Un plan B astucieux – la réforme des pensions – était déjà dans le tiroir d’Alexander De Croo (Open Vld) depuis un certain temps. Et ce plan s’est avéré être la base du repli idéal, samedi soir, pour faire malgré tout des « progrès », lorsque les discussions sur la réforme fiscale semblaient s’engluer. Presque tous les partis ont pointé du doigt le MR, qui bloquait toutes les discussions possibles avec des vétos sur la fiscalité. Alors que le Premier ministre et son vice-Premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) parlaient de « discussions constructives », la frustration était palpable chez les socialistes et les verts : « Ça ne marche vraiment pas », disait-on. Ainsi, De Croo a changé de stratégie et a présenté une note qu’il avait élaborée conjointement avec le PS dans un pré-accord. La ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), a été immédiatement rappelée de Paris, et les contours d’un accord plutôt modeste ont été mis sur la table : non pas un effort de 1,2 % du PIB, comme la secrétaire d’État au Budget Alexia Bertrand (Open Vld) l’avait exigé, mais environ 0,5 %, exactement l’idée de départ du PS. Les socialistes obtiennent également la ‘carotte’ qu’ils avaient mise sur la table : un bonus de pension de 22.645 euros nets pour ceux qui travaillent trois années supplémentaires, payé en une fois. En échange, les socialistes ont fait une croix sur ce qu’ils avaient de toute façon déjà renoncé : la péréquation des pensions des fonctionnaires. « Le PS était cerné », disent les libéraux après l’accord. On rejette cette explication du côté des rouges : « Nous n’avons vraiment pas été déshabillés ici, au contraire, regardez simplement l’accord. Le Premier ministre avait besoin d’un accord ». Pendant ce temps, le vice-Premier ministre Vincent Van Peteghem (cd&v) se battait bec et ongles pour obtenir des « garanties » sur sa réforme fiscale.
Dans l’actualité : « La Vivaldi fait des accords », tel est le mantra. Voici la nouvelle mouture de la réforme des pensions.
Les détails : La Vivaldi revendique un triomphe sur les pensions, après un week-end où les informations étaient particulièrement pessimistes sur la réforme fiscale. Sur ce sujet, un petit accord de principe a été conclu, qui ne va pas beaucoup plus loin que ce qui avait déjà été convenu en octobre dernier, lors du conclave budgétaire.
- « Un accord de 3 milliards d’euros, soit 0,5 % du PIB. » Ce matin sur Radio 1, le vice-premier ministre de l’Open Vld, Vincent Van Quickenborne, était particulièrement enthousiaste – c’est sa marque de fabrique – à propos de la réforme des pensions actée par la Vivaldi. Vendre des accords comme « historiques » : c’est quelque chose que ‘Q’ sait faire comme personne d’autre.
- L’accord a été vécu comme un retournement de situation surprenant lors d’un week-end où tout semblait bloqué. Le mot « mensonges » a même été prononcé, quand une version très optimiste des discussions au sein de la Vivaldi a été rendue publique par Belga. Il était question de « discussions constructives », ce qui a été publié mécaniquement sur les sites des journaux. Mais cela a été radicalement contredit par plusieurs vice-Premiers ministres :
- « Ce que tout le monde a constaté depuis longtemps est maintenant devenu très douloureux : le MR ne veut et ne peut pas bouger », a résumé un vice-Premier ministre. « Que faisons-nous encore ici, Georges-Louis Bouchez (MR) a déjà préparé sa communication », a-t-on entendu ailleurs.
- Surtout samedi soir, les choses étaient complètement bloquées : le vice-premier ministre du MR, David Clarinval, ne se faisait presque plus entendre, son parti continuait à insister sur la réforme du marché du travail comme condition à la réforme fiscale. Ce qui était ‘no pasaran‘ clair pour le PS et Ecolo. Et à l’inverse, les libéraux francophones bloquaient presque chaque proposition fiscale qui aurait pu générer des revenus supplémentaires pour l’État.
- « Nous ne comprenons pas ce que nous faisons encore là. Le MR dit cela depuis trois semaines, le Premier ministre semble simplement l’ignorer. Ce n’est rien d’autre qu’une séance thérapeutique », avait commenté un partenaire du gouvernement, samedi soir.
- Les choses n’évoluaient donc pas bien pour De Croo, qui n’avait atteint qu’un seul de ses trois grands projets annoncés : l’accord avec Engie. Bien maigre, d’autant que celui-ci avait été éclipsé par la démission d’Egbert Lachaert de l’Open Vld.
Le revirement : une proposition commune du Premier ministre et du PS est soudainement arrivée sur la table.
- Le Premier ministre De Croo n’a peut-être pas le poids électoral pour imposer un accord, mais il reste maître d’une chose : l’agenda de la Vivaldi. Et il joue cette carte comme personne d’autre. Dimanche, le Premier ministre De Croo a sorti son « plan B » : essayer de conclure un accord sur les pensions.
- Il avait préalablement travaillé sur un accord avec le PS : une technique qui avait provoqué pas mal de remous au sein de son propre parti. « De cette manière, tu es tondu deux fois : une fois par le PS et une 2e fois au sein du kern », avait exprimé Egbert Lachaert, alors qu’il était encore président de l’Open Vld.
- Mais les choses ont changé rue Melsens, le siège de l’Open VLD. Lachaert a été poussé vers la sortie et De Croo a clairement pris le pouvoir, en nommant Tom Ongena comme président intérim. La voie était libre.
- De plus, le président du PS, Paul Magnette, avait indiqué depuis longtemps qu’il possédait une certaine marge de négociation : entre autres, le principe de la péréquation des pensions des fonctionnaires. Il s’agit du mécanisme qui augmente les pensions automatiquement par rapport aux salaires des fonctionnaires, qui eux-mêmes sont indexés automatiquement. Un double avantage disproportionné pour la fonction publique. Le PS était prêt à en discuter, tout simplement parce que cela concernait en grande partie les fonctionnaires flamands, notamment dans l’enseignement. Mais jusque-là, les socialistes bloquaient totalement sur ce point.
- Reste que le PS était complètement frustré ces dernières semaines : De Croo n’avait pas réagi aux propositions de Lalieux. Le Premier ministre refusait de mettre les pensions à l’ordre du jour. « Le Premier ministre prend le dossier en otage », a souvent été entendu au Boulevard de l’Empereur, le quartier général du PS. Et donc, lorsque le Premier ministre et la ministre des Pensions Karine Lalieux ont déposé ensemble une note dimanche soir, tout le monde savait immédiatement ce qui allait suivre.
L’essentiel : un accord où tout le monde a fait des concessions. C’est donc encore possible au sein de la Vivaldi. L’accord final a été conclu aux petites heures, ce matin.
- En voici les grandes lignes :
- Le bonus pension sera accordé aux personnes qui décident de travailler 3 ans de plus. Un montant de 22.645 euros nets pourra être versé en une seule fois, au moment du départ à la retraite. Cette somme doit servir de stimulant pour garder les personnes plus longtemps à l’emploi. Tout le monde était pour autour de la table.
- L’âge de la retraite est toujours fixé à 65 ans aujourd’hui, à 66 ans à partir de 2024 et à 67 ans à partir de 2030. Mais il sera possible de prendre une retraite anticipée si vous avez un nombre d’années de carrière suffisant :
- à 60 ans si vous avez réalisé 44 ans de carrière
- à 61 ans si vous avez réalisé 43 ans de carrière
- à 62 ans si vous avez réalisé 43 ans de carrière
- à 63 ans si vous avez réalisé 42 ans de carrière
- Une hausse de la pension minimale telle que décidée en début de législature (et qui va aujourd’hui bien au-delà des 1.500 euros prévus) a été rabotée de quelques euros par mois, ce qui permet à la Vivaldi de faire une économie annuelle de 126 millions d’euros.
- Cette pension minimale sera toujours conditionnée à une période de travail effectif de 30 ans ou 5.000 jours effectifs. L’ajustement de la réforme introduit de nouvelles périodes assimilées à du travail effectif, pour mieux protéger les femmes dont les carrières sont souvent plus courtes et plus hachées que les hommes. On parle ici du congé de naissance, le congé d’adoption, le congé d’écartement préventif du travail, le chômage temporaire et le congé de paternité. C’est ici une victoire pour Karine Lalieux.
- En outre, tous les régimes spéciaux comme ceux de la Défense, des services pénitentiaires ou de la SNCB et Infrabel, ne sont pas modifiés.
- La péréquation de la pension des fonctionnaires n’a pas été supprimée, mais a été limitée à 0,3% de la masse de pensions des fonctionnaires. Il s’agit ici d’une concession du PS. C’est aussi la plus grande partie de l’ajustement de la réforme des pensions : 80% des économies, soit 1,7 milliard d’euros d’ici à 2070.
- En contrepartie, la taxation touchant les primes de pensions complémentaires dans le deuxième pilier sera doublée, passant de 3 à 6% à partir du 1er janvier 2028. Il s’agit de la taxe Wijninckx pour les plus hautes pensions seulement. On parlerait de 2.900 personnes, selon l’une de nos sources libérales.
- Le PS et De Croo ont pu bénéficier du soutien « des anciens ministres des Pensions de Frank Vandenbroucke et de Vincent Van Quickenborne qui ont poussé cette nuit jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord », a commenté un participant.
- Les libéraux étaient particulièrement triomphalistes sur le fait que la péréquation est désormais presque abolie. « Cette vache sacrée a été mise sur la table par Vincent lors de la préparation du budget 2023, en octobre dernier. Cette proposition était alors imbuvable pour le PS. Mais ils ont dû maintenant accepter un compromis, car il n’y avait pas d’autre choix. Le secrétaire d’État à la Relance, Thomas Dermine (PS), avait besoin de son argent européen. Et Lalieux avait besoin de sa réforme, sinon elle aurait été le ‘canard boiteux’ de la coalition », déclare un haut représentant des libéraux.
- On ne voit bien sûr pas les choses de la même manière du côté du PS. Les socialistes ont vu dans « l’ouverture » de De Croo une manœuvre pour leur faire porter le chapeau de l’échec des négociations sur la réforme fiscale : « Si nous n’avions pas conclu d’accord, nous aurions été blâmés ».
- « Mais si nous pouvons conclure un bon accord, pourquoi pas ? Nous nous sommes toujours comportés en partenaires loyaux et constructifs dans cette coalition. Nous demandions depuis des mois de mettre les pensions à l’ordre du jour. Et franchement, nous n’avons pas dû baisser notre pantalon. Les pensions les plus élevées sont imposées de manière supplémentaire, la péréquation n’est pas abolie, mais plafonnée. Si l’Open Vld a maintenant besoin de présenter cela différemment, c’est que le Premier ministre a besoin de cela en ce moment, non ? », dit-on en souriant, au PS.
La vue d’ensemble : L’Europe sera-t-elle désormais satisfaite ? Va-t-elle enfin payer la première tranche à la Belgique ?
- Avec la réforme des pensions, une avancée a été réalisée dans un autre dossier important : l’argent du plan de relance européen. Depuis six mois, la Belgique ne demande pas la première tranche de 947 millions d’euros à la Commission européenne, car cette dernière n’avait pas obtenu notre promesse de réformer les pensions de manière soutenable.
- C’est maintenant l’intention de la Vivaldi. Certains pays européens en sont par exemple déjà à leur 3e, voire 4e tranche. La Belgique risquait d’être mise à l’amende. Cependant, au final, c’est la logique du PS qui a été suivie sur la réforme des pensions, et non celle de la Commission européenne et des libéraux.
- Lors d’un contact à la fin du mois dernier avec la Commission européenne, la secrétaire d’État au budget, Alexia Bertrand, a reçu un message clair. Si la Belgique ne demandait pas la première tranche en septembre, elle risquait d’être définitivement perdue. En outre, la Commission attendait une réforme qui devait être neutre par rapport au budget de 2020, ce qui représentait donc un effort de 1 à 1,2% du PIB. Bertrand a même confirmé ces chiffres à la Chambre, à la demande de l’opposition.
- Au PS, on se basait sur un rapport de la Commission sur le coût du vieillissement de juillet 2020, qui projetait les dépenses sociales à 29,1% du PIB en 2070. Et en juillet 2022, la Commission a fixé ces mêmes coûts à 29,5%. Cette différence, soit 0,4% du PIB, est donc ce qui devait être comblé selon le PS. Et c’est ce qui a été fait.
- Au final, le Premier ministre De Croo a repris ce raisonnement dans sa note : on visait une différence de 0,481 % du PIB, et selon des sources libérales, on a finalement atteint 0,5 %.
- « Nous avons satisfait à toutes les exigences : une réforme fondamentale, plus de solidarité, et l’Europe approuvera cela », a déclaré Lalieux sur la RTBF. L’affaire est donc close avec la Commission européenne, selon la Vivaldi.
- Du côté de l’opposition, on fulmine déjà : « Bertrand a toujours dit qu’un effort de 1,2% du PIB était nécessaire. Et maintenant, ils arrivent avec un accord qui n’est même pas la moitié de cela ? Si Alexia Bertrand veut être crédible sur le budget, elle doit renvoyer la balle au gouvernement. Il faut faire plus pour réformer. À moins qu’elle préfère dire ce que le Premier ministre veut entendre », réagit le spécialiste du budget Sander Loones (N-VA) depuis l’opposition.
La grande question : Que devient la réforme fiscale ?
- Selon diverses sources, la plus grande opposition à la réforme des pensions est venue du vice-premier ministre du cd&v, Vincent Van Peteghem. Il se demandait à juste titre quel serait le sort de sa réforme fiscale. Une dissociation des deux grands dossiers, celui des pensions et celui de la réforme fiscale, signifie que tout levier sur ce dernier dossier disparaît.
- Van Peteghem a donc refusé de s’engager dans un accord sans qu’au moins certaines garanties lui soient données pour lui et ses dossiers. Il les a finalement obtenues : il a été convenu en principe que la Contribution spéciale de sécurité sociale (la CSSS) serait certainement supprimée. C’est ce que le cd&v nous a également communiqué ce matin : c’est « acquis ».
- Ce n’est pas vraiment nouveau : l’abolition de la CSSS était déjà dans les notifications de l’accord budgétaire d’octobre de l’année dernière. Ce n’est donc qu’une répétition de ce qui avait déjà été concédé au cd&v. Et encore cette nuit, on n’a pas pu se mettre d’accord sur le financement de cette mesure.
- Cependant, les acteurs autour de la table restent optimistes quant à la possibilité de finaliser ce dossier avant le 21 juillet. Alors, la Vivaldi et surtout le Premier ministre De Croo pourront partir en vacances avec le sentiment du devoir accompli : ils auront réglé les « trois grands dossiers », Engie, les pensions et la réforme fiscale.
- La question, comme pour les pensions, est de savoir ce qu’il reste vraiment de la réforme fiscale. Elle est passée de 6 milliards à 2 milliards la semaine dernière. Désormais, on pourrait se diriger vers la seule abolition de la CSSS. Il était déjà clair que les partis n’étaient pas sur la même longueur d’onde concernant la réforme de la TVA. Différentes interventions ciblées provoquent des réactions négatives. Tout le monde s’accorde à ne pas rendre plus cher le panier des ménages, mais personne ne tombe d’accord sur ce qu’il faudrait taxer plus ou moins. Pour rappel, cette réforme vise à ramener le taux réduit de la TVA à 9% plutôt que les deux régimes actuels : 6 et 12%.
- Plus fondamentalement, la question reste de savoir si le MR veut une réforme : pour Georges-Louis Bouchez (MR), il s’agit surtout d’empêcher de nouvelles taxes, notamment sur les comptes-titres.