Joon, la compagnie aérienne créée pour les millenials, n’est plus… forcément

Le tour de piste s’achève pour la compagnie aérienne Joon, créée par Air France en 2017. Benjamin Smith, le PDG d’Air France-KLM, a décidé de la faire absorber par sa maison-mère. « Malgré les impacts incontestablement positifs de Joon (…), la marque a dès le début été difficilement comprise par les clients, par les salariés, par les marchés, par les investisseurs », indique le communiqué de la compagnie.

Smith lui-même avait lui-même avait, dès son arrivée aux commandes du groupe an août 2018, déclaré à plusieurs reprises qu’il « ne comprenait pas le positionnement ou l’identité de Joon« . 

Une compagnie aérienne pensée pour séduire les millenials

En effet, Air France avait ciblé un marché bien spécifique lors du lancement de la compagnie : celui des millenials, les jeunes technophiles de la génération du millénaire. Une stratégie que l’on peut comprendre aisément lorsque l’on sait que les millenials représentent plus d’un quart de la population aux Etats-Unis, par exemple. Il s’agit donc de l’un des plus gros marchés en termes de population, depuis la génération des baby-boomers. 

Joon a donc été conçue « comme une marque de mode, un bar sur le toit, une chaîne de programmes divertissants… et Joon vole aussi ! », selon un compagnie de la toute nouvelle compagnie aérienne. Foin des tailleurs stricts et les chemises blanches ! La tenue du personnel de bord se voulait  « sportswear », avec pantalons et marinières de rigueur pour ces dames, et des doudounes pour lutter contre les rigueurs de l’altitude et des pistes d’aéroports. Le tout, dans une harmonie de bleu électrique et de blanc.

Les collations à bord étaient elles aussi pensées pour les jeunes, avec 20 % d’options biologiques, et des boissons enrichies en vitamines. Mais surtout, la compagnie proposait la diffusion de films et de programmes en streaming, accessibles sur tablette, ordinateur portable, ou smartphone. Et pour ceux qui auraient oublié leurs gadgets, il était possible de louer un casque de réalité virtuelle AlloSky donnant l’illusion que l’on regardait un écran de 3 mètres. Enfin, Joon offrait aussi un « assistant personnel » afin de conseiller les passagers, et de les aider à organiser leur voyage.

Joon n’était pas une low-cost

Joon n’était pas une low-cost, même si le prix des billets était légèrement moins cher que celui de sa maison-mère, qui propose un service plus luxueux. La compagnie avait misé sur une baisse des frais de personnels de 15 % par rapport à ceux de sa maison-mère, grâce à l’embauche récente de personnels de bord « au prix du marché » et avec des conditions de travail bien moins avantageuses que ceux de la maison-mère. En conséquence, la masse salariale poportionnelle était 40 % inférieure à celle d’Air France.

Mais l’absence de référence à Air France a retiré un avantage décisif à la jeune compagnie : celui du caractère français, et l’image de luxe qui y est associée. Or, celle-ci « constitue un atout réel sur de nombreux marchés étrangers – notamment en Asie – et que Joon avait vocation à desservir pour reprendre des parts de marché sur les compagnies du Golfe. Mais aussi en France, où une partie de la clientèle s’agaçait de réserver sur Air France, de payer le prix d’Air France mais d’avoir un produit certes de bonne facture, mais moins luxueux qu’Air France », explique Fabrice Gliszczynski de La Tribune

Existe-t-il vraiment un marché pour les millenials ?

Mais Ben Smith n’était pas le seul à échouer à comprendre le positionnement de Joon. Dans un article de Gizmodo intitulé « La ridicule ‘Compagnie aérienne pour les Millenials’ d’Air France promet la Réalité virtuelle et un ‘bar sur le toit' », posté lors du lancement de la compagnie, Rhett Jones avait fait part de son scepticisme : « En tant que Millenial, je peux dire que je trouve tout ça pas mal. C’est bien. J’aurais probablement la nausée si j’utilise la réalité virtuelle dans un avion. Je n’utiliserais jamais la plupart de ces services, je m’en fiche. Et de toute façon, je ne peux même pas me permettre d’atterrir à l’une des destinations de Joon ».

« Selon une étude récente, les millennials ne dépensent pas leur argent très différemment des générations précédentes – ils en ont juste moins. En tant que génération, les millennials ont la réputation d’être séduits par tout produit arborant une marque minimaliste, ou de consommer des produits expérientiels. Mais cela ne change rien au fait que les millénaires ont des revenus plus faibles, des patrimoines inférieurs, et moins de richesse que les baby-boomers ou les générations X n’en avaient à leur âge. C’est pourquoi un avion mignon ne suffit pas parfois : les Millennials n’ont tout simplement pas l’argent nécessaire pour acheter un billet. », écrivait Aditi Shrikant de Vox en décembre. Et de rappeler que Norwegian Air, une compagnie low-cost avec un stylisme modeste, est rentable (même si elle est confrontée à de grosses difficultés financières). « Les jeunes voyageurs ont prouvé que ce sont les prix, et non le style, qui déterminent leur consommation de voyages en avion ».

Pas un arrêt, mais un « nouveau projet »

De façon remarquable, plutôt que d’évoquer un flop, la direction d’Air France a décidé de présenter l’arrêt des opérations de Joon comme le lancement d’un nouveau projet : « Après de nombreux échanges avec les salariés et les clients, et des discussions avec les syndicats, nous avons décidé de lancer un projet portant sur l’avenir de la marque Joon et l’intégration des salariés et des avions de Joon au sein d’Air France », indique son communiqué. 600 membres d’éqipage, qui avaient été recrutés spécialement pour la compagnie, intégreront donc le personnel d’Air France.

Adieu les millenials, Air France a en effet décidé de se repositionner bien plus clairement sur le marché des « clients haute contribution », comprenez, celui du haut de gamme.

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