La secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open Vld) ne baisse pas les bras : « Nous devons nous en tenir à notre trajectoire initiale, cet objectif d’un déficit de 3% en 2024 », dit-elle. Une ambition frappante, là encore, de la libérale flamande au sein de Vivaldi. Parce que des nuages noirs s’amoncellent sur le budget fédéral. Le FMI a déjà fait des estimations accablantes qui font de la Belgique l’homme malade de l’Europe : une faible croissance économique est attendue dans les années à venir, associée à des dépenses publiques élevées. L’opposition, mais aussi l’organe consultatif du Conseil supérieur des finances, demandent que le budget soit assaini, notamment par des réformes structurelles. De Bleeker, elle aussi, martèle ce point. Mais dans les couloirs, l’optimisme n’est pas de mise. « Que peut-on encore faire sur les retraites ? », entend-on avec un certain cynisme au PS. Car les socialistes n’ont rien à gagner en retour d’une grande réforme sur les pensions ni de contreparties sur le plan fiscal.
L’actualité : Dans l’hémicycle, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et l’opposition du Vlaams Belang et de la N-VA s’affrontent sur le budget.
Les détails : « Vous aurez bientôt une minute pour répondre. Faites-y apparaître clairement les choix que vous auriez faits et les personnes que vous n’auriez pas aidées dans un moment difficile comme aujourd’hui », a fulminé le Premier ministre.
- « Monsieur le Premier ministre, vous avez eu cinq minutes, que vous n’avez même pas utilisées, pour expliquer qu’il y avait des dépenses supplémentaires justifiées, ce que je n’ai pas contesté. Mais vous n’avez pas passé une seconde sur la façon dont vous interprétez tous les feux rouges. (…) Il est également pathétique que vous demandiez si l’opposition a des solutions. J’en ai une : 1,7 million de personnes sont inactives aujourd’hui. Quand fera-t-on quelque chose pour activer le marché du travail », a répondu Peter De Roover, chef du parti N-VA.
- Wouter Vermeersch, spécialiste du budget au Vlaams Belang, a ajouté : « Il fut un temps où les libéraux attachaient leur propre crédibilité au budget, mais vous avez perdu cette crédibilité lorsque vous avez rejoint ce gouvernement PS avec cette manière wallonne de budgétiser. Sous votre présidence, ce pays deviendra une Grèce sur la mer du Nord. »
- Tant la N-VA que le Vlaams Belang se sont saisis des rapports accablants du FMI, mais aussi de la Banque nationale et du Conseil supérieur des finances. Le FMI a parlé d’un déficit public de 5,4 % en 2027, si rien n’est fait : le pire score de tous les pays industrialisés ; seule la Roumanie ferait pire ; en termes de dette publique, seules l’Italie et la Grèce nous devanceraient.
- De Roover : « À partir d’un certain populisme, vous donnez l’impression que vous allez pouvoir régler toutes sortes de comptes sans avoir besoin de contre-mesures. Ce n’est pas la marque d’une politique courageuse. Vous pouvez essayer de le dissimuler avec de belles paroles, mais les rapports sont durs comme des clous. »
- Vermeersch : « Ces chiffres rouge foncé contrastent évidemment avec le fait que vous, en tant que Premier ministre, sur la scène internationale, si vous pouvez y être sous les projecteurs, distribuez des tonnes d’argent avec votre gouvernement, par exemple pour la coopération au développement, ou l’autre jour 800 millions d’euros pour les pays étrangers. »
- Le Premier ministre De Croo a bien sûr défendu le travail budgétaire de son équipe. Bien qu’il se soit limité à la défensive, expliquant comment le déficit était devenu si important.
- « La croissance économique est inférieure de plus de 1 % aux estimations faites lors de la préparation du budget, en raison de la crise en Ukraine. C’était difficile à prévoir. »
- « Nous avons donné 1 milliard d’euros supplémentaires pour soutenir les entreprises et les familles dans le cadre de la crise sanitaire. Auriez-vous alors choisi de les laisser tomber ? »
- « Nous avons pris des mesures pour contrôler les factures d’énergie. Auriez-vous préféré dire à ces familles que nous allions les abandonner ? »
- « Nous avons décidé de consacrer 450 millions d’euros supplémentaires à la Défense. Je suppose que si Theo Francken avait dit il y a quelques semaines qu’il pensait que c’était une bonne décision, vous penseriez toujours que c’est une bonne décision aujourd’hui. »
Plus intéressant : dans les couloirs, Eva De Bleeker (Open Vld) a donné une interview saisissante.
- Devant le micro de Goedele Devroy de Villa Politica sur la VRT, De Bleeker, qui en tant que Secrétaire d’Etat au Budget doit se battre pour son département au sein de la Vivaldi, a abordé la question fondamentale : comment cette équipe va-t-elle sauver les meubles ?
- Cette semaine déjà, De Bleeker s’était réunie avec les entités fédérées pour préparer conjointement le budget pluriannuel que la Commission européenne exige. Ces discussions ne sont pas faciles : les régions wallonne et bruxelloise sont également confrontées à des déficits importants, sans parler de la communauté française. Et l’UE additionne tous les budgets en un seul morceau.
- La Belgique est confrontée à la faiblesse des perspectives économiques : cette année, on ne s’attend qu’à une croissance de 2,1 %, contre 3,1 % auparavant. Et cette croissance restera faible dans les années à venir.
- Au sein du groupe de travail avec les entités fédérées, il n’y a pas beaucoup d’appétit pour travailler réellement sur la réduction des déficits budgétaires, en tout cas pas du côté francophone. Après tout, l’Europe ne fait pas pression : la norme de 3 % de déficit, fixée à Maastricht, est toujours suspendue. Et les membres du PS ont clairement fait savoir depuis bien longtemps que leur état d’esprit n’est absolument pas à l’épargne : en tant qu’adeptes de la théorie monétaire moderne de Stephanie Kelton, ils ne voient pas vraiment la dette nationale comme une menace pour la zone euro.
- Mais Mme De Bleeker a envoyé un signal très différent : « L’accord de coalition prévoyait que nous passerions à 3 % de déficit en 2024, je pense que cela devrait rester le point de départ », a-t-elle déclaré avec fermeté. Dans le contexte actuel, il s’agit d’un objectif ambitieux, qui impliquerait immédiatement de réaliser des économies considérables. Le Conseil supérieur des finances fait la même suggestion : il propose une réduction annuelle du déficit structurel de 0,6 %, dont 0,4 % pour le gouvernement fédéral.
- De Bleeker ne se présente plus comme une « stricte » ou une « dame de fer » comme dans ses interviews précédentes. L’été dernier, elle s’est félicitée et s’est pourtant comparée à Margaret Thatcher, après quoi ses orientations ont été complètement ignorées lors du conclave budgétaire de l’automne.
- Cette fois, elle met en garde contre « une grande incertitude ». « Nous ne savons pas combien de temps la guerre va durer, nous ne savons pas quelles vagues de coronavirus vont arriver. Nous devons en tenir compte ». « Et regardez », elle a encore répété sa demande : « Mais je pense quand même que la trajectoire initiale, l’objectif devrait être toujours celle-là. »
- Elle a également réaffirmé que des économies devront à nouveau être réalisées : « Je continuerai à insister sur ce point, sur le fait que nous continuons à y travailler. » Elle a également mis en garde contre ce qui devrait arriver inévitablement : une hausse des taux d’intérêt. « Cela pourrait rapidement conduire à un effet boule de neige », a-t-elle mis en garde.
La vue d’ensemble : le véritable débat au sein de la Vivaldi porte sur les réformes structurelles. Peut-on encore les faire ?
- Dès le début, la Vivaldi s’est présentée comme un « gouvernement de réformes » qui reprendrait enfin les choses en main après presque deux ans de non-politique [suite à la formation du gouvernement fédéral et de la crise sanitaire]. Mais le ballon semble s’être dégonflé. Dans l’hémicycle, De Croo n’a pas dit un mot sur ces réformes.
- De Bleeker l’a fait, dans Villa Politica : « J’espère et j’encourage mes collègues à ce que ces réformes arrivent. Ce ne sera pas avec de petites économies, mais seulement avec de grandes réformes, qui auront un effet à long terme. »
- « La réforme du marché du travail est la chose la plus importante, nous avons 35 mesures prêtes, juste pour s’assurer que le taux d’emploi augmente, c’est en fait la clé. Si nous pouvons passer de 70 % à 80 %, alors 700.000 personnes de plus se retrouveront soudainement sur le marché de l’emploi et la balance s’améliorera soudainement de 14 milliards d’euros par an », a-t-elle déclaré.
- Cette semaine, du côté wallon, le taux d’emploi a suscité une certaine euphorie. Car mercredi, la Banque nationale a annoncé une augmentation de 86.000 emplois pour 2021, et surtout : une hausse du taux d’emploi en Wallonie. En 2021, ce pourcentage sera désormais de 65,2 %, contre 64,6 % en 2020. Bruxelles a également connu une nouvelle augmentation : 62,2 %.
- Mais la route est encore très longue : la Wallonie doit faire face à 130.000 chômeurs et surtout 605.000 inactifs. A Bruxelles, il y a encore 66.000 chômeurs et 220.000 inactifs. Les chiffres pour la Flandre sont remarquables : le taux d’emploi y est de 75,3 %. Ce qui, soit dit en passant, est également très loin des chiffres allemands, néerlandais ou scandinaves de 80 % : le saint Graal pour la Vivaldi, également inscrit dans son accord de coalition.
- Selon les spécialistes, rien n’indique que cette politique permettra désormais de (re)mettre drastiquement les gens au travail. Les malades à de longue durée restent un problème structurel et le débat sur les retraites est extrêmement difficile.
- Tout le monde constate que le PS a les départements cruciaux à réformer : l’emploi avec Pierre-Yves Dermagne et les Pensions avec Karine Lalieux. Cette dernière se montre très prudente. Lalieux a déjà mis plusieurs fois sur la table ses propres plans de retraite, mais à chaque fois, ils sont démontés par les autres partenaires, notamment les libéraux et le CD&V. La socialiste ne veut pas prendre de mesures drastiques pour maintenir les gens au travail plus longtemps, en augmentant l’âge de la retraite, par exemple. Au contraire, des freins sont actionnés.
- « Qu’est-ce qu’il reste à faire sur les retraites », entend-on au sommet du PS. Car la vérité est que les socialistes francophones ont depuis longtemps remporté leur trophée : l’augmentation drastique des pensions minimales. « Et grâce aux indexations, tout continue de bien fonctionner », nous glisse-t-on.
- La question est donc de savoir pourquoi Lalieux s’épuiserait à la tâche pour que les partisans et les syndicats se retournent contre elle sur le thème: « Rester plus longtemps au travail ».
- De plus, le PS n’a pas grand-chose à obtenir en compensation : toute réforme fiscale, ou ouverture vers un impôt sur la fortune, est immédiatement étouffée du côté libéral. Le résultat est un blocage de l’équipe fédérale, avec des conséquences désastreuses à long terme pour les finances publiques.
Ailleurs: Georges-Louis Bouchez débat avec l’extrême droite.
- C’est un débat vieux de 30 ans. En Belgique francophone s’applique un cordon sanitaire politique et médiatique. Il sous-entend qu’on ne débat pas avec l’extrême droite et qu’on ne lui donne pas la parole (ou en tout cas pas en direct) dans les médias.
- Mais ce cordon sanitaire ne s’applique plus depuis longtemps en Flandre où Georges-Louis Bouchez, le président du MR, s’est rendu sur le plateau de Terzake, à l’invitation de la VRT, pour débattre de l’élection présidentielle française avec Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang, premier parti de Flandre, et soutien de Marine Le Pen.
- « Permettez-moi de féliciter M. Bouchez, le cordon sanitaire est appliqué de manière beaucoup plus stricte en Belgique francophone, c’est donc courageux qu’il veuille entamer un débat avec moi », a immédiatement lancé Tom Van Grieken au début de l’interview télévisée.
- Mais très vite, le débat s’est transformé en un affrontement sur la politique belge, Bouchez suggérant que le Vlaams Belang au pouvoir, « c’est la faillite de la Flandre ». « Monsieur Van Grieken aime à dire que les francophones sont des gauchistes. Mais le programme économique du VB, c’est le programme économique du PTB ».
- Le libéral a renchéri : « Son programme [de Tom Van Grieken], c’est un programme de gauche contre le libéralisme. C’est-à-dire plus de dépenses publiques. Plus de sécurité sociale. C’est exactement le même programme que le Parti socialiste, c’est le meilleur ami de Paul Magnette. »
- Pour avoir débattu avec l’extrême droite, Georges-Louis Bouchez a subi une avalanche de critiques, de la part de journalistes, mais également de la classe politique francophone.
- Le président de DéFI, François De Smet : « Dans ce qui différenciera toujours le MR de DéFI, il conviendra d’ajouter, hélas, le respect du cordon sanitaire envers l’extrême droite. Et c’est triste. Vraiment. »
- Le chef de groupe PS à la Chambre Ahmed Laoouej: « Rapprocher l’extrême droite et le socialisme démocratique est un scandale politique d’une rare violence. Elle disqualifie son auteur qui, non content de rompre le cordon sanitaire, verse en plus dans l’infamie et l’insulte. Ces propos sont dégoûtants. »
- La co-président d’Ecolo, Rajae Maouane : « L’extrême droite, on ne débat pas avec, on la combat », partageant un ancien tweet de Bouchez sur une interview commune entre le PTB et le VB.
- Raoul Hedebouw (PTB) est de ceux qui pensent qu’il faut aussi débattre avec l’extrême droite. A l’époque, cela n’avait pas ému grand-monde et même été soutenu par certains politologues.
- Le débat est sensible: combattre l’extrême droite sur base d’arguments semble être une logique défendable. D’un autre côté, des travaux universitaires (Crisp & Cambridge) ont montré que le cordon sanitaire avait bloqué, en partie, la montée de l’extrême droite du côté de la Belgique francophone, au contraire de la France ou de la Flandre.
- Le cordon sanitaire s’est établi sur base d’une règle tacite entre les médias belges francophones et est globalement respecté. Politiquement, en 1999, les partis francophones ont également signé un document conjoint (Philippe Busquin (PS), Louis Michel (PRL), Philippe Maystadt (PSC) et Isabelle Durant (Écolo)) pour éviter de débattre avec des partis dont les idées sont « susceptibles d’attenter aux principes démocratiques », rappelle le Crisp.
- Ce débat sur le cordon sanitaire revient régulièrement dans l’actualité à chaque fois qu’il est brisé ou détourné. La dernière fois, c’était en 2020, quand le magazine trimestriel Wilfried a donné la parole au VB au travers d’un dossier consacré à l’Allemagne nazie et la collaboration en Belgique, avec une longue interview du président Tom Van Grieken.