La crise d’identité de la Belgique n’est pas liée à la question des migrations

Le Premier ministre belge Charles Michel, acculé par ses partenaires de coalition, a fait un énorme pari politique. Alors que la Nouvelle Alliance flamande (N-VA) a claqué la porte de son gouvernement samedi, la petite coalition du Premier ministre belge s’aventure dans des eaux politiques inconnues. Pour un pays comme la Belgique, dont le paysage politique complexe n’est pas vraiment connu pour sa stabilité, se retrouver au gouvernement sans majorité parlementaire est loin d’être idéal.

Et pourtant, l’alternative était impensable : céder aux demandes des nationalistes flamands, qui ont refusé de soutenir le pacte de la migration de l’ONU, aurait signifié se ranger du côté de pays tels que l’Italie, la Bulgarie et l’Australie, avec leurs politiques d’immigration strictes et leurs gouvernements d’inspiration populiste.

C’est la crédibilité de la Belgique, plus que celle de Michel, qui est en jeu

Le pari que fait Michel ne concerne donc pas tant la politique intérieure, que la crédibilité de la Belgique en Europe. Cela revient à choisir son camp : soit parmi les promoteurs de l’Europe et du libéralisme, comme Emmanuel Macron, soit parmi les opportunistes populistes, comme Victor Orbán et Sebastian Kurz.

En disant au revoir à son ancien gouvernement, Michel semble finalement avoir fait son choix.
Mais le chemin à parcourir demeure encore incertain. Pour le moment, il détient toujours les clefs de la rue de la loi, 16, le siège officiel du gouvernement belge. Un nouveau cabinet minoritaire devrait remplacer son ancienne équipe. Il prendra son avion pour se rendre à Marrakech, où il se joindra à d’autres dirigeants pour signer le pacte mondial sur les migrations des Nations unies, un texte non contraignant qui s’est avéré un pont trop loin pour son plus grand partenaire de coalition.

Une coalition fédérale… avec un parti indépendantiste

Cette séparation s’est fait attendre. En 2014, Michel, un libéral francophone appartenant à la nouvelle génération de politiciens belges, a eu l’audace de faire équipe avec les nationalistes conservateurs flamands. Leur chef, le maire d’Anvers, Bart De Wever, qui rêve de l’indépendance flamande, n’a jamais été un partenaire idéal pour le gouvernement fédéral.

Mais Michel et De Wever se sont trouvé une ambition commune : instaurer un gouvernement de centre-droit, après 3 décennies de règne socialiste en Belgique.

Malgré cela, cela n’a pas marché comme ils l’avaient espéré. La coalition, tout comme les précédentes, a eu sa part de conflits, de crises et de drames télévisés. Réparer le système semblait être une bonne chose. Mais en réalité, le budget est resté profondément déficitaire, et l’économie en perte de vitesse est l’une des moins performantes d’Europe. Pourtant, crise après crise, Michel a réussi à s’en sortir, à tel point qu’on l’a surnommé le Premier ministre « Houdini ».

Une inflexion dans la politique étrangère de la Belgique à l’instigation de la N-VA

Puis, un débat inattendu – et sans précédent dans la politique belge – a pris une place centrale au sein de la coalition : la place de la Belgique sur la scène mondiale. Depuis 1945, ce modeste pays européen  avait opté pour une politique étrangère internationaliste combinée à une position résolument pro-européenne. Avec l’arrivée de la N-VA au gouvernement, cette tradition a été mise à rude épreuve.

Cela ne devrait pas surprendre. De Wever et sa N-VA sont membres du groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) au Parlement européen, où ils fraternisent avec les conservateurs britanniques et le parti polonais Droit et Justice. Et plutôt qu’une confiance sans faille dans l’UE, ils partagent l’approche critique des Britanniques et des Polonais à l’égard des institutions européennes.

Au moment où la question de la migration s’est imposée dans les agendas européen et domestique, les divisions entre Michel et ses partenaires de de la N-VA se sont creusées encore davantage. La N-VA n’a pas caché son mépris pour la chancelière Angela Merkel et sa devise «Wir schaffen das » (« Nous allons gérer cela »). Le parti voit dans l’alliance franco-allemande entre Macron et la chancelière allemande une menace réelle pour l’UE.

Le pacte mondial sur les migrations de l’ONU a déclenché une rupture inévitable

Les deux partenaires de coalition étaient sur une trajectoire de collision. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que quelque chose ne déclenche l’affrontement. Ce moment s’est rapproché lorsque l’Autriche a annoncé qu’elle ne soutiendrait pas le nouveau texte des Nations unies sur les migrations, ouvrant la voie à d’autres nations, dont plusieurs pays d’Europe de l’Est.

Si la N-VA se sentait obligée de s’opposer au pacte, Michel, lui aussi, s’est retrouvé acculé.

Au cours de ses 4 années en tant que Premier ministre, Michel a manifesté son soutien inconditionnel à la cause européenne, au multilatéralisme, aux États-Unis, et, bien entendu, son amitié étroite avec des jeunes dirigeants comme Macron, ou le premier ministre canadien Justin Trudeau. Leur club est celui auquel Michel veut appartenir.

Au cours des quatre dernières années, cela n’a jamais donné lieu à de véritables tensions politiques en Belgique. Après tout, la politique étrangère n’intéresse guère la majorité de l’électorat belge. Mais depuis des années, la N-VA met la migration à l’ordre du jour, surtout depuis les attentats terroristes de mars 2016 à Bruxelles. Les résultats des élections précédentes ont démontré qu’ils sont devenus des adeptes de la conquête de l’électorat de droite qui avait l’habitude de voter pour le parti d’extrême droite, le Vlaams Belang.

Avec la question du pacte sur les migrations de l’ONU, la N-VA a trouvé un moyen de marquer son territoire avec encore plus de force, exigeant une abstention belge et forçant la main à Michel.

Une « coalition de Marrakech », ou une nouvelle alliée des populistes du Royaume-Uni, de l’Europe centrale et de l’Italie ?

La décision de Michel de continuer avec un gouvernement minoritaire est une tentative désespérée pour survivre au cours des six prochains mois – lorsque la Belgique devra se confronter aux élections régionales, fédérales et européennes.

Mais pourra-t-il s’accrocher aussi longtemps ? Son gouvernement devrait durer assez longtemps pour lui permettre de se rendre à Marrakech, de jouer le rôle que l’on attend de la Belgique, et de ratifier le traité à New York à la mi-décembre.

Au-delà, les choses semblent beaucoup plus incertaines. Si tout s’effondre, les Belges pourraient devoir se rendre aux urnes en janvier, puis à nouveau en mai. L’absurdité a toujours été une caractéristique de la politique belge – ce cycle électoral peut-être plus que jamais.

Si l’avenir de Michel est incertain, celui de la N-VA est plus facile à prévoir.

Il y a fort à parier que d’ici les prochaines élections en Belgique, le parti aura réaffirmé et même renforcé sa position électorale dans le cadre d’une forte campagne anti-migration. En effet, les hauts responsables politiques de la N-VA ont déjà surnommé le nouveau gouvernement de Michel la « coalition de Marrakech ».

La Belgique pourrait bien être exclue du fan club Macron-Trudeau dans un proche avenir et se faire de nouveaux amis en Europe centrale, au Royaume-Uni et en Italie. A moins, bien sûr, que le premier ministre ait encore quelques tours (très) astucieux dans son sac.

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