« Que veut vraiment Paul Magnette ? » Cette question résonne au sein du gouvernement fédéral. Car une semaine après s’être déclaré candidat au poste de Premier ministre, le président du PS s’est attiré de nombreuses critiques après une interview pour le moins maladroite dans Dag Allemaal. Magnette y répand grosso modo le cliché du « Wallon paresseux et du Flamand travailleur », mais cette plaisanterie tombe à plat. Pire, elle a suscité des critiques acerbes de la part de l’Open Vld, qui avait un ognon à peler avec le candidat rival d’Alexander De Croo. « Inapte au poste de Premier ministre », a conclu avec véhémence Bart Somers (Open Vld). Dans les coulisses, une analyse plus approfondie est en cours : Magnette continue d’insister sur la Vivaldi II, qu’il considère comme un « projet de dix ans », mais en même temps, « il est devenu un aussi grand fauteur de troubles que Bouchez ». Il est certain que pour l’aile droite, du côté flamand (CD&V et Open Vld), il y a très peu de plaisir en ce moment au sein de la Vivaldi. Et la faute est majoritairement attribuée au président du PS. À tel point qu’en coulisses, on doute de sa capacité à diriger le pays, même dans ses propres rangs.
Dans l’actualité : « Prendre la chute d’une blague pour une déclaration politique, où est-on ?! », voilà comment Paul Magnette (PS) a tenté de sauver les meubles.
Les détails : « Magnette est-il déjà en train de répondre à la pré-campagne de Bart De Wever ? », se demande-t-on dans la rue de la Loi. Car de cette façon, tout le monde le sait, les deux protagonistes sont les meilleurs ennemis du monde.
- « La vie large« , c’est le dernier livre de Paul Magnette. C’est avec lui sous le bras qu’il est parti séduire les plateaux de télévision parisiens, en s’attirant les louanges de nos voisins. À tel point que l’on rêvait déjà là-bas de « socialistes à la Belge ». Il faut dire que les socialistes français sont six pieds sous terre dans l’Hexagone. Le livre se lit comme un pamphlet pour une vie « plus généreuse », une vision étonnamment holistique de la société, dans laquelle un socialiste devrait aussi être un philosophe, prônant de « profiter de la vie ». À l’écologie punitive, l’homme de gauche propose une écologie sociale, sans se priver.
- Magnette essayait-il de traduire ce plaidoyer auprès d’un public plus large, du côté flamand, en parlant à Dag Allemaal ? En tout cas, il a parlé de ses propres hobbies : jardiner, faire du pain, planter des arbres… Mais le fait est que son discours politique n’a été très bien amené, avec toutes les conséquences que cela implique. En effet, à un moment de la conversation, le journaliste demande à Magnette pourquoi le chômage est deux fois plus élevé en Wallonie, et le taux d’activité beaucoup plus bas ? Et c’est là qu’il commet l’impair.
- Il avance l’explication classique que le PS donne depuis des décennies, mais ajoute sa propre théorie, sur ce qui serait « dans les gènes » des Flamands : « La destruction de l’industrie lourde a durement touché la Wallonie. Il faut du temps pour sortir du trou. Jusque dans les années 1960, la situation était inversée et la Flandre pauvre bénéficiait de la solidarité belge. J’ai l’impression que les Flamands en veulent parfois trop. Je l’ai compris quelque part : pendant des siècles, il y a eu de la pauvreté, et il est apparemment dans les gènes de travailler aussi dur que possible (chez les Flamands). Parfois peut-être au détriment de son propre bonheur. »
- Et puis Magnette raconte au magazine ce qu’il appelle « une blague révélatrice » : « Un Flamand croise un pêcheur le long d’une rivière wallonne. ‘Pourquoi n’achètes-tu pas un grand bateau avec beaucoup de lignes, pour gagner plus comme moi et arrêter de travailler plus tôt [dans la journée] ?’, demande le Flamand. ‘Mais que feras-tu ensuite ?’, répond le Wallon. ‘Je pourrai pêcher comme toi’, renchérit le Flamand. « Pourquoi repousser si longtemps le bonheur, se demandent de nombreux Wallons. Les Wallons aiment profiter de la vie. Est-ce si mal ? »
- Un député de la majorité a eu la gentillesse de nous faire remarquer qu’en réalité, il ne s’agissait pas d’une « blague », mais du recyclage d’une nouvelle satirique écrite par l’écrivain allemand Heinrich Böll en 1963 pour la radio NDR, et qui a été « réutilisée » de nombreuses fois depuis lors comme une sorte de parabole intelligente pour expliquer la relation entre le bonheur et l’argent, et comme un plaidoyer pour une « vie plus simple », une « vie large ».
- Quoi qu’il en soit, la comparaison n’a pas été fructueuse, comme en atteste la ligne de défense qu’a dû adopter Magnette par la suite : « Prendre la chute d’une blague pour une déclaration politique, où est-on ?! Confirmation qu’il n’y a pas de place pour le second degré en politique. Et encore moins quand on fait exprès de ne pas comprendre ». Un homme politique chevronné comme le président des socialistes devrait pourtant savoir qu’une phrase sortie du contexte de l’interview peut faire des dégâts : il a fait la même erreur il y a un an, à propos de l’e-commerce.
L’essentiel : les partenaires de la coalition fédérale sont frustrés par le patron du PS.
- « Vous devriez peut-être l’inviter vous-même et lui poser la question ? » Avec toute son expérience, le vice-premier ministre fédéral Frank Vandenbroucke (Vooruit) a su habilement balayer les choses à la fin d’une interview sur Radio 1 ce matin, lorsqu’il a été interrogé sur les déclarations de Paul Magnette. Mais en même temps, une certaine frustration s’exprimait entre ses mots : « Pour l’amour de Dieu, commentez cela ? Il y a des choses plus importantes qui se passent que ça. Je délaisse mon sommeil pour des choses bien plus importantes. »
- Car ce que Vandenbroucke ne veut et ne peut pas dire devant les micros, se vit en coulisses : le plus grand parti de cette coalition fonctionne comme un perturbateur plus souvent que comme adjuvant. Alors qu’il reste encore un tiers du mandat de la coalition (la Vivaldi ne l’a entamé qu’en octobre 2020), Magnette a soudainement déballé sa candidature au poste de Premier ministre. Une pilule particulièrement amère pour l’Open Vld et l’actuel Premier ministre, Alexander De Croo, qui a traversé toute la législature avec un Premier ministre fantôme à ses côtés.
- Il ne faut donc pas prendre à la légère les réactions très vives, notamment des libéraux flamands, à ces déclarations. « Bien sûr, c’était une grande opportunité pour nous : de cette façon, il met immédiatement en pièces sa propre candidature au poste de Premier ministre », a-t-on entendu au sommet de l’Open Vld. Le vice-ministre-président flamand Bart Somers, s’est permis de l’expliciter dans un tweet : « Ainsi, Paul Magnette prouve qu’il ne convient pas comme Premier ministre. Alors que le taux d’emploi en Wallonie est dramatiquement à la traîne, il fait des déclarations idiotes. Quand le PS s’attaquera-t-il enfin au marché du travail au sud du pays ? »
- Du côté francophone du gouvernement, on pointe du doigt « l’impulsivité » du président du PS, « incompatible avec la fonction de Premier ministre », et on regrette ses déclarations à grand fracas.
- Et, chose remarquable, même dans ses propres rangs, on doute que Magnette soit vraiment apte à peupler le Seize. « Elio Di Rupo est un politicien d’un genre très différent, qui a également reçu des éloges partout pour son rôle de Premier ministre, et qui est considéré à ce jour comme un véritable homme de parole. Paul a aussi ses qualités, mais elles sont plus dans la pensée, dans l’idéologie », voilà comment on fait l’analyse très soigneusement et anonymement. Le Carolo reconnait d’ailleurs volontiers dans l’interview livrée à Dag Allemaal qu’il est « plus à gauche » que son prédécesseur à la tête du PS.
La vue d’ensemble : Le CD&V et l’Open Vld ont pris le plus gros risque en se lançant dans la Vivaldi. Magnette ne les a pas récompensés.
- Quiconque, au siège de la N-VA, qui a établi une tactique, au début de l’année 2023, pour remettre le communautaire au cœur des discussions, n’aurait osé rêver ce qui se déroule devant ses yeux.
- En tant que principal parti, la N-VA dispose toujours du pouvoir verbal de son président et du pouvoir nécessaire dans les médias flamands. Son appel à réfléchir à des « méthodes extralégales » pour réformer l’État a fonctionné comme un sifflet à chiens : soudain, Lachaert, entre autres, parlait de « coup d’État », sans mentionner les réactions indignées du côté francophone. Ce petit plan a fonctionné. Mais même De Wever n’aurait pu imaginer tous les coups de main qu’il a reçus par la suite.
- Tout d’abord, après un message interne de trois députés CD&V visant à scinder d’urgence le système de soins de santé, cet appel très remarqué du patron du parti, Sammy Mahdi, a été lancé dans les médias : « Les francophones deviendront les fossoyeurs de la Belgique s’ils continuent à refuser de réformer ».
- Puis, le week-end dernier, le Premier ministre De Croo, qui dans son discours devant l’ensemble des instances avait encore prôné « la coopération comme solution », a néanmoins jugé nécessaire de répondre au président du PS sur sa candidature au poste de Premier ministre. « Apparemment, M. Magnette travaille là-dessus. Si j’étais lui, je travaillerais sur le gigantesque écart – qui ne cesse de se creuser – entre le nombre de travailleurs en Flandre et le nombre de chômeurs en Wallonie. Le PS a tous les leviers en main pour y remédier.”
- C’est alors que Magnette a sorti sa « blague », qui a été perçue comme du sel sur la plaie pour ses propres partenaires de coalition. Car la question s’est posée de savoir « si Magnette veut répondre à la pré-campagne De Wever ».
- À la N-VA, on n’en revenait pas : « C’est la Vivaldi parfaitement résumée », a commenté De Wever à propos de la blague et de l’analyse de Magnette.
- Pour être entré dans la coalition Vivaldi, l’Open Vld a été récompensé avec le poste de Premier ministre, le CD&V avec quelques très beaux portefeuilles et quelques garanties sur l’éthique. Mais l’exercice était d’avance très risqué pour les deux partis flamands, avec les deux principaux rivaux dans l’opposition. Et les sondages le confirment.
- De Wever a également été clair dans plusieurs interviews, notamment à la fin de l’année sur Business AM : la seule façon de faire chavirer mathématiquement la Vivaldi est de couler cette aile droite flamande. Son langage tranchant en a choqué plus d’un, mais c’est une analyse qui est faite à huis clos depuis bien plus longtemps, et pas seulement à la N-VA.
- Magnette lui prête désormais main forte : de cette façon, la N-VA et le PS sont à nouveau les parfaits ennemis ; après tout, personne ne pêche dans l’étang électoral de l’autre.
- C’est précisément pour cette raison qu’il est particulièrement amer de constater pour les deux partenaires flamands de la coalition que plus aucun cadeau ne vient de la Belgique francophone. « Bouchez est peut-être gênant pour ce gouvernement, mais je me demande si Magnette n’est pas en train de s’approprier peu à peu le premier prix des perturbateurs », a discrètement laissé échapper un vice-premier ministre fédéral. On verra qui s’en mordra les doigts en 2024.