Alexander De Croo (Open Vld) décrit sa rencontre avec Benjamin Netanyahu, son homologue israélien, comme un « échange ouvert et franc ». En réalité, la délégation belgo-espagnole a subi deux heures d’immersion intense dans la mentalité israélienne du moment, d’une profonde obscurité. « C’est vous, les Européens, qui avez financé les tunnels du Hamas » , a lancé le président israélien Isaac Herzog aux deux Premiers ministres. Chez « Bibi » , le duo a d’abord été confronté au film israélien regroupant les attaques du 7 octobre. Sa diffusion avait été refusée à la Chambre, en Belgique, mais De Croo et Sanchez n’ont pas eu le choix : plus de 30 minutes de violence brute et de terreur du Hamas. Netanyahu, après avoir visionné le film avec eux, n’y a pas été par quatre chemins : « Ce sont des nazis », a-t-il affirmé. Mais De Croo et Sanchez ont maintenu leur position : la violence doit cesser, le dialogue doit être privilégié. Toutefois, dans les milieux diplomatiques, on admet que les Israéliens poursuivront le combat pendant encore au moins cinq à huit semaines, malgré l’insistance des deux représentants européens.
L’actu : Le Premier ministre belge s’est rendu en Israël, puis en Palestine et se trouve aujourd’hui en Égypte, au poste frontière de Rafah, à Gaza.
Les détails : À Jérusalem, De Croo et Sanchez ont reçu une douche froide de la part des autorités israéliennes : la paix n’est pas à l’ordre du jour pour Netanyahu et son équipe, ce qui n’est guère surprenant. L’argument de De Croo qui visait à utiliser ce cessez-le-feu pour rechercher une paix durable s’est perdu dans les bruits assourdissants des tirs de mortiers à la frontière de Gaza.
- Ce matin, à 7 heures, un silence a enveloppé Gaza pour la première fois depuis des semaines : le cessez-le-feu tant attendu, une pause humanitaire dans les combats de quatre jours, a débuté entre l’armée israélienne et le Hamas. Cet après-midi, le premier groupe d’otages sera libéré.
- Pour De Croo et Sanchez, le calendrier est opportun : après une visite au Caire hier soir et une rencontre avec le dictateur Abdel Fattah El-Sisi, ils se rendent aujourd’hui à Rafa. Ce point de passage est le principal et unique lien entre Gaza et l’extérieur, via l’Égypte. Ils vont plaider pour que plus d’aide humanitaire soit autorisée à passer. À la frontière, des tonnes de marchandises attendent un « feu vert » d’Israël.
- Cette traversée en Égypte contraste nettement avec l’intense activité militaire de l’armée israélienne de son côté de la frontière avec Gaza. La délégation européenne l’a vu de près : des dizaines de chars, des colonnes de jeeps Hummer arborant le drapeau bleu et blanc à l’étoile de David, ainsi que de l’artillerie lourde. La guerre est omniprésente ici.
- De Croo et Sanchez ont visité à Be’rei un kibboutz à la frontière de Gaza, proche du tristement célèbre festival de musique pris d’assaut par les combattants du Hamas, le 7 octobre. Ce kibboutz est devenu un lieu où les Israéliens accueillent systématiquement des visiteurs internationaux pour les confronter à la réalité brutale : David Cameron, actuel ministre britannique des Affaires étrangères, y est passé hier matin, suivi quelques heures plus tard par le duo européen.
- Un major du service de communication de l’armée israélienne, Laid Diamond, les a guidés dans un parcours lugubre. Ils ont vu des habitations noircies, où des familles entières s’étaient barricadées, incendiées par le Hamas. Des biens personnels, des jouets, des livres, des vêtements gisent dans les jardins, témoignant de vies brisées. Le major a montré sur son iPad des images glaçantes des victimes.
- Un autre officier israélien a guidé la visite à travers les ruines d’une maison gravement endommagée et incendiée : « Voici l’abri anti-aérien, conçu pour des attaques aériennes, pas pour résister à un raid du Hamas. C’est ici qu’ils sont morts, probablement asphyxiés par la fumée », a-t-il expliqué. « Ne prenez pas de photos, nous devons respecter la vie privée de la famille de ces victimes », est intervenu un autre militaire.
- « Mais nous avons déjà perdu la guerre de l’image », soupire l’officier, qui préfère rester anonyme. Car de l’autre côté, on expose en détail la souffrance, et personne ne croit même à nos horribles récits de bébés tués. Il y a 1,7 milliard de musulmans, nous ne pourrons jamais les convaincre du contraire », déplore-t-il.
- « Nous en avons encore pour environ 8 semaines de guerre, le temps presse pour vaincre le Hamas. Car ensuite, le reste du monde nous forcera à arrêter. Et alors, un vide se créera à nouveau à Gaza, qui sera rempli d’extrémisme et de haine », concluent les militaires avec un brin de cynisme. Ici, la perspective d’un cessez-le-feu durable est lointaine.
L’essentiel : Israël ne semble pas enclin à changer son approche.
- Plus tôt, De Croo et Sanchez ont participé à des réunions particulièrement longues, d’abord avec le président Isaac Herzog, puis deux heures avec le véritable leader politique : Netanyahu. Bien qu’il soit difficile de connaître avec précision le contenu de ces discussions, car la presse n’y était pas admise, le Premier ministre et des diplomates ont par la suite donné leur version des entretiens.
- Chez Herzog, un socialiste, le duo a été confronté à un accueil glacial. Le président israélien a immédiatement lancé une attaque émotionnelle contre les représentants de l’UE : « C’est vous, les Européens, qui avez en partie financé les tunnels du Hamas. Votre soutien à Gaza a fini entre les mains des terroristes », a-t-il lancé. La discussion, ouverte et franche, a vu Herzog défendre vigoureusement l’intervention militaire de son pays. Peu d’espace était accordé pour discuter de « dialogue » ou de « paix durable ».
- La rencontre avec Netanyahu était quelque peu prévisible, bien que sa posture soit jugée moins défensive par les témoins. Les Israéliens semblaient particulièrement informés sur les débats internes belges, notamment sur le refus du Parlement belge de diffuser le film sur les atrocités du Hamas.
- Hier, le MR, sous l’égide de son président Georges-Louis Bouchez (MR), a organisé au Sénat une projection privée de ce film. Mais à Jérusalem, Netanyahu l’a présenté aux deux Premiers ministres, sans leur laisser le choix. Ils l’ont regardé pendant plus de trente minutes, accompagnés de Netanyahu. Certaines scènes étaient tellement choquantes que des diplomates ont détourné le regard après seulement cinq minutes. Des larmes ont été versées par plusieurs membres de la délégation de l’UE, notamment lors d’une scène où un père est brutalement tué devant ses jeunes fils.
- Par la suite, le Premier ministre israélien, à la tête d’un gouvernement très à droite, a adopté un ton ferme : « Ce sont des monstres. Peut-on les qualifier d’humains ? », a-t-il insisté. Les Israéliens maintiennent fermement leur position : ils ont le droit, et même le devoir, de défendre leur population.
- « Je tiens néanmoins à saisir cette occasion pour évoquer la catastrophe humanitaire à Gaza. Un tiers de toutes les maisons est détruit ou endommagé, 1,4 million de personnes sont déplacées. Il est impératif d’utiliser ce cessez-le-feu pour apporter de l’aide : nourriture, abris, carburant. Nous comptons sur vous pour faciliter cela, un meilleur accès à la bande de Gaza est nécessaire, les civils innocents sont en détresse », a essayé De Croo.
- « Vous êtes un pays démocratique qui respecte le droit international, non ? », a interrogé De Croo, de manière quelque peu provocante. « Oui, mais les États-Unis ou la Grande-Bretagne ne sont-ils plus des démocraties parce qu’ils ont combattu les nazis avec tous les moyens nécessaires ? Car ce sont aussi des nazis », a répliqué le Premier ministre israélien.
- « Allez-vous vraiment attendre qu’il y ait 10.000 morts de plus ? Cette situation n’est plus proportionnelle, de part et d’autre », ont souligné De Croo et Sanchez. Cette comparaison a agacé visiblement les Israéliens, qui la jugent intellectuellement malhonnête. « Montrez-moi une seule image, une seule vidéo où notre armée commet des actes inhumains ou viole le droit international. Juste une », a lancé Netanyahu avec force.
- De retour devant la presse belge après la réunion, De Croo a réitéré la comparaison avec les guerres passées, tout en adaptant son propos : « En Europe, après l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu réconciliation et reconstruction. Cela doit aussi se produire ici, nous devons exploiter ce moment de cessez-le-feu. 2 millions de personnes à Gaza ont besoin d’aide. Et Israël aura besoin de partenaires, comme les États-Unis et l’Europe. Mais cela exige du courage politique. Il y a eu trop d’occasions manquées par le passé. »
- Quelques heures plus tard, le duo s’est rendu à Ramallah, en Cisjordanie, sur le territoire palestinien, pour rencontrer le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. De Croo en est ressorti visiblement satisfait.
- « Il a exprimé clairement sa compassion pour les nombreuses victimes, y compris israéliennes. Il a aussi réaffirmé qu’il se distancie du Hamas, condamne leurs actes terroristes et que le Hamas ne représente pas le peuple palestinien. De plus, il souhaite de nouvelles élections pour renforcer la légitimité du leadership. Seuls des leaders forts peuvent voir au-delà de leur ombre et parvenir à une paix durable. »
- En coulisses, les diplomates sont beaucoup plus réalistes : il n’y aura pas de cessez-le-feu durable, Israël va certainement continuer à s’attaquer à des « foyers du Hamas dans le sud de la bande de Gaza », et cette guerre durera encore au moins quelques semaines.
À observer : De Croo cherche à propager son optimisme au Moyen-Orient, ce qui semble parfois relever d’une certaine naïveté.
- Son dernier livre, intitulé « Pourquoi le meilleur est à venir » , sortira lundi. Bien que nous ne puissions en discuter en détail avant sa publication, son titre suggère un contenu très optimiste, un long argumentaire sur les forces de la Belgique, où le verre est trop souvent vu comme à moitié vide.
- Cette perspective s’aligne parfaitement avec l’approche que De Croo adopte au Moyen-Orient : un mélange de jeunesse et de recherche constante du rôle d’homme d’État, ponctué de phrases emphatiques comme « donner une chance à la paix ». Il manifeste également une sorte de courage naïf presque provocateur : face à un journaliste lui rappelant que les débats dans la région durent depuis 20 ans, De Croo rétorque avec un clin d’œil : « Oui, mais cela ne fait pas 20 ans que je suis ici ».
- Il est indéniable que le Premier ministre exprime une confiance nécessaire à un politicien sur la scène internationale. Comme le confie son entourage, « même après avoir visionné 30 minutes d’un film d’horreur, il est resté imperturbable ». Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure les Israéliens sont véritablement impressionnés par ce duo européen, dirigeant des coalitions de centre-gauche critiques à l’égard de leur politique. Le passage systématique de chaque dirigeant étranger par le kibboutz Be’rei semble indiquer que les Israéliens jouent également un rôle, présentant systématiquement la même mise en scène aux délégations étrangères.
- Cependant, De Croo ne se laisse pas affecter : l’armure qu’il a forgée en dirigeant la tumultueuse coalition Vivaldi pendant plus de trois ans, et en maîtrisant une attitude impassible en période de crise, ne montre aucun signe de faiblesse.
- Même si l’organisation du voyage a connu son lot de chaos, avec des retards et des attentes. À leur arrivée en Égypte, un tapis rouge les attendait, mais le Premier ministre a descendu les marches de l’avion avec sa propre valise, sans aide, ce qui semble quelque peu insolite aux yeux des Égyptiens. La différence avec l’organisation impeccable des homologues espagnols, effectuant le même périple, est particulièrement frappante pour la presse belge.
- Fait marquant du voyage : l’avion de De Croo est tombé en panne au Caire. Le Premier ministre a donc dû embarquer dans l’avion de Sanchez pour se rendre à Rafah, à la frontière de Gaza. Entre-temps, un autre appareil sera envoyé par la Défense depuis Bruxelles pour ramener la délégation ce vendredi soir.
- Pour le reste, le Premier ministre semble peu disposé à se replonger mentalement dans les affaires belges. Il élude les questions sur les résultats significatifs des élections aux Pays-Bas et leur éventuelle influence sur la politique flamande, avec l’essor du Vlaams Belang. Pressé par les journalistes, il s’est contenté de botter en touche : « Face à tout ce que je vois ici, dois-je vraiment commenter cela ? »
A noter : De Croo obtient quand même quelque chose d’Israël.
- 89 Belges et ayants droit ont pu sortir de Gaza ce jeudi. Le Premier ministre belge a remis une liste de 104 noms et Israël a accepté de laisser sortir 89 personnes, principalement des femmes et des enfants. Tous décolleront depuis l’Egypte, ce vendredi, pour rejoindre la Belgique.
- En tout, il y aurait 248 Belges présents encore à Gaza.