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Le nucléaire : l’autre source d’énergie venue de Russie dont on n’est pas près de se passer

Le nucléaire : l’autre source d’énergie venue de Russie dont on n’est pas près de se passer
La centrale nucléaire de Saint-Pétersbourg, gérée par Rosatom. (Photo by Sezgin Pancar/Anadolu Agency via Getty Images)

Le gaz, le pétrole, et enfin le diesel : les pays occidentaux ont à peu près réussi l’exploit de massivement changer de sources d’approvisionnement énergétique en une petite année, afin de tarir les revenus de la Russie. Mais il en reste une pour laquelle sanctionner s’avère difficile voire impossible, car les alternatives sont rares et, manque de chance, c’est à la fois la plus propre et la plus productive.

Le problème : si les pays européens ont pu, après beaucoup d’angoisses, se passer de services d’entreprises étatiques russes comme Gazprom pour se chauffer et s’éclairer, c’est plus compliqué avec Rosatom. Cette entreprise publique russe spécialisée dans le secteur de l’énergie nucléaire regroupe plus de 300 entreprises et organisations et emploie 250.000 personnes, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est tentaculaire – et incontournable dans de nombreux pays qui comptent sur l’atome. À ce jour, il n’y a aucune sanction internationale qui pèse sur la filière nucléaire russe.

  • La Russie extrait selon les années de 5 à 8% de l’uranium mondial, et ça n’est pas négligeable, mais l’extraction n’est que la première étape. Si le Kazakhstan est le plus grand mineur, c’est son grand voisin qui garde une mainmise certaine sur l’industrie du traitement et du raffinement du combustible nucléaire – ainsi que sur son recyclage.

40% de l’enrichissement mondial de l’uranium

  • « L’enrichissement est essentiellement l’étape qui permet d’obtenir le combustible nécessaire pour faire fonctionner les réacteurs à eau légère, qui constituent la majorité des réacteurs dans le monde » résumait en mars 2022 Jonathan Hinze, président d’UxC LLC, une société d’analyse du marché du combustible nucléaire, auprès de Market Place. Soulignant déjà le problème que ça poserait pour l’approvisionnement énergétique mondial, il rappelait que la Russie possédait environ 40 % de la capacité mondiale d’enrichissement de l’uranium.
  • Seuls cinq États membres de l’UE ont produit des éléments combustibles issus d’uranium naturel en 2021 : l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Roumanie, et la Suède, avec un déclin de 10% de la production depuis 2012 selon Eurostat. C’est d’ailleurs la Belgique qui remporte la palme, avec un arrêt total de sa filière de préparation de l’uranium depuis 2012. Les politiques d’abandon du nucléaire qui étaient en vogue avant la crise énergétique sont passées par là, et on en fait rendu l’Union encore plus dépendante d’autres pays.
  • Peu de temps avant l’invasion de l’Ukraine, on estimait qu’une centrale nucléaire sur cinq soit se trouvait en Russie, soit était construite dans un autre pays par des Russes. La Russie est en fait incontournable, et la majorité des 32 pays qui, actuellement, utilisent l’énergie nucléaire, traitent ou on traité avec Moscou pour en arriver là, que ça soit pour le combustible ou l’expertise.

Cheval de Troie à l’U235

Le cheval de Troie le plus efficace du Kremlin ne passait pas par Nord Stream, mais par les isotopes radioactifs. Or, si les problèmes de gaz et de pétrole de l’UE ont au moins eu l’avantage d’accélérer le mouvement d’abandon des énergies fossiles, c’est tout l’inverse qui se produirait en cas de sevrage de l’uranium russe : le nucléaire reste, il faut encore le rappeler, la plus productive des énergies propres.

  • En 2021, les États-Unis dépendaient du monopole nucléaire russe pour 14 % de l’uranium qui alimentait leurs réacteurs nucléaires, et les services publics européens ont acheté près d’un cinquième de leur combustible nucléaire à Rosatom. La filière russe est presque aussi importante pour les USA que pour l’UE, et l’oncle Sam ne peut donc pas fournir en urgence des produits de remplacement, comme pour le GNL.
  • Dans l’UE, environ un quart de l’électricité produite provient du nucléaire. Or, selon les chiffres de 2021 de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), 20% de l’uranium naturel utilisé dans les réacteurs européens provenait de l’entreprise publique russe ; un marché à 210 millions d’euros. Un quart des services de conversion du combustible et un tiers de ceux d’enrichissement étaient aussi fournis par Rosatom ou ses sous-traitants. Des chiffres qui n’ont vraisemblablement pas beaucoup évolué depuis, l’Europe étant très frileuse à se couper d’une autre source essentielle d’énergie, et l’uranium échappant toujours aux sanctions.

Des réacteurs made in Russia dans l’UE

  • De plus, certaines centrales européennes sont de conception russe : 18 sont actuellement en service, majoritairement en Europe centrale, et d’autres étaient dans les cartons avant que la guerre ne vienne jeter son ombre sur ces projets. C’est le cas par exemple en Hongrie, où le gouvernement a passé de juteux accords avec Rosatom pour concrétiser sa transition énergétique, ce qui contribue à faire de Budapest un des pays de l’UE les plus frileux à sanctionner Moscou. Petit détail : ces réacteurs ont besoin d’un uranium spécialement enrichi selon les méthodes de Rosatom, selon Politico.
  • Dans certains pays, on tente de régler ce problème. La Finlande a renoncé à un accord portant sur la construction d’une centrale nucléaire de fabrication russe. La Bulgarie et la République tchèque ont signé des contrats avec l’entreprise américaine Westinghouse pour reprendre l’exploitation de centrales d’origine russe. Mais cette transition pourrait prendre jusqu’à 10 ans de travaux, selon Agnieszka Kaźmierczak, la directrice générale d’Euratom.
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