De Croo a bien failli être tout seul lors de sa conférence de presse : il s’agit bien d’une crise, mais pas d’un Comité de concertation des grands jours

L’atmosphère des grands jours ne sera pas de retour avant un certain temps. Comme ce fut le cas lorsqu’un gouvernement Vivaldi plein de fraîcheur avait pris l’initiative de s’attaquer à la crise sanitaire par le biais de comités de concertation réguliers : c’est devenu très clair après la journée d’hier. Pourtant, la crise énergétique actuelle a un impact économique énorme et menace d’entraîner l’Europe dans une récession profonde et prolongée. Mais à part la conclusion commune que « l’Europe doit apporter la solution », et les déclarations d’intention, il n’y a pas eu grand-chose de plus dans cette réunion au sommet. Il s’agissait avant tout d’un exercice de communication pour Alexander De Croo (Open Vld), qui a une fois de plus prouvé qu’il maîtrisait cet aspect de sa fonction : le message « d’urgence » est passé, le Premier ministre étant habilement entouré par les ministres-présidents flamand et wallon, lors de sa conférence de presse. Pourtant, le Premier ministre a bien failli y aller tout seul : pour les entités fédérées, un communiqué de presse semblait amplement suffisant. Jambon a finalement plié et s’est assis à côté de De Croo, puis a annoncé, sans autre forme de procès, que son gouvernement flamand préparait ses propres mesures.

Dans l’actualité : « Il n’y a pas de solution miracle », a entamé le Premier ministre Alexander De Croo, lors de la conférence de presse après le Codeco.

Le détail : seule l’Europe peut arrêter l’hémorragie.

  • Il y a une chose sur laquelle presque tous les acteurs concernés étaient d’accord après le Codeco : le silence ostensible dans lequel s’était enfermée Tinne Van der Straeten (Verts), la ministre de l’Énergie. Pas un mot, alors qu’il s’agissait d’une réunion de crise sur l’énergie, son domaine de compétence. « Très spécial en effet », a fait remarquer l’une des personnes impliquées. « Imaginez qu’il y ait une crise financière et que le ministre des Finances ne prenne pas la parole lors de la réunion ? Ou que Frank Vandenbroucke (Vooruit) eut gardé le silence lors des réunions de crise du Covid ? »
  • Mais Van der Straeten fait bien sûr partie de l’équipe fédérale, de loin la plus largement représentée à la table de ce comité de concertation, et tous ont choisi collectivement de soutenir le Premier ministre et le paquet de mesures décidées la veille, lors du kern.
  • Le silence de Van der Straeten a toutefois eu un but évident : il était hors de question que la Vivaldi apparaisse divisée, pas même sur le sujet des centrales nucléaires. Lorsque Zuhal Demir (N-VA), la ministre flamande de l’Énergie et ennemie jurée de Van der Straeten, n’a pu s’empêcher d’aborder la question et de faire remarquer que plus de deux centrales nucléaires pourraient être prolongées, le Premier ministre a immédiatement botté en touche, en disant que ce n’était « pas à l’ordre du jour ». Sujet suivant.
  • D’ailleurs, le Premier ministre a directement pensé à son collègue et « ami » Jan Jambon (N-VA) : il a ouvert le comité de concertation en déclarant qu’il ne pouvait être question d’interférer avec les compétences des Régions et Communautés. Le message était clair : « Chacun son truc ». C’est exactement ce que Jambon voulait entendre : il voulait éviter une situation où, comme dans la crise Covid, le niveau flamand avait dû se subordonner au niveau fédéral. Jambon était, lui aussi, venu en paix : pas de drame à la table, donc, également de la part du gouvernement flamand.
  • Le seul moment houleux, hormis les centrales nucléaires (qui ont à peine été mentionnées pendant 10 secondes), est à nouveau venu de la ministre Demir, lorsqu’elle a soulevé la question des certificats européens de CO2. Le prix actuellement énorme de ces droits d’émission étrangle les acteurs industriels. Les Verts ont réagi de manière visiblement irritée, mais cette discussion a, elle aussi, été rapidement désamorcée : ici, c’est à l’Europe d’agir, aucun niveau à la table du Comité concertation n’a les leviers suffisants pour faire bouger les choses.
  • Du côté fédéral, le paquet de mesures qui avait déjà été décidé la veille par le kern a été soigneusement mis sur la table : entre autres, une prolongation de la TVA à 6% et du tarif social jusqu’en mars, un arrangement avec les banques pour donner de la marge pour le remboursement prêts hypothécaires, une porte ouverte aux subventions énergétiques pour les entreprises, et une série de mesures pour économiser l’énergie, comme le maintien des bâtiments publics à 19 degrés.
  • Détail piquant sur ce dernier point : la Wallonie et Bruxelles ont déjà suivi ces mesures d’économie d’énergie, la Flandre pas encore. Chaque Région peut décider de ce qu’elle peut faire avec ses bâtiments, son éclairage public et autres. Il se pourrait donc bien que les bâtiments flamands restent un peu plus chauds que les bâtiments bruxellois ou fédéraux : rien n’empêchera Jambon et Cie d’en décider autrement.
  • Cela a suscité des critiques ce matin de la part du ministre bruxellois de l’Énergie, Alain Maron (Ecolo), sur Bel RTL. « La Flandre n’a pas encore pris d’engagements, mais nous devons réduire notre consommation, sinon nous ne pourrons plus payer nos factures. »
  • Du côté flamand, on souligne que le gouvernement flamand travaille depuis longtemps sur les économies d’énergie, en montrant quelques chiffres : en 2020, ils ont atteint 109 % de leurs objectifs. La Wallonie n’a atteint que 90 %, Bruxelles seulement 75 %.

Bon à savoir : De Croo a pu faire sa communication, mais le tableau aurait pu être bien différent.

  • Le fait que le Premier ministre excelle dans la communication de crise, et sait mieux que quiconque comment exploiter cette situation, est connu de toute la rue de la Loi, après 2 ans de Vivaldi. Après tout, en termes de marketing politique, le moment le plus important est la conférence de presse post-codeco. Le fait que, cette fois, elle n’ait été diffusée en direct que sur Canvas du côté flamand, était un mauvais signe : il était un peu trop évident que ce ne serait pas une avalanche de mesures fortes.
  • Mais De Croo avait d’autres chats à fouetter, juste après le Comité de concertation et avant la conférence de presse. Tant le MR que le PS, qui fournissent ensemble les ministres-présidents des Régions bruxelloise et wallonne et de la Communauté française, n’avaient guère envie de se présenter en conférence de presse. Un communiqué de presse aurait suffi : après tout, c’est presque exclusivement des mesures fédérales que De Croo pouvait annoncer.
  • La Libre explique que le Premier ministre a bien failli se retrouver tout seul devant les caméras, ce qu’une source nous a confirmé : « Ce n’était pas exactement l’image que l’on souhaite donner après un tel comité de concertation ». Finalement, Jambon a cédé et s’est joint au groupe, suivi par Di Rupo.
  • Remarquable cependant : Tinne Van der Straeten (Groen) n’a pas assisté à la conférence de presse qui a suivi, alors qu’il s’agissait de son domaine de responsabilité. Mais cela a peut-être un rapport avec l’équilibre politique : si les ministres spécialisés devaient être présents, Zuhal Demir (N-VA) aurait également pu assister à la conférence de presse.
  • Ensuite, le Premier ministre a fait ce qu’il sait si bien faire : il a dressé un tableau de l’urgence, de la crise, en utilisant le même langage que pour la pandémie. « Nous allons tout faire pour nous en sortir », « c’est une priorité absolue pour tous les gouvernements » et « ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous pourrons nous en sortir ».
  • Et bien sûr : l’Europe. Ce n’est pas une coïncidence si le Premier ministre a commencé par se concentrer sur l’UE, les « seuls qui peuvent vraiment intervenir ici ». Car il est vrai que De Croo travaille diplomatiquement depuis des mois au niveau européen pour intervenir : là où l’Allemagne et les Pays-Bas, entre autres, faisaient de l’obstruction depuis des mois, ils semblent maintenant céder. Mais la question est de savoir si ce « rôle héroïque » de l’Europe peut être vendu facilement : les discussions diplomatiques européennes restent très éloignées des attentes de la plupart des électeurs.
  • Face à tant de symbolisme, Jambon a délivré un message plutôt froid, adressé au Premier ministre. Car le gouvernement flamand prendra son temps et « examinera les mesures nécessaires à la lumière des prochaines discussions budgétaires et de la déclaration de septembre ». En d’autres termes, jusqu’au 26 septembre, Jambon et Cie feront leurs devoirs, avec ou sans comité de concertation.

Et maintenant ? Il n’est pas clair dans l’immédiat si de nombreux autres comités de consultation suivront.

  • Conner Rousseau, le président du Vooruit, a affirmé que « plusieurs réunions » seraient nécessaires. À l’extérieur du Palais d’Egmont, après le Comité de concertation, Van der Straeten a également déclaré aux micros de la VTM que « cela ne s’arrête pas là. Nous allons aller plus loin. »
  • Mais le gouvernement flamand adopte un ton différent. De nouvelles réunions similaires ne sont pas utiles. « Des grand-messes comme ça ne résolvent rien », dit-on avec un peu de condescendance.
  • Ce matin sur Radio 1, Jambon s’est exprimé un peu plus crûment : « Nous sommes à la veille de nos discussions budgétaires pour le gouvernement flamand : nous devons y prendre des décisions raisonnables, sans nous précipiter. La panique s’est installée ces derniers jours, mais la panique n’est jamais bonne conseillère. » Il a parlé d’un « délai de deux à trois semaines », avant de réaffirmer « que chaque gouvernement a ses propres pouvoirs ». En d’autres termes : jusque-là, pas de mouvement du côté flamand.

À noter : La réduction de la TVA est définitive, les « accises intelligentes » vont maintenant prendre sa place.

  • Ce matin, le vice-premier ministre Frank Vandenbroucke a apporté des précisions : la dernière prolongation du taux réduit de la TVA sur le gaz et l’électricité, qui court normalement jusqu’en mars 2023, est définitive. Cela peut être considéré comme un grand trophée pour les socialistes flamands, qui avaient porté cette revendication pendant des semaines à l’automne 2021. Seul le CD&V était un allié à l’époque.
  • Les Verts étaient eux réticents, car il s’agissait d’une subvention aux combustibles fossiles. Et le PS, entre autres, était contre, parce qu’il s’agissait d’une mesure générale dont bénéficient aussi bien les riches que les pauvres. Les libéraux étaient, eux, préoccupés par les caisses de l’État. Mais ils ont tous dû plier sous l’immense pression des prix.
  • Ceux qui pensent aujourd’hui que cela signifie que la réduction des impôts est un fait, se trompent. La Vivaldi envisage depuis longtemps de remplacer la TVA par des « accises intelligentes », en prélevant des taxes capables de différencier les pollueurs des non-pollueurs, et éventuellement les riches des pauvres.
  • La question qui se pose maintenant est de savoir comment cela sera mis en œuvre techniquement, car c’est tout sauf évident. Les socialistes francophones, entre autres, sont terrifiés à l’idée de frapper sur la classe moyenne inférieure, ce qui était le cas dans un certain nombre de propositions initiales. Cette tâche de mettre en place des accises intelligentes reviendra à Van der Straeten et à Vincent Van Peteghem (CD&V), ministre des Finances.
  • En outre, la proposition relative à une contribution du secteur de l’énergie devra également être prête pour la fin de ce mois. Plutôt qu’une taxe complexe sur les superprofits, il y aura désormais une « contribution » du secteur qui réalise des superprofits. La question est de savoir quelle est la différence et comment cela va fonctionner : avec Engie, il n’est pas certain qu’ils seront à nouveau taxés pour leurs superprofits. Il est question de ne demander qu’aux autres acteurs de l’énergie de contribuer : par exemple, les acteurs de l’énergie renouvelable et les autres producteurs qui profitent des prix élevés.
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