La Fed fait grimper les taux d’intérêt comme jamais en 20 ans, mais est-il déjà trop tard ?

C’est officiel. La Réserve fédérale américaine a augmenté de 0,5% ses taux directeurs, comme attendu. S’il s’agit de la politique monétaire la plus agressive depuis 2000, certains analystes restent dubitatifs. La Fed aurait trop attendu pour contrer l’inflation.

Replongeons-nous un an en arrière. En mars 2021, la Banque centrale américaine tablait encore sur une inflation médiane de 2% pour 2022. L’inflation enregistrée en mars de cette année a été de 8,5%, le niveau le plus élevé en 40 ans, lors des chocs pétroliers des années 70 et 80. Personne ne sait vraiment qu’elle sera la médiane pour l’année 2022, les prévisions précédentes parlaient de 6,6%, mais la guerre en Ukraine est venue tout changer.

Les causes

Le marché de l’emploi de l’époque n’était pas celui d’aujourd’hui aux États-Unis. Le taux de chômage est très bas, à 3,6%. Le marché du travail américain est en surchauffe: la pandémie a enclenché ce qu’on appelle aux États-Unis The Great Resignation. Des millions d’Américains aspirent à une autre vie, qui met davantage l’accent sur le bien-être de la sphère privée par rapport à la vie professionnelle. Les entreprises manquent de main-d’œuvre, si bien qu’elles doivent parfois payer très cher. Cette hausse générale des salaires entretient à son tour l’inflation, qui entretient ensuite cette augmentation des coûts pour les entreprises. On parle de spirale salaire-prix.

Les autres causes de cette inflation sont connues: les problèmes dans la chaine d’approvisionnement qui ont fait exploser les coûts des transports et des matières premières. La résurgence du Covid en Chine à cet égard est un nouveau coup dur. Mais aussi les prix de l’énergie, qui touchaient jusque-là surtout l’Europe. Mais avec la guerre en Ukraine, l’inflation sur le pétrole et le gaz a fini par toucher tout le marché mondial.

Les conséquences

Les analystes s’attendent à ce que la Fed augmente encore 6 fois ses taux directeurs pour autant de réunions. Après une augmentation de 0,25% en mars, de 0,5% hier, la prochaine échéance de l’été pourrait voir une hausse de 0,75%. À ce rythme, les taux directeurs devraient se situer autour des 3% d’ici la fin de l’année, estiment les experts.

Beaucoup craignent que cette politique soit trop agressive alors que la croissance aux États-Unis ralentit. Le PIB américain s’est contracté de 1,4% au premier trimestre, à la grande surprise de la plupart des économistes. Monter les taux d’intérêt pour contrer l’inflation devait se faire en période de croissance, soit l’année dernière, jugent certains. D’autant que de telles mesures mettent en général entre 12 et 18 mois pour se faire ressentir dans l’économie réelle. Le danger, avec des taux d’intérêt trop importants, c’est de faire baisser la confiance et ensuite la consommation.

« Je pense que la Fed accorde trop d’attention à ce qui s’est déroulé dans le passé et pas assez à ce qui va se passer dans l’avenir », explique à CNN Business Guillaume Menuet, responsable de la stratégie d’investissement et de l’économie à la Citi Bank. La politique de la Fed fonce dans un mur, selon lui.

« Nous sommes en retard, en retard, en retard », estime Pascal Blanqué, président de l’Institut Amundi.

En perdant du temps, la Fed n’a plus beaucoup de choix: elle devra mener une politique agressive, mais courte si elle ne veut pas plonger le pays dans la récession. Dans les années 80, Paul Volcker, le prédécesseur de Jérôme Powell, a fait basculer l’économie dans la récession en voulant juguler l’inflation. Mais la situation est différente aujourd’hui. Depuis la crise économique de 2008, le monde s’est habitué à l’argent bon marché.

Jusqu’à combien faire grimper les taux d’intérêt ? Cela dépend du temps dont la Fed pense avoir besoin pour compenser son erreur de calcul sur l’inflation.

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