La Bosnie-Herzégovine entretient de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, qui lui octroie un soutien économique important. Toutefois, l’influence croissante de l’Arabie saoudite en Bosnie suscite des inquiétudes. Le pays des Balkans menace en effet de devenir un laboratoire européen du wahhabisme, écrit l’analyste politique Dariusz Kalan, spécialiste des affaires d’Europe centrale.
Cependant, tout le monde ne considère pas les injections financières de l’Arabie saoudite en Bosnie comme une menace.
Centres commerciaux
« La Bosnie-Herzégovine suit l’islam libéral, mais beaucoup craignent que l’Arabie saoudite, avec son soutien économique, tente de réorganiser l’islam libéral traditionnel avec sa propre version ultraconservatrice wahhabite », explique Dariusz Kalan sur OZY.
Par le passé, l’Arabie saoudite a déjà dû faire face à ce type d’allégations en Asie et en Afrique. Selon certains experts, la Bosnie-Herzégovine pourrait être une proie facile pour les ambitions religieuses saoudiennes. En effet, ce pays est en proie à des institutions étatiques faibles, à des problèmes économiques ainsi qu’à une longue histoire d’influence étrangère.
Selon l’agence de promotion des investissements étrangers de Bosnie, depuis 2007, la part des investissements de l’Arabie saoudite a triplé. En 2017, Riyad a investi 22 millions de dollars en Bosnie, un chiffre important dans un pays dont le PIB est de 20 milliards de dollars. L’Arabie saoudite s’est notamment chargée de la construction de deux centres commerciaux à Sarajevo. Ces deux centres ont des règles strictes et ne servent ni d’alcool ni produits à base de viande de porc. L’Arabie saoudite est également le principal acheteur d’armes de Bosnie.
En outre, l’Arabie saoudite a également en Bosnie une influence plus modérée. Au cours des six premiers mois de cette année, près de quarante mille touristes saoudiens ont visité le pays, soit plus du double par rapport à la même période de 2018. En 2019, FlyBosnia, la compagnie aérienne nationale, a établi des vols directs entre Sarajevo et Riyad. Tous ces avantages économiques sont particulièrement intéressants pour la Bosnie. Sa situation économique est particulièrement difficile avec un taux de chômage des jeunes de 55,5%, soit le niveau le plus élevé au monde.
Perception négative
De nombreux Bosniaques s’inquiètent également de cette présence saoudienne. Selon une étude de 2018, 27% des Bosniaques ont une perception négative du rôle de l’Arabie Saoudite dans leur pays. Seuls 10% ont une opinion positive.
« Il est presque de notoriété publique que leur argent est une condition préalable à l’enseignement religieux », a déclaré Leila Bičakčić, directrice du Centre de reportage d’investigation de Sarajevo.
Cependant, ces allégations sont fortement contredites par les institutions impliquées. « Il existe un intérêt de plus en plus organique de la part des citoyens saoudiens », explique Harun Karčić, chercheur et écrivain basé à Sarajevo. « Les Saoudiens trouvent la Bosnie bon marché, culturellement proche et pas trop loin de la mer. L’idée qu’ils répandent un islam radical au cours de leurs voyages est ridicule. »
La crainte des activités religieuses saoudiennes en Bosnie est également liée au passé. En Bosnie, 50% de la population est musulmane. En Europe, seules l’Albanie et le Kosovo obtiennent un score plus élevé. Au cours des guerres dans les Balkans dans les années 90, des milliers de moudjahidine étrangers sont venus en Bosnie pour combattre des rebelles soutenus par la Croatie et la Serbie. Plusieurs musulmans de Bosnie sont allés étudier en Arabie saoudite
Terrorisme
Le débat sur l’influence saoudienne est actuellement particulièrement sensible en Bosnie. Environ trois cent Bosniaques ont rejoint les rangs des combattants étrangers de Daesh en Irak et en Syrie, soit le taux le plus élevé par habitant de toutes les nations étrangères. Certains combattants ont maintenant indiqué qu’ils souhaitaient revenir en Bosnie.
« Il n’est pas clair que la radicalisation soit liée à l’influence saoudienne », a déclaré Jasmin Mujanović, politologue bosniaque. « Il y a clairement eu un tournant conservateur chez les musulmans de Bosnie. Mais il est davantage lié à la mauvaise situation économique et au traumatisme du génocide d’après-guerre qu’au Moyen-Orient. »
La plupart des musulmans bosniaques soutiennent les traditions libérales et laïques. En 2018, seuls 2,5% d’entre eux appuyaient leurs compatriotes partis se battre au Moyen-Orient. De nombreux musulmans de Bosnie ordinaires trouvent également que leur mode de vie est opposé à l’opulence ostentatoire des touristes saoudiens, souvent accusés de traiter les locaux avec un manque de respect.
Selon certains experts, les nationalistes serbes et croates de Bosnie et les hommes politiques serbes et croates pourraient utiliser les craintes d’une menace islamiste pour s’immiscer à nouveau dans les affaires du pays. Dans les années 90, la défense contre la menace islamique a aussi servi à justifier le génocide.
« La vérité se situe quelque part entre les deux », a déclaré un diplomate occidental. « La Bosnie n’est pas un bastion européen du terrorisme. Cependant, le pays souffre de graves problèmes économiques. Si rien ne change, des acteurs tels que l’Arabie saoudite sont suffisamment enracinés et savent comment se servir de la situation. »