L’urgence a primé sur les droits des actionnaires et de la concurrence. De nombreux détenteurs d’obligations restent sur le carreau et voient leur placement entièrement passer à la trappe, avec ce rachat forcé de Credit Suisse par UBS. De quoi écorner un mythe : l’image de la Suisse comme pays de la finance et de l’investissement.
Dans l’actu : le rachat de Credit Suisse, en difficulté, par son concurrent UBS, dimanche soir. Un mariage forcé avec le gouvernement (Conseil fédéral) comme maître de cérémonie.
- L’objectif premier était d’éviter l’effondrement de la banque et de sauver les clients. Ceux qui y avaient déposé leurs avoirs.
- Tant pis pour les investisseurs. Ceux qui avaient des actions de Credit Suisse reçoivent des actions d’UBS. Une action pour 22,47 actions de CS. En d’autres mots, les actions de Credit Suisse ne valent que 0,76 franc suisse dans cet échange, alors qu’elles en valaient 1,89 lors de la clôture vendredi.
- Pire : bon nombre de ceux qui avaient investi en obligations de la banque (par exemple sous forme d’obligations « additional tier 1« , AT1) voient leur placement partir en fumée. 17 milliards de dollars à la trappe. Il s’agit d’une décision qui fait partie de l’accord.
- Les investisseurs institutionnels pansent aussi leurs plaies. La Banque nationale saoudienne voit par exemple plus d’un milliard de dollars s’envoler.
Un gros risque pour l’image de la Suisse
L’essentiel : de quoi écorner l’image de la Confédération Helvétique comme place forte pour l’investissement et la finance. L’approche juridique de ce mariage forcé pose question.
- Les concepts juridiques qui touchent au marché libre, comme les droits des actionnaires et les lois sur la compétition, ont été ignorés. L’urgence de la situation aurait primé sur les autres lois, comme c’est prévu par la loi dans ces cas. C’est ce qu’affirme l’autorité de régulation des marchés, la Finma, lors de la conférence de presse à propos du rachat.
- « Les investisseurs étrangers peuvent se demander si la Suisse n’est pas une république bananière où l’État de droit ne s’applique pas », lance Peter V. Kunz, professeur spécialisé en droit économique à l’université de Berne, auprès de Bloomberg. Il s’attend à ce qu’il y ait des dépôts de plainte.
- Des avocats sont d’ailleurs déjà en pourparlers avec des détenteurs d’obligations AT1, rapporte Reuters. La fondation Ethos, société d’investissement qui a d’importants fonds de pension suisses dans ses portefeuilles, songe aussi aux démarches à suivre.
- Kunz n’est pas le seul juriste à vivement critiquer l’action du gouvernement suisse. Berne aurait agi sous l’emprise de la panique, de manière à « porter atteinte à l’État de droit et à la Suisse », selon le professeur de droit et de finance Kern Alexander, de l’université de Zurich.
Le détail : le problème des AT1 à la suisse.
- En gros, ces obligations sont censées être une sorte de coussin lorsqu’une banque est dans une situation difficile et a besoin de liquidités. Elle émet ces obligations, à haut rendement, pour attirer des capitaux et ne pas devoir faire appel aux autorités. Ces obligations peuvent normalement être converties en actions de la banque, si les valeurs glissent en dessous d’un montant convenu.
- Or, les obligations de type AT1 de Credit Suisse et d’UBS ont beaucoup moins de protections que celles d’autres banques européennes. Il est même stipulé dans leurs conditions qu’elles peuvent être annulées et ne pas être converties en actions.
- Les détenteurs de ces papiers de Credit Suisse restent donc simplement sur le carreau. La Suisse fait également fi d’une règle non écrite dans la finance : d’abord les détenteurs d’obligations (même s’ils étaient conscients des risques), puis les actionnaires. Un comportement « erratique et égoïste » des autorités suisses, fustige Jacob Kirkegaard du Peterson Institute for International Economics.
Conclusion : la mésaventure de ces investisseurs et la gestion par les autorités suisses font aujourd’hui la Une des médias. C’est un risque pour la Confédération helvétique : ceux qui veulent investir leur argent et profiter d’une protection en bonne et due forme en cas de pépin pourraient réfléchir deux fois avant de le placer dans le pays au cœur des Alpes. Ils pourraient craindre que ce rachat ne crée un précédent.
Mais même au sein du pays, l’union forcée et son contrat de mariage passent mal. Les quotidiens suisses sont unanimes ce lundi matin : un grand sentiment de honte règne dans leurs pages. « Scandale historique », « déchet radioactif », « jour noir »… L’image du pays a pris un coup.