Le geste inutile de Van Aert : les super-champions ne laissent jamais de victoires aux autres

Les deux meilleurs coureurs que nous ayons connus en Belgique au cours des 50 dernières années se sont exprimés clairement. Wout van Aert n’aurait pas dû laisser la victoire à son coéquipier Christophe Laporte, lors de Gand-Wevelgem ce week-end. Il est de loin le coureur le plus sympathique que nous ayons jamais connu dans cette Belgique folle de cyclisme, mais est-il sage de toujours offrir ces prix aux autres ?

« Wout van Aert était de loin le meilleur, vous l’avez vu sur le Kemmel. Il pourrait entrer dans l’histoire en remportant Harelbeke, Wevelgem et le Tour des Flandres ». C’est ce qu’a déclaré sans équivoque Eddy Merckx, le plus grand coureur de tous les temps. Tom Boonen l’a confirmé : « Wout le regrettera ».

Par ailleurs, je ne peux pas imaginer ce que ressent Christophe Laporte. Ce n’est qu’une victoire avec un arrière-goût bizarre après tout.

Pas de cadeaux

Un super-champion ne fait pas de cadeaux. Walter Godefroot l’a décrit ainsi : « Un super-champion n’est jamais un joueur d’équipe. Il est égoïste par définition. Ce n’est pas une erreur. C’est comme ça que ça doit être ».

Le cannibale Merckx lui-même dit : « Une course a besoin d’un vainqueur. Comment peut-on se lancer dans une course sans vouloir gagner ? »

Selon Lance Armstrong, il faut de temps en temps donner une course à quelqu’un d’autre pour des raisons politiques, mais c’est une affirmation à laquelle il ne croit pas vraiment. Il l’a fait lui-même une fois lors de ce sprint infâme avec Pantani sur les flancs du Ventoux lors du Tour 2000. Armstrong avait alors permis à l’Italien de revenir après l’avoir dépassé. Mais aujourd’hui, si vous demandez à Armstrong quelle a été sa plus grande erreur dans sa carrière cycliste, il vous répondra : « Avoir donné cette victoire au pirate italien ».

Pas de cadeaux, bis

Roger De Vlaeminck était lui aussi un gagnant né. Lorsque Merckx lui demanda : « Veux-tu rouler à mes côtés pour Faema ? », l’Eeklonnais répondit : « Pas question. Je ne veux pas rouler avec toi. Je veux rouler contre toi ! »

Justine Henin, qui répond également à la définition de super-championne, a déclaré en 2015 qu’elle était parfois trop concentrée et qu’elle était rongée intérieurement par la rage de vaincre.

Rik Van Looy, l’empereur de Herentals, s’inquiétait il y a quelques années déjà, dans Het Laatste Nieuws, que Wout offrait parfois des victoires aux autres. « On ne cède jamais de courses, même pas à un coéquipier », rugissait-il encore à son âge avancé. Quoi qu’il en soit, l’envie de gagner ne disparaît pas avec l’âge.

Les meilleurs sont là dans les grands moments. Ils n’ont aucune empathie pour leurs concurrents et surtout ne laissent pas gagner quelqu’un d’autre.

Les temps ont changé, ou pas ?

Cela dit, les temps ont changé. Aujourd’hui, beaucoup de cyclistes de haut niveau peuvent vivre du sport et n’ont pas besoin de vendre des courses. À l’époque de Merckx, de nombreux coureurs travaillaient comme coursiers. Cela se traduisait parfois par une stratégie caduque qui consistait à vendre des courses. Ce besoin n’existe plus aujourd’hui.

Même Tom Boonen a offert trop de courses aux autres. Il était encore très bon lors de sa dernière saison en 2017, notamment au Tour des Flandres. Une victoire ici l’aurait rendu encore plus immortel. Il s’est mis dans un rôle d’aide pour Philippe Gilbert et Niki Terpstra alors qu’il avait encore de très bonnes jambes. Il dit lui-même qu’il le regrette. Il l’avait fait pour obtenir le soutien de ses coéquipiers lors de son dernier Paris-Roubaix, où il était finalement juste un peu moins bon. Il reste un super-champion, mais son palmarès aurait pu être encore plus complet s’il avait été plus impitoyable avec son entourage.

Les meilleurs de tous les temps sont impitoyables

Tiger Woods préférait les trophées aux amis. Fait remarquable, lors de la Ryder Cup, la plus grande compétition par équipe opposant les États-Unis à l’Europe, il n’a jamais réussi à réaliser une seule performance digne de ce nom. Woods a été pratiquement imbattable dans les épreuves individuelles de 1999 à 2003. Il a remporté 32 tournois au cours de cette période. La deuxième meilleure performance sur une période similaire, c’est 8 victoires. C’est dire à quel point il était bon. Entre 1999 et 2002, il a remporté sept des onze Majors, les Grands Chelems du golf. Il a cumulé 90 coups sous le par, soit 64 de mieux que son plus proche rival.

En revanche, en Ryder Cup, il n’a rien fait pendant cette période. Il n’a jamais réussi à jouer un rôle significatif. Au total, il n’a remporté que 44 % de ses matches individuels en quatre Coupes Ryder, un chiffre pathétique compte tenu de ses statistiques de meilleur joueur de tous les temps. L’Écossais Colin Montgomerie a enregistré 100 % de victoires pour son équipe au cours de cette période.

Il n’avait pas la mentalité pour cela. Avant la Ryder Cup 2002, il s’est retrouvé au cœur d’une tempête médiatique lorsqu’il a laissé entendre qu’il préférait participer à une compétition de golf normale, où l’on ne joue pas en équipe. « Je peux penser à un million de raisons pour cela », s’est-il exclamé. Le week-end précédant le début de la fameuse compétition, où les meilleurs joueurs européens affrontent les meilleurs joueurs américains, il remporte un autre match à Thomastown en Irlande. Le premier prix y est de 1 million de dollars.

Pas des serviteurs

Il est aussi difficile de rendre service en roulant. Remco Evenepoel a eu le chic de vouloir rouler pour van Aert lors du championnat du monde à Louvain, mais tout en lui criait qu’il voulait gagner lui-même et c’est très compréhensible. Bien sûr, Merckx avait raison de dire que mettre Evenepoel et van Aert dans une même équipe n’avait pas beaucoup de sens. Remco a travaillé dur lors de la Coupe du monde de Louvain, mais de nombreux observateurs ont estimé qu’il l’avait fait au mauvais moment.

Comme on pouvait s’y attendre, la dispute s’est transformée en une émeute contre la tactique de l’équipe. Remco s’est demandé s’il n’aurait pas mieux fait de suivre sa propre voie, d’autant plus qu’il s’est avéré que le leader n’était pas en bonne forme. Evenepoel était furieux pendant la course, cela ne fait aucun doute. Il ne fera plus jamais ce choix, dans l’équipe nationale. L’année d’après, il est devenu champion du monde.

Rendre service ou laisser des victoires aux autres n’est pas une bonne idée. Nous parlons ici de sport de haut niveau et non d’un match amical. La seule chose qui compte, ce sont les prix. Wout aurait pu entrer dans l’histoire et maintenant tout le monde a un arrière-goût amer.


Xavier Verellen est auteur et entrepreneur. Son récent livre Topsporters zijn CEO’s, qui montre que le leadership fait la différence entre les champions et les super-champions, est en vente (en néerlandais) chez Standaard Boekhandel ou en ligne à l’adresse https://topsporterszijnceos.businessam.be/.

(CP)

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