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Comment les consultants, « experts en rien », se substituent lentement aux autorités publiques

Comment les consultants, « experts en rien », se substituent lentement aux autorités publiques
Joe Ucuzoglu, chief executive officer Deloitte (photo : Stefan Wermuth/Bloomberg via Getty Images)

La professeure d’économie Mariana Mazzucato s’inquiète du rôle de plus en plus important que prennent les consultants dans des missions de service public. Elle plaide pour muscler l’expertise de les États, pour qu’ils aient moins recours aux McKinsey, Deloitte et compagnie.

Pourquoi est-ce important ?

Avec ses propres clés en main, l'État pourrait être un moteur bien plus performant pour l'économie, défend l'économiste.

Les faits : appels massifs aux boîtes de consultance.

  • Les consultants sont partout, dans toutes les missions de l’État, tout le temps, et coûtent très cher. Voilà le constat que dresse la professeure d’économie Mariana Mazzucato de l’Unviversity College London, dans le Financial Times.
  • Rien que sur l’année 2019-2020, dans les préparations du Brexit, ils ont coûté plus d’un milliard de livres au gouvernement britannique, se souvient-elle. Pareil pour la crise sanitaire, où le gouvernement britannique payait « un million de livres par jour à Deloitte », pour organiser le système de testing et de tracing. Rien que lors de la première année de pandémie, le gouvernement a dépensé 600 millions de livres pour les services des consultants.
    • En Belgique, la note est un peu moins élevée : l’État a payé 9,6 millions d’euros aux boîtes de consultance durant la pandémie, montre une récente publication de données par le SPF Santé. Deloitte a reçu la plus grande partie, avec 8,4 millions d’euros.
    • Autre appel à un consultant qui a suscité des critiques en Belgique : en pleine tourmente de l’affaire du greffier Janssens, le Parlement wallon a engagé un consultant pour « ramener la paix » au sein de l’institution. Il a été payé 180.000 euros.
    • En France, les sommes payées par le gouvernement Macron aux consultants font régulièrement polémiques. Par exemple les près de 4 millions d’euros payés à McKinsey pour réformer les aides au logement (APL). Selon l’opposition, les consultants ont coûté plus cher que ce que les économies faites avec la réduction des aides rapportent au Trésor public.

« Aucune expertise »

Les citations : Mazzucato ne tarit pas de critiques.

  • « Un thérapeute qui maintient son client en thérapie pour toujours n’est manifestement pas un très bon thérapeute », lance-t-elle, critiquant le fait que les consultants reviennent tout le temps pour toutes sortes de missions. Alors qu’en théorie, un client fait appel à eux une seule fois, pour rendre sa boîte plus efficace et apprendre à mieux la gérer (et les économies faites avec le gain d’efficacité sont censées couvrir les coûts de l’appel aux consultants).
  • « Ce sont des entreprises privées, les McKinsey et les Deloitte, qui n’ont aucune expertise dans les domaines dans lesquels elles donnent des conseils », continue-t-elle. La critique porte notamment sur l’appel massif aux consultants lors de la crise sanitaire, alors qu’ils n’avaient pas nécessairement de réelle expérience dans le déploiement d’une campagne de vaccination, par exemple.

« Développer l’expertise de l’État »

L’essentiel : un plaidoyer pour le service public.

  • Le risque, explique-t-elle, est que ces boîtes de consultance se substituent petit à petit aux institutions publiques. Elles empêchent en tout cas l’État à développer sa propre expertise, et plaident régulièrement pour couper dans les services publics, avance Mazzucato. Voilà un cercle vicieux : avec moins de services publics, l’État va de plus en plus faire appel aux consultants.
  • Voilà pour elle l’occasion de plaider pour le développement de l’expertise de l’État. Par exemple, en recrutant les talents qui vont vers les boîtes de consultance. Il faudrait des salaires élevés et un environnement plus attractif que l’image poussiéreuse et bureaucratique qui colle souvent aux administrations. « Nous devons les rendre vraiment cool« .
    • Un investissement qui selon elle s’avère positif et aura des retombées dans d’autres domaines. Comme la mission Apollo sur la Lune – à elle seule, elle n’aurait pas été rentable, et les consultants l’auraient déconseillée.
  • Avec quel argent faut-il booster le secteur public ? Pour les guerres, on trouve soudainement plein de fonds, lance l’économiste. Elle se revendique de centre-gauche, mais ses idées seraient écoutées de tous les bords politiques. « Quand on se soucie de quelque chose, on crée de l’argent, surtout dans les pays qui ont leur propre monnaie souveraine. »
    • Des recours à la planche à billets qui doivent cependant se montrer efficaces (par exemple pour accompagner d’autres réductions de coûts), peut-on nuancer. Ces recours, on le sait, s’ils sont perpétrés à foison et sans limites, peuvent rapidement relancer l’inflation et saper le pouvoir d’achat. Voire pousser un pays au bord de l’effondrement du système des dettes – le Royaume-Uni en a récemment fait l’expérience.
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