Fumée blanche sur la réforme des pensions : le bénéfice d’un accord immédiatement tempéré par les partis de la Vivaldi, De Croo n’aura pas pu profiter bien longtemps

Sur le plan politique, la Vivaldi est parvenue à engranger un accord bienvenu, alors que la coalition s’écharpait depuis près de 10 réunions sur les pensions. Ce qu’il en ressort est une autre question : la réforme des pensions va-t-elle assez loin et rend-elle le système soutenable à long terme ? Au vu des réactions des uns et des autres, on peut déjà répondre que non. Le Premier ministre n’a pas pu triompher bien longtemps. Avant même le début de sa conférence de presse, les partis autour de la table y allaient de leurs commentaires.

L’actu : fumée blanche, au 16 rue de la Loi. Le Premier ministre a annoncé un accord peu après minuit ce matin sur les pensions.

Le détail : on sent une grande frustration au sein de la Vivaldi. Il y a beaucoup de déçus.

  • Après 9 réunions infructueuses où il était impossible de convaincre le PS, la 10e réunion au sein du kern a été la bonne. Alexander De Croo (Open VLD) a pu montrer que son gouvernement était en mesure de gouverner.
  • Comment a-t-il fait ? Il a appelé directement le président du PS, Paul Magnette, « ce qui aurait dû être fait depuis longtemps », commente pour nous un participant autour de la table. Le libéral a également concédé du terrain aux socialistes, en tout cas dans les détails de la réforme.
  • C’est toujours le même chemin de croix pour la Vivaldi : les grandes réformes sont difficiles à engranger dans une coalition à 7 partis, traversée par le traditionnel courant gauche-droite. Le jobs deal, dont tous les détails n’ont pas encore été réglés, en était le précédent exemple et a créé pas mal de frustration au sein de la coalition. Personne ne croit vraiment que cette réforme puisse nous conduire à un taux d’emploi de 80%. Avec la réforme des pensions, on est dans le même sérail : personne ne croit qu’elle sera suffisante. C’était le risque du plus petit dénominateur commun : aboutir à une réforme minimaliste.
  • Mais que contient cette réforme ? 3 points essentiellement :
    • 20 ans de travail effectif pour obtenir la pension minimum de 1.500 euros (1.630 avec l’inflation en 2024). Au moins en 4/5e, ce qui revient à 250 jours de travail par an. Mais le diable est dans les détails: ce régime ne s’appliquera qu’aux moins de 54 ans. Les personnes plus âgées bénéficient d’un régime plus favorable. À partir de 54 ans, il faudra afficher 17 années de travail, à 55 ans, 14 années suffiront, et ainsi de suite, jusqu’à 61 ans, où la pension minimum est garantie. En outre, les congés de maternité, d’allaitement et de paternité sont pris en compte. Enfin, les personnes en situation de handicap ne seront pas soumises au régime, contrairement aux malades de longue durée, si leur durée d’absence ne dépasse par cinq ans sur toute leur carrière.
    • Un bonus de pension : ceux qui décident de ne pas prendre de pension anticipée à 62 ans ou qui décident de poursuivre après l’âge légal, de 65 ans, recevront un bonus compris entre 300 et 500 euros par année travaillée en plus.
    • Plus d’égalité entre les hommes et les femmes : seront prises en compte les personnes, surtout des femmes, ayant mis leur carrière de côté pour s’occuper des enfants. Toute personne ayant travaillé à temps partiel avant 2001 (soit l’année d’introduction du crédit-temps avec allocations) pourra bénéficier de la pension minimum, en ne présentant que 208 et non 250 jours de travail effectif.
  • Les autres points étudiés ont été jetés à la poubelle : il s’agissait de la carrière de 42 ans pour les travailleurs ayant commencé à 18 ans (ce qui aurait supprimé l’âge légal de la pension à 65 ans), la fin des régimes favorables pour les travailleurs de la SNCB et les militaires professionnels, et la pension à temps partiel pour certains métiers considérés comme pénibles.
  • On a su assez rapidement, ces dernières semaines, qu’il n’y aurait pas d’accord politique sur ces différentes matières. Mais la réforme était censée, à l’origine, aller encore beaucoup plus loin, avant que le Premier ministre et la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), décident de se focaliser sur ces 4 grands points : l’accès à la pension minimum, bonus pension, égalité hommes-femmes et carrière de 42 ans.
  • Beaucoup d’économistes, mais aussi des partenaires autour de la table (MR, Open VLD et CD&V), voulaient qu’on s’attaque à la soutenabilité financière du système des retraites à long terme. Et de ce point de vue, la réforme semble en effet ne pas aller assez loin. Rappelons que les projections d’un récent rapport montrent qu’au pic du vieillissement, en 2050, il y aura un coût supplémentaire de 27 milliards d’euros, soit environ 5,5 % du PIB, par rapport à aujourd’hui.
  • Il y a aussi la question de l’équité : la différence entre la pension minimum de quelqu’un qui a travaillé en 4/5e, avec quelques années de maladie, pendant 20 ans et la pension de quelqu’un qui aura fait une carrière complète à temps plein sans tomber malade sera-t-elle conséquente ?

L’image d’ensemble : la réforme est aussitôt commentée par les partis impliqués, avant même la présentation de la réforme en conférence de presse.

  • Dire que la réforme ne suscite pas de commentaires dithyrambiques, c’est enfoncer une porte ouverte. Tout le monde au sein de la Vivaldi se réjouit d’un accord, mais beaucoup y ajoutent un élément qui tempère leur enthousiasme.
  • Georges-Louis Bouchez, le président du MR, a directement souligné l’absence de mesures pour garantir la soutenabilité financière du système des retraites : « Cette réforme des retraites ne va certainement pas assez loin si l’on veut garantir le financement de notre modèle, mais elle constitue un pas important dans la bonne direction avec une plus grande valorisation de l’effort: 20 ans de travail effectif pour la pension minimale! », ce dernier point était en effet une demande libérale. À la base, le PS voulait conditionner l’accès à la pension minimum à une carrière de 10 ans (à temps partiel). Du coté flamand, Egbert Lachaert (Open VLD) a souligné qu’il « restait du travail ».
  • Le président des socialistes flamands, Conner Rousseau (Vooruit), ne pouvait cacher sa déception: « Ce n’est pas une grande réforme. Ma génération s’inquiète pour sa future pension. Pour y parvenir, nous devons vraiment oser réformer. Tant sur le plan fiscal que sur celui des pensions. Et ce n’est pas le cas. Je suis déçu », lâche-t-il dans De Standaard.
  • Du côté de Groen et de la vice-première ministre, Petra De Sutter, on se félicite d’un accord qui « tient compte des personnes qui ont pris soin des autres, des personnes tombées subitement malades et des droits à pension des femmes », ajoutant que « cet accord n’est pas la fin d’une réforme plus vaste, mais seulement le début. »
  • La N-VA, dans l’opposition, ne fait naturellement pas dans la dentelle : « Le gouvernement De Croo a décidé de ne pas mener de réforme des pensions, mais a conclu un non-accord symbolique », a taclé le chef de groupe, Peter De Roover. Bart De Wever a souligné l’impuissance du Premier ministre face au PS: « Dans un pays où tous les paramètres financiers sont au rouge foncé, De Croo s’incline une nouvelle fois devant le PS. Ne pas travailler la plupart du temps équivaut presque à travailler pour une pension pendant toute une vie. Impayable et scandaleux. »
  • Ce faisant, le président de la N-VA a mis en avant une série de tweets de l’économiste (libéral) Stijn Baert (UGent) : « La montagne accouche d’une souris », estime l’économiste qui critique l’absence de mesures qui devraient rendre soutenable le système des retraites. Il souligne aussi l’effet « nul ou faible » du bonus pension pour un coût élevé, « alors qu’un rapport de Frank Vandenbroucke expliquait en 2019 pourquoi ce bonus pension ne fonctionnait pas ».
  • Rappelons que l’actuel ministre de la Santé et vice-premier ministre (Vooruit) est un spécialiste absolu des pensions, et qu’il s’est heurté plusieurs fois au PS lors des 10 réunions au sein du kern. S’il n’a pas attaqué le PS publiquement ce matin, sur Radio 1, Frank Vandenbroucke a également souligné ce goût de trop peu: « Il serait fou de s’arrêter là. Mais avec sept partis au pouvoir, il faut être d’accord avec chacun d’entre eux. »
  • Du côté du CD&V, le président Sammy Mahdi a fait un constat accablant: « La grande réforme des retraites n’est pas pour demain. Heureusement, beaucoup de propositions absurdes qui font tout sauf valoriser le travail ne le seront pas non plus. Quand on a besoin de jours et de nuits pour convaincre certaines personnes que 20 ans de travail est une condition minimale absolue, on en sait assez », a-t-il lancé à l’adresse des socialistes.

Jamais deux sans trois : après le jobs deal et la réforme des retraites, la réforme fiscale est le prochain gros chantier de la Vivaldi. Vincent Van Peteghem (CD&V), le ministre des Finances, a présenté sa réforme ce mardi. Nul doute qu’elle promet déjà de nombreux affrontements.

  • C’est la mère de toutes les réformes. Celle qui bousculera sans doute le plus les citoyens, directement concernés, et qui suscitera aussi le plus de rejet d’une partie de la population. Pourtant, la réforme fiscale n’est pas inscrite en tant que telle dans l’accord de gouvernement. Il y est annoté qu’elle serait « préparée » en cours de législature.
  • Après plusieurs fuites de rapports intermédiaires, qui ont suscité le rejet de la gauche ou de la droite (lire : le PS et le MR), le ministre des Finances, Van Peteghem, a présenté sa dernière mouture ce mardi (voici le rapport complet).
  • On connaissait déjà les grands principes de sa réforme : harmoniser les régimes (salariés, fonctionnaires et indépendants), simplifier les nombreuses ramifications et exceptions fiscales, mais surtout, baisser l’impôt sur le travail pour le faire porter davantage sur le patrimoine. « Pour un impôt plus juste », cela a toujours été le mantra du ministre des Finances. Mais que contient sa réforme ?
    • L’impôt sur le travail: quotité exemptée d’impôt passerait de 9.270 euros à 13.390 euros par an. L’impôt ira ensuite progressivement de 25 à 50%.
  • Soulignons d’emblée que cette réforme se voulait budgétairement neutre, ce qui veut dire que ce qu’on prend d’un côté, il faut le remettre de l’autre. Or, cette réforme est un immense tax shift de 10 milliards d’euros qui doit nous enlever le titre de champion du monde de l’impôt sur le travail.
    • C’est pourquoi le ministre veut supprimer toutes sortes de niches fiscales qui ont été créées en réponse à cet impôt élevé sur le travail, comme les éco-chèques, les chèques-cultures (les chèques-repas ne sont plus concernés), les options, les droits d’auteurs (pour en revenir à l’essence même de ceux qui créent du contenu), la carte essence ou le fait de passer en société pour des raisons fiscales.
    • Un impôt commun pour tout ce qui concerne le patrimoine à 25%: au-delà des 6.000 euros par an. Cela concernerait les revenus locatifs ou toutes les autres formes de placement. Une exception : les plus-values sur les produits financiers taxées à 15%, mais en prenant en compte les moins-values. En outre, les impôts existants sur la fortune ou les transactions, comme la taxe sur les comptes-titres et la taxe sur les opérations boursières, seraient supprimées.
    • Une TVA harmonisée : à 9% pour le taux réduit, et à 21% pour le taux normal. Il existerait en outre une TVA à 0% pour tout ce qui touche à « une alimentation saine, aux soins médicaux, aux produits d’hygiène essentiels et aux transports publics ». Le ministre vise en particulier « les fruits et légumes, les médicaments, les couches et autres produits de protection de l’hygiène intime, et le transport de personnes organisé ou subventionné par les pouvoirs publics ».
    • Il est aussi prévu une plus grande neutralité dans les choix de vie: le quotient conjugal passerait à la trappe ainsi que les pensions alimentaires.
  • On sent au travers de cette dernière version que le ministre a tenu compte de certains reproches passés, et qu’il a voulu corriger le tir pour que chaque parti puisse en retirer quelque chose. Mais c’est une certitude, cette réforme suscitera un nouvel affrontement idéologique.
  • La grande question est de savoir si ce grand débat pourra aboutir sur une réforme concrète. Personne n’y croit vraiment au sein de la Vivaldi. Preuve en est, cette réforme est lâchée dans la presse avant même d’aboutir sur la table du gouvernement. Qui plus est le jour de l’accord sur la réforme des Pensions. N’est-ce finalement qu’un écran de fumée ?
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