Netflix a perdu des abonnés, pour une première fois de son histoire, et cherche à panser ses plaies. Une piste envisagée pourrait être une plus grande présence, avec des franchises de blockbusters, dans les salles de cinéma, avec laquelle la plateforme est cependant en guéguerre. De nombreux obstacles techniques et juridiques sont encore sur la planche.
« Votre précédent film est également disponible sur une plateforme dont je ne dirais pas le nom », entonnait un directeur d’un cinéma d’art et essai bruxellois, en présentant un réalisateur lors d’un récent festival cinématographique. Son aversion, certes surjouée pour l’effet humoristique, en dit long sur une guéguerre existant entre le monde des salles obscures et le monde du streaming.
Les deux modes de consommation ne sont certes pas mutuellement exclusifs, mais une certaine concurrence ou animosité existe bel et bien. Dans ce contexte, Netflix agglutinait, de mois en mois, de nouveaux abonnés, et des droits de diffusion pour de nouvelles ou d’anciennes oeuvres du septième art. Mais désormais, la plateforme du streaming a buté sur ses objectifs du nombre d’abonnés : lors de sa dernière annonce de résultats, elle a déclaré une baisse de ce nombre. L’action a immédiatement chuté de plus de 35%.
Netflix cherche à panser ses plaies avec une franchise
Depuis, de nouvelles idées sont sur la table. Abonnement moins cher mais avec des publicités? Traque au partage des mots de passe? Diverses pistes sont pointées. Une dernière en date est une plus étroite collaboration avec les salles de cinéma, relaye CNN Business.
Des films produits par Netflix sont déjà diffusés au cinéma. Mais la possibilité de les voir était souvent limitée dans le temps, par exemple, pour alors attirer les spectateurs les ayant ratés vers la plateforme en ligne. Mais dans ce gâteau du box-office, Netflix se verrait désormais bien augmenter sa part.
C’est que d’un côté, les séries Netflix font un carton, et sont devenus de véritables objets de la culture populaire, mais d’un autre côté, ses films, malgré de prestigieuses récompenses, dont des Oscars, n’ont pas pu profiter de cet élan dans la culture populaire. Comme le film le plus vu sur la plateforme, « Red Notice », un film d’action avec Dwayne Johnson et Gal Gadot, qui a tout d’un gros blockbuster américain qui fait habituellement des millions d’entrées, et qui peut donner suite à plusieurs autres volumes.
Voilà précisément ce que cherche la plateforme : créer une telle franchise, qui pourra créer un univers et encore attirer des spectateurs après le énième titre sorti. « Il est toujours impossible de construire une franchise cinématographique majeure sans sorties en salles », analyse Andrew Hare, chercheur pour Magid, pour CNN. Ainsi, Netflix aura besoin d’être présent dans les salles pour lancer un tel produit. « Non seulement pour la saison des prix et récompenses du cinéma, mais aussi pour le buzz nécessaire pour être un acteur majeur d’un moment hybride dans une époque qui garde un pied dans le physique et un pied dans le numérique. »
Profitable pour les cinémas?
De leur côté, les salles de cinéma pourraient également avoir besoin d’un tel coup de pouce, au sortir de deux ans de pandémie et de longues périodes de fermeture des salles. « Les cinémas ont plus que jamais besoin de contenu », explique Jeff Bock, analyste auprès de la société de recherche sur le divertissement Exhibitor Relations. « Beaucoup de sorties Netflix sont accompagnées de grands noms, ce qui leur permettrait certainement de franchir les tourniquets ».
Et le monde du cinéma, serait-il prêt à « avaler la pilule »? Aux Etats-Unis, un des représentants principaux du secteur, la National Association of Theater Owners, semble en tout cas d’accord. « Nos portes sont ouvertes pour donner une lecture plus large aux films de Netflix. Nous serions ravis de diffuser davantage de leurs films », annonce le président de l’association, cité par CNN.
En Europe, la plateforme aura peut-être un peu plus de mal à se frayer un chemin vers les salles de cinéma. Fin 2021 par exemple, plusieurs films produits par Netflix étaient à l’affiche, comme « The Power of The Dog » (récompensé aux Oscars, aux Gloden Globes, et à Venise) ou « E stata la mano di Dio » (récompensé à ces trois festivals également). En Belgique, les sorties se sont passées sans accroc apparent, mais en France, elles ont amené leur lot de polémiques, et les films n’ont pas pu être diffusés pour des raisons légales (voir ci-après). En France également, le Festival de Cannes a longtemps catégoriquement refusé, et publiquement conspué, les productions de la marque, et il a fallu longtemps (2017) qu’un premier ouvrage puisse monter les marches de la Croisette.
Temps dans les salles? Et après?
Le problème auquel les films Netflix sortis en salle font face, en France notamment, sont des règles en matière de délais fixés pour les chaines télévisées, aussi appelé la « chronologie des médias ». Un certain temps est en effet imposé avant qu’un film sorti en salle puisse être diffusé sur une chaine de télévision ou en VOD : une chaine privée et payante de cinéma, comme Canal+ doit attendre 10 mois, si des accords ont été conclus, ou 12 mois. Après 22 mois, les chaines gratuites ou payantes qui coproduisent des films peuvent diffuser le film, et les autres doivent attendre 30 mois, rappelle le CSA français. Ces règles légalement contraignantes ne plaisent par exemple pas à Netflix, qui veut sortir ses films en salle et immédiatement sur sa plateforme, après. Elles seront en tout cas un obstacle pour une présence dans les salles obscures.
Aux Etats-Unis, la querelle porte actuellement plus sur le temps lors duquel un film peut être diffusé en salle. Pour « The Irishman » de Scorsese (sorti en 2019) par exemple, Netflix ne voulait pas plus de 45 jours, alors que les cinémas en demandaient 70, rappelle CNN. Là aussi, un juste milieu devra alors être trouvé.
Au final, Netflix, ou toute autre plateforme de streaming qui produit des films, devra également trouver une balance entre les films diffusés en salle, et ceux diffusés sur la plateforme : de quoi motiver le spectateur à souscrire un abonnement, sans qu’il ne se dise qu’en pouvant voir les films à l’unité, en salle, il n’aurait pas besoin d’un tel abonnement. Dans le monde physique, des frais supplémentaires de marketing et de promo sont également nécessaires.
Mais par sa récente mésaventure avec le nombre de ses abonnés, Netflix pourrait bel et bien chercher à se diversifier de la sorte. « Je pense que Netflix continue d’être en mode expérimental », conclut Hare. « La société ne peut pas se permettre de ne pas expérimenter en ce moment ».