Est-il temps d’interdire les espèces et ainsi de sauver l’économie?

Kenneth Rogoff, l’économiste conseiller de la Federal Reserve de New York, qui est aussi professeur d’économie et de politique publique à Harvard, a plaidé pour une suppression totale des espèces dans l’économie dans un article qu’il a publié dans le Financial Times. Il estime que l’abolition de l’argent liquide faciliterait la mise en œuvre de certaines politiques monétaires pour les banques centrales et qu’elle contribuerait à la lutte contre la criminalité et le crime organisé.En effet, l’élimination des billets aurait pour effet de supprimer ce que les économistes appellent « la borne zéro » des taux d’intérêt. En effet, comme les individus ont toujours la possibilité de détenir des billets de banque chez eux, et de de substituer l’argent liquide à l’argent économique, ils peuvent neutraliser les effets des politiques de taux d’intérêt bas voire négatifs que les banques centrales veulent parfois conduire. Sans possibilité de thésauriser l’argent chez eux, dans un contexte de taux faibles ou négatifs, les individus seraient plus incités à consommer plutôt qu’à épargner de l’argent sur leur compte qui ne leur rapporterait rien, voire, leur coûterait de l’argent.Le second avantage de l’absence de liquidités, c’est qu’elle compliquerait singulièrement les opérations des gangs de crime organisé, et notamment celles des cartels de drogue, mais aussi la fraude fiscale.Mais Rogoff concède que la situation actuelle présente certains avantages. Par exemple, l’impression de monnaie fournit une source importante de revenus pour les banques centrales, ce qui leur permet de couvrir elles-mêmes leurs frais d’exploitation, et de cette manière, de garantir leur indépendance contre toute éventuelle pression politique.De plus, l’argent liquide et les paiements anonymes qu’il permet garantissent également le droit de l’individu à une vie privée.Mais selon l’économiste, ces avantages seraient largement compensés par la valeur ajoutée apportée par la suppression des espèces.Toutefois, les préconisations du professeur Rogoff ne font pas l’unanimité. « L’abolition de l’argent est une idée fort peu pratique émise par un théoricien », critique Sinclair Davidson, professeur d’économie institutionnelle à l’Institut Royal de Technologie de Melbourne (RMIT) en Australie. « L’argent liquide a évolué dans toute société. Les gens se sont fixés sur quelque chose et l’ont utilisé comme un moyen d’échange. De plus, il minimise les coûts du commerce. Allons-nous nous débarrasser de ça parce qu’il y a des criminels parmi nous ? »D’après Davidson, les arguments de Rogoff ne visent qu’à simplifier la vie des législateurs américains, en supprimant des difficultés, plutôt que celle de la population. « l’argent facilite les échanges, et oui, une partie de ces échanges peuvent être illégaux. Mais une économie liquide est plus saine et plus prospère qu’une économie sans espèces ».En Europe, il est régulièrement question de supprimer le billet de 500 euros, notamment pour ramener les milliards d’euros de l’économie souterraine dans l’économie productive. Le journal espagnol La Vanguardia est aussi de cet avis : « Avons-nous réellement besoin des billets de 500 euros ? les experts en doutent parce que leur utilisation se concentre sur les fraudes, mais pas dans l’économie réelle.  Les autorités britanniques savaient ce qu’elles faisaient en 2011 lorsqu’elles les ont retirés de la circulation, parce qu’ils dissimulent souvent des activités délictueuses… Aujourd’hui, les autorités sont sur le point de savoir où ils se trouvent, comme cela s’est produit avec le chef d’Al Qaïda, lequel leur a donné leur surnom».Au mois de février de cette année, la Cour Suprême espagnole a décidé que les banques devraient désormais rapporter au Trésor public les détails des transactions réalisées avec des billets de 500 euros. Les institutions financières devront identifier les auteurs de mouvements de trésorerie au moyen de leur numéro d’identifiant fiscal (NIF ou ID, selon qu’il s’agit d’entreprises ou de particuliers). Elles devront motiver les mouvements de montants supérieurs à 10.000 euros, ou la valeur nominale des billets utilisés. Les inspecteurs des impôts souhaitent également que l’on étende cette mesure aux opérations réalisées avec des billets de 200 euros.