation, incluse dans les textes, était de moins d’un milliard d’euros.
  • L’optimisme n’est pas vraiment de mise pour l’instant. A la Chambre, De Croo a tenté, une fois de plus, de galvaniser les forces politiques de son gouvernement :
    • « Je demande donc que nous nous écoutions attentivement les uns les autres dans les semaines à venir. »
    • « Il est logique que les personnes qui travaillent en retirent davantage de bénéfices, que l’esprit d’entreprise soit encouragé dans notre pays et que chacun paie une contribution équitable », a-t-il déclaré.
    • « Je sais que ce sont les principes des sept partis et je peux donc indiquer que j’ai absolument l’intention de parvenir à un accord avant les vacances d’été, c’est-à-dire vers le 21 juillet. »
    • Plus tôt, Dieter Vanbesien (Groen) avait fait une comparaison quelque peu malheureuse dans sa question à De Croo : « Je reste un partisan loyal de la réforme fiscale. En outre, je suis un fidèle supporter d’Anderlecht, ce qui signifie que je sais que les étoiles peuvent parfois s’aligner favorablement, mais que cela ne dure pas éternellement. » Pour ceux qui ne suivent pas : le club bruxellois n’a pas remporté de trophée depuis 7 ans.
    • De Croo n’a eu d’autre choix que d’avouer qu’il est lui aussi un supporter des mauve et blanc, et surtout qu’il continue à croire en son propre projet : « Outre le fait que nous savons tous deux qu’il n’est pas facile d’être supporter d’Anderlecht aujourd’hui, nous avons également en commun de trouver cette réforme fiscale importante. Je l’ai dit à plusieurs reprises : elle est cruciale ».
  • Cette réforme fait partie d’un dernier grand triptyque que la Vivaldi doit encore compléter, avant que la bataille électorale n’éclate : on y retrouve aussi une véritable réforme des pensions et les négociations avec Engie. Entre-temps, une rumeur circulant dans la rue de la Loi selon laquelle le Premier ministre souhaitait lier ces trois dossiers, pour en faire un triomphant point final, a été démentie par le Seize : « Il y a de fortes chances qu’à deux mois de la pause estivale, ces dossiers coïncident plus ou moins en termes de calendrier, mais il n’est pas question de lier les pensions, la fiscalité et Engie. »

Sur le fond : il n’y a pas d’accord sur les dépenses du transfert fiscal, pas plus que sur les nouvelles recettes.

  • Les « nœuds » auxquels le Premier ministre faisait référence se situent en partie du côté des dépenses : à qui doit bénéficier ce tax shift ? En réduisant la charge sur les revenus du travail, notre pays se priverait d’importantes recettes. En outre, cela profiterait aussi bien aux hauts salaires qu’aux bas salaires. Les socialistes et les Verts bloquent sur ce point.
  • Comme les syndicats, le PS et Ecolo veulent que ce soient surtout les bas revenus et la classe moyenne inférieure qui bénéficient du tax shift : une correction sociale substantielle du système, en d’autres termes. Mais, argumentent-ils, du côté des recettes, il y a aussi, entre autres, l’augmentation de la TVA, que tout le monde doit payer de la même manière. Alors pourquoi, dans le cadre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, les plus hauts revenus bénéficiraient-ils des mêmes remises ? Plutôt que de passer par l’impôt sur le revenu des personnes physiques, ils veulent donc opter pour des réductions ciblées au niveau des tranches. Au départ, Van Peteghem voulait simplement « simplifier » les choses. On n’en prendrait pas vraiment le chemin.
  • Pour les libéraux, c’est tout à fait différent : ils veulent que la différence entre les personnes qui travaillent et celles qui ne travaillent pas se creuse, par le biais d’une réforme fiscale. « Une différence nette d’au moins 500 euros », tel était le mantra de l’Open Vld la semaine dernière. Les chômeurs et les allocataires du CPAS ne doivent pas bénéficier de cette réforme, estiment-ils. Le MR a répété ad nauseam que pour eux, il fallait une « réforme du marché du travail », mais aussi agir sur les dépenses de l’État.
  • Du côté des recettes, Van Peteghem veut augmenter la TVA en faisant passer le taux général de 6 à 9%. Cela reste très difficile pour les socialistes, en particulier pour Vooruit : ils ont beaucoup travaillé sur la question du pouvoir d’achat. Le MR n’est pas non plus favorable à une telle augmentation, voulant éviter toute hausse d’impôt.
  • En outre, le PS, entre autres, est également inquiet pour un autre « payeur » de la réforme : les régions vont voir leur part de revenus provenant de l’impôt sur le revenu des personnes physiques diminuer fortement. La Flandre risque de perdre 700 millions d’euros, la Wallonie quelque 250 millions. Pour Elio Di Rupo (PS), le ministre-président wallon, cela doit être compensé. Et les communes, qui risquent de perdre des recettes, sont tout aussi mécontentes.
  • Enfin, et la longue liste s’allonge, des questions subsistent quant aux nombreux « effets de retour » prévus par Van Peteghem, mais la question est de savoir s’il faut les comptabiliser ou les laisser comme « tampon », pour éventuellement soutenir le budget en cas d’effet d’aubaine. La secrétaire d’État au budget, Alexia Bertrand (Open Vld), souhaite cette dernière solution. Les socialistes préfèreraient eux déjà prendre en compte ces effets de retour pour financer les politiques publiques.
  • Certains restent donc très prudents quant aux chances de succès. Les sceptiques à l’intérieur de la Vivaldi s’interrogent : « Par quel miracle pourrait-on faire aboutir cette réforme ? ». Ce week-end, l’Open Vld organise un congrès axé sur le thème « le travail doit payer plus » : il est clair pour les libéraux flamands, et en particulier pour le Premier ministre De Croo, qu’un accord sur cette réforme avant l’été serait totalement bienvenu. Si pas, De Croo devra s’en expliquer aux électeurs.

Frappant : Engie fixe lui-même la date limite au 30 juin.

  • Cela fait des mois, voire des années, qu’Engie traîne les pieds en ce qui concerne le renouvellement des centrales nucléaires, afin d’obtenir le meilleur accord possible sur le prix de l’assainissement. La Vivaldi a déjà annoncé à plusieurs reprises qu’elle souhaitait conclure un accord, mais à chaque fois, la partie française a tout simplement ignoré ces échéances.
  • Il est intéressant de noter qu’Engie donne soudainement un horizon dans son rapport trimestriel : elle a l’intention de signer un accord final le 30 juin. Le montant de la facture pour Engie et le reste pour le contribuable n’ont pas encore été décidés. Ce qui est déjà en place, c’est le cadre juridique pour ces déchets, a déclaré Engie dans son communiqué. « Mais certains paramètres importants doivent encore être finalisés », ajoute l’énergéticien français.
  • Les négociateurs, De Croo et la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen), savent à quoi s’en tenir. Dans l’hémicycle, ces derniers sont également restés optimistes cette semaine, suite à de nouvelles questions acerbes de l’opposition, notamment de Marie-Christine Marghem (MR). Tous se demandent s’il n’est pas trop tard pour commander et livrer le combustible nucléaire pour les réacteurs de Doel 4 et de Tihange 3.
  • « Rien ne nous permet de conclure que la production d’électricité nucléaire sera rendue impossible après 2025 parce que nous poursuivons les négociations maintenant », a soutenu Van der Straeten.

Budget : de bonnes nouvelles qui ne suffisent pas.

  • Avec un déficit global de 5,9% du PIB, la Belgique semblait se diriger vers le pire budget de toute l’Union européenne au début de cette année. Mais la Commission européenne a établi de nouvelles prévisions, qui sont un peu plus positives.
  • Le déficit s’établit désormais à 5,1% pour cette année, soit 29 milliards d’euros.
  • La Bulgarie, qui affronte ses cinquièmes élections en deux ans dans un environnement politique totalement instable, et la Slovaquie, où le Premier ministre a démissionné et où il n’y a pas non plus de gouvernement clair, sautent ainsi au-dessus de la Belgique, par rapport aux dernières prévisions. La Bulgarie prévoit un déficit de 6,4 % et la Slovaquie de 6,3 %.
  • Pas de quoi satisfaire le député de l’opposition Sander Loones : « Le budget de M. De Croo est un désastre. C’est à peu près le pire de toute l’Europe en 2023, seuls deux pays en pleine crise politique font pire », a immédiatement tweeté le spécialiste des chiffres de la N-VA.
  • La secrétaire d’État au Budget, Alexia Bertrand (Open Vld), a toutefois souligné que les chiffres définitifs pour 2022 étaient également bien meilleurs que les prévisions pour cette année-là, ce qui pourrait donc également être le cas pour cette année. En mars, un conclave budgétaire est déjà intervenu, et à l’automne, 1,2 milliard d’euros supplémentaires devront être trouvés, ont convenu les Vivaldistes.
  • Cela correspondra à un effort de 0,2% du PIB supplémentaire, ce que devra reproduire la prochaine législature à deux reprises en 2025 et 2026, à hauteur de 0,8% cette fois, a confirmé hier à la Chambre le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (cd&v). C’est le seul moyen de retrouver un déficit de 3%, à trajectoire inchangée.
  • Bertrand n’a pas tout à fait tort : il n’est pas interdit que la situation économique s’améliore. Par exemple, la dette de l’Etat fédéral a diminué de 5 milliards d’euros en avril, selon l’Agence fédérale de la dette. Pas de quoi non plus sauter au plafond : la dette est encore de 470 milliards d’euros, toujours au-delà des 100% du PIB.
  • En attendant l’application des nouvelles règles européennes, Vincent Van Peteghem n’exclut pas une procédure de déficit excessif en 2024 de la part de la Commission européenne, rapporte La Libre.
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