« Notre bureau de parti était extrêmement enthousiaste. Réellement. Mais c’est totalement invraisemblable. La pression a donc fonctionné. La base, elle, se détache en masse. » Un haut placé de l’Open Vld exprime amèrement l’état des lieux du parti, au lendemain de l’annonce du retour triomphal de Gwendolyn Rutten (Open Vld). Alexander De Croo (Open Vld), le Premier ministre, a été au cœur de ce rebondissement : allant clairement à l’encontre de Bart Somers (Open Vld), qui souhaitait « imposer un renouveau », il a plutôt orchestré une réconciliation dans ce revirement scénaristique improbable. Rutten n’a pas été incluse dans son gouvernement fédéral, où elle n’a pas reçu le poste de vice-première ministre, mais De Croo l’a tout de même dirigée vers Jan Jambon (N-VA), où elle prendra la fonction de vice-ministre-présidente. Les partenaires de coalition ont été incrédules face à ce changement, tandis que l’Open Vld a organisé une conférence de presse enthousiaste après la réunion du bureau de parti. Mais ce n’était que pour la galerie. Car en coulisses, de nombreux cadres du parti sont perplexes, s’interrogeant en privé : « Après Paul Van Tigchelt, je pensais que ça ne pourrait pas être pire. Aujourd’hui, on risque de sombrer complètement. « Incompréhensible de la part de Gwendolyn. »
Dans l’actualité : Sous peu, Gwendolyn Rutten (Open Vld) prêtera serment en tant que nouvelle vice-ministre-présidente flamande.
Les détails : Ce retour représente le come-back politique le plus rapide jamais vu, rue de la Loi. Il y a seulement deux semaines, elle annonçait son retrait de la politique nationale et envisageait de se consacrer à sa ville d’Aarschot. Il en sera autrement.
- Le contraste était frappant entre un bureau de parti, la conférence de presse qui a suivi au Parlement flamand, animée par Gwendolyn Rutten et le président Tom Ongena d’un côté, et les réactions acerbes en coulisse de l’autre.
- L’annonce du retour de Rutten, la veille de sa nomination hier soir, a été principalement reçue avec scepticisme : alors qu’elle-même avait reçu un appel téléphonique lundi soir du président Ongena ainsi que du Premier ministre De Croo, le reste de la scène politique et le parti lui-même ne considéraient pas ce scénario comme plausible.
- Rutten a joué à la perfection son rôle durant la conférence de presse, forte de plus d’une décennie d’expérience au sommet, l’ancienne présidente n’a rien à apprendre dans ce domaine :
- « Les choses évoluent dans la vie », a-t-elle commencé. « Si vous m’aviez dit il y a quelques jours que je serais ici, je ne l’aurais pas cru. »
- « La politique est imprévisible. Il y a quelques semaines, j’étais déçue, c’était un moment difficile« , a-t-elle admis, en revisitant son message cinglant sur Facebook, publié juste après la nomination de Paul Van Tigchelt (Open Vld) au poste de nouveau vice-premier ministre fédéral, où elle dénonçait un « traitement irrespectueux » et annonçait son retrait de la politique nationale.
- « Je ressentais que je ne pouvais plus influer au niveau national, et je souhaitais donc devenir bourgmestre. J’avais également le désir d’enseigner, de me tourner vers l’éducation« , a-t-elle expliqué. Elle prévoyait de s’inscrire à une formation pour devenir enseignante en février.
- « Jusqu’à ce coup de fil reçu lundi soir. Et là, tout bascule dans votre vie« , a-t-elle déclaré. Elle a aussi mentionné que c’était une conversation avec son mari et ses enfants qui a finalement pesé dans sa décision.
- Ongena, qui était à ses côtés, a surtout tenté de mettre en avant « la connaissance impressionnante des dossiers » que Rutten apporte désormais au gouvernement flamand. Il a notamment cité de manière explicite « le dernier grand dossier encore sur la table, celui de l’azote« . « Des milliers d’entreprises et d’agriculteurs sont confrontés à l’incertitude, nous devons résoudre ce dossier crucial. »
- Rutten a aussi pris un virage à 180 degrés : en interne, il y a eu des affrontements répétés entre Somers et Rutten, précisément sur ce dossier. Le premier estimait souvent que la seconde se montrait trop critique et dissidente sur la question de l’azote, tandis que Rutten trouvait que Somers était trop complaisant avec la N-VA.
- Mais là encore, Rutten a donné l’impression lors de la conférence de presse d’être comme un poisson dans l’eau : « Il n’est pas mauvais d’être critique, mais au final, nous devons trouver une solution pour les nombreuses entreprises et agriculteurs. Je vais m’atteler à la tâche. »
Dans les coulisses : une amertume particulièrement acide se fait sentir au sein du parti. « Qui peut bien inventer de telles choses ? »
- « Non, je ne me retire pas de la vie politique », a annoncé Stephanie D’Hose (Open Vld) en soirée sur X, dans une allusion taquine à Rutten et à toute cette mise en scène. En effet, en tant que présidente du Sénat, D’Hose avait été cochée sur toutes les listes comme la remplaçante naturelle de Somers. Probablement que Somers l’avait envisagé de la même manière. Avec un sourire, D’Hose a ajouté une note d’autodérision à sa remarque piquante.
- Plus loin, au sein des libéraux flamands, on porte un jugement beaucoup plus dur : « Je croyais qu’après Paul Van Tigchelt, ça ne pouvait pas être pire. Aujourd’hui, nous sommes menacés de sombrer encore plus profondément. C’est incompréhensible de la part de Gwendolyn », soupire un haut dirigeant.
- À cela s’ajoute une critique récurrente envers le « petit cercle navrant », théâtre de manœuvres stratégiques entre le parti et ses figures de proue. La dernière fois, le ‘G4’ avait été fortement critiqué : ce groupe restreint incluant De Croo et Ongena, rejoints par Vincent Van Quickenborne et Somers, avait orchestré la nomination de Van Tigchelt.
- Cependant, il est évident cette fois que c’était De Croo, et lui seul, qui a forcé la nomination de Rutten. Le Premier ministre y voit une occasion de former une équipe de personnalités libérales autour de lui à l’approche des élections, un casting où Rutten avait aussi sa place.
- Le fait que cela puisse aussi s’inscrire dans une narration de réconciliation, et qu’une femme y joue un rôle, est considéré comme un bonus non négligeable. De Croo, qui avait écrit le livre « Le siècle de la femme » en 2018, avait déjà été confronté à des obstacles pendant la campagne électorale de 2019 sur la question cruciale du leadership, en concurrence avec Rutten. Le conflit avait atteint son apogée à l’automne 2019, lorsque Rutten avait failli devenir Première ministre, un rêve avorté par l’intervention de De Croo. Le fait que De Croo ait formé une coalition Vivaldi similaire neuf mois plus tard en s’érigeant Premier ministre avait été particulièrement amer pour Rutten.
- Toutefois, à mesure que De Croo et le président Egbert Lachaert (Open Vld) se sont de plus en plus éloignés concernant le projet Vivaldi, Rutten a cherché à renouer avec le Premier ministre. Sa capacité à aborder sans pincettes la N-VA, partenaire de coalition flamande, plaisait à De Croo. Et lorsque Lachaert fut mis de côté juste avant l’été, Rutten s’est positionnée pour soutenir résolument le Premier ministre, jusqu’au congrès du parti en septembre. Sa frustration était palpable lorsque ce dernier a choisi quelqu’un d’autre pour le poste de vice-premier ministre fédéral.
- Avec sa nomination en tant que leader de l’Open Vld dans l’équipe flamande, la boucle est bouclée, et c’est cette histoire qui a reçu des applaudissements au siège du parti. « L’ère de la femme a-t-elle enfin commencé ?« , s’interroge-t-on avec cynisme dans les couloirs.
- Néanmoins, l’aile droite de l’Open Vld, qui n’a jamais vraiment trouvé sa place au sein du bureau de parti, observe cette évolution avec désolation. Les groupes WhatsApp de cette faction étaient en ébullition suite à la nomination de Rutten. « Qui diable peut bien inventer ces choses ? », s’interroge un membre influent de ce groupe.
- « Notre bureau de parti était réellement enthousiaste. Vraiment. Mais c’est totalement invraisemblable. La pression a donc fonctionné. La base se désengage en masse », constate un autre leader du parti.
- Cependant, dans les cercles proches du Premier ministre, la perspective est tout autre. « Nous avons maintenant les bonnes personnes aux bons postes. Gwendo est opérationnelle immédiatement, tout comme Paul l’était », entend-on dire.
Les réactions extérieures : le partenaire de coalition, le cd&v, s’est montré particulièrement dur. « C’est un véritable soap », qui « entache toute la classe politique », s’est exprimé Sammy Mahdi.
- Dans un commentaire impitoyable, le professeur Carl Devos de l’Ugent a vivement critiqué la décision de rappeler Rutten : « Aujourd’hui, la crédibilité politique a été éhontément sapée. La politique est bien plus qu’une question de ‘postes’, mais il semble que l’Open Vld ait particulièrement peiné à ne pas réduire la politique à cela. Est-ce cela, la ‘réforme politique’ ? Quel spectacle affligeant. »
- Cela a poussé le président du cd&v, Sammy Mahdi, à adresser une pique cinglante lors de l’émission De Afspraak : « Il n’y a guère de raison de se réjouir, surtout parce que cela entache toute la classe politique », a-t-il déclaré.
- « Je me suis attardé tout à l’heure à lire quelques réactions sur les réseaux sociaux et les commentaires y sont tranchants. Très négatifs à l’égard de la politique, des choix opérés, et cette image d’un ministre qui se dirige vers le niveau local, parce que cela serait primordial, et un autre qui effectue le mouvement inverse. Pour le public, il devient difficile de suivre ce soap », a-t-il ajouté, critiquant son partenaire au sein de deux gouvernements.
- Du côté de la N-VA, un silence remarquable prévaut : personne ne veut hypothéquer une collaboration future avec Rutten au sein du gouvernement flamand, notamment sur le dossier sensible de l’azote. « Les échanges jusqu’ici, y compris avec les députés, se sont très bien passés, nous progressons réellement », se limite-t-on à dire au sein du gouvernement flamand.
- On murmure que le dossier de l’azote pourrait être conclu la semaine prochaine. « Il est donc curieux que Somers choisisse précisément ce moment pour partir, car qui ne souhaiterait pas inscrire une telle réussite à son palmarès ? », s’interrogent les partenaires de coalition.
Pour l’observateur averti : un examen plus minutieux révèle de nombreux petits défauts.
- Il apparaît clairement dans toute cette saga autour de Rutten que la mise en scène était particulièrement désorganisée. Lundi, Bart Somers a littéralement pris tout le monde de court, amis et ennemis, en annonçant soudainement son départ. À la surprise générale de presque tous les membres de l’Open Vld et surtout des partenaires de la coalition.
- Il a ensuite précisé qu’il avait exprimé dès l’été dernier son intention de se retirer, une affirmation confirmée tant par la direction de l’Open Vld que par son partenaire de coalition à Malines, le parti Groen. Cependant, très peu de personnes étaient véritablement informées de cette décision. Et l’exactitude du calendrier restait inconnue.
- Le jour suivant, lors de sa conférence de presse à Malines destinée à apporter des éclaircissements, on a découvert qu’il avait convié toute la nouvelle liste électorale municipale ‘Voor Mechelen‘ pour le soutenir. Son partenaire de coalition, le parti Groen, n’avait été invité que la veille, signe qu’il ne s’agissait pas d’un plan établi de longue date, mais plutôt d’une improvisation.
- Durant cette conférence, Somers a aussi annoncé qu’il conserverait son poste de ministre jusqu’à dimanche soir, puis qu’il rejoindrait son bureau de bourgmestre dès lundi matin à sept heures trente. Le Premier ministre avait semblé confirmer cette information le lundi soir, en déclarant qu’ils prendraient leur temps pour cette transition.
- Moins de douze heures plus tard, ce plan fut complètement renversé : Ongena annonçait que Rutten commencerait immédiatement son mandat. Plus aucune mention de Somers. Le bourgmestre de Malines avait visiblement perdu le contrôle de la situation en cours de route.
- Et il y a plus. Dans son discours de départ, Somers a annoncé de manière très explicite qu’il se retirait en faveur d’un renouveau, indiquant très nettement ses préférences quant à sa succession. Il n’est un secret pour personne que Somers était en désaccord avec le rôle joué par Rutten, considérée comme une fauteuse de troubles au sein de sa propre faction concernant le dossier de l’azote. Il était tout aussi évident que Somers et Van Quickenborne avaient bloqué l’entrée de Rutten deux semaines plus tôt, lors de la nomination d’un nouveau vice-premier ministre fédéral. À l’époque, le Premier ministre avait envisagé un ‘scénario de conciliation’, mais le G4 avait opté pour une direction totalement différente.
- De la ‘nouvelle dynamique’ annoncée, il ne restait rien hier : Rutten est plus que jamais un pilier de l’Open Vld. C’est le Premier ministre qui a fait le choix, personne d’autre. Et tout semble indiquer, conformément à sa personnalité, qu’une fois l’ancienne présidente entrée en jeu, c’est elle qui prend les commandes, éclipsant le Malinois.
- Enfin, une considération particulièrement déplaisante se présente : si Somers et le groupe des quatre étaient au courant dès l’été du départ imminent de Somers, pourquoi alors avoir infligé cette saga embarrassante au niveau fédéral ces dernières semaines ? Un simple appel téléphonique à Rutten aurait suffi pour lui indiquer : « Sois prête, car une opportunité va aussi se présenter en Flandre« . L’absence d’une telle démarche laisse penser que d’autres facteurs ont influé sur le départ de Somers.