Personne n’a vraiment gagné aux législatives françaises, mais c’est le front républicain contre l’extrême droite qui a perdu. En cause, une coalition gouvernementale qui n’a que très timidement fait barrage au RN tant elle avait peur d’une cohabitation avec la gauche.
C’est une élection historique qui s’est achevée ce dimanche soir, en France, avec le second tour des législatives, et pourtant elle ne compte aucun véritable vainqueur, les trois principaux partis, Ensemble!, Nupes et le Rassemblement National, totalisant respectivement 38,6%, 31,6 %, et 17,3 % des voix. De quoi rendre très compliquée la constitution d’une majorité apte à soutenir le gouvernement, alors que la coalition du président Macron n’obtient que 245 sièges sur 577, soit en dessous de la majorité absolue fixée à 289. La coalition de gauche menée par Jean-Luc Mélenchon en obtient, elle, 131 sièges et le RN de Marine Le Pen, 89. Les Républicains décrochent 61 sièges.
Barrage fort peu étanche face à l’extrême droite
Ce scrutin a toutefois un perdant incontestable : le front républicain qui, tout au long de l’histoire de la Ve République française, a empêché l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Le principal legs d’Emmanuel Macron au paysage politique hexagonal sera donc l’arrivée massive à l’Assemblée nationale d’un parti qui, malgré ses efforts de « dédiabolisation », est quand même issu du mouvement Ordre nouveau et comptait au moins un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet, parmi ses fondateurs sous le nom de Front national, en 1972.
À la décharge d’Emmanuel Macron, la droitisation de la politique française et la récupération de thèmes chers à l’extrême droite (immigration, identité nationale…) n’est pas récente ; dès la présidence de Nicolas Sarkozy, la droite traditionnelle française (dont se réclame le parti Les Républicains) a tenté de siphonner les voix du clan Le Pen, avec un effet plutôt inverse, celui-ci profitant de la banalisation de ses idées-phares.
Pas de consignes claires
Mais le scrutin de ce dimanche marque une nouvelle étape dans l’ancrage (très) à droite de la politique française. Car Emmanuel Macron n’avait pas hésité à appeler à l’union républicaine pour le second tour des présidentielles alors qu’il se retrouvait une nouvelle fois en duel face à Marine Le Pen, un appel suivi par une part non négligeable de l’électorat de gauche et encouragé clairement par Mélenchon.
Pour ces législatives, rien de tout ça : la coalition Ensemble! en difficulté n’a pas donné de consignes suffisamment claires pour faire barrage au RN là où ce parti se retrouvait face à la Nupes. Après le premier tour, la Première ministre Élisabeth Borne avait bien annoncé que « Notre proposition, c’est aucune voix pour le RN ». Mais l’ancienne socialiste avait ajouté: « Et pour la Nupes, si on a affaire à un candidat qui ne respecte pas les valeurs républicaines, qui insulte nos policiers, qui demande de ne plus soutenir l’Ukraine, qui veut sortir de l’Europe, alors nous n’allons pas voter pour lui ». D’autres voix du gouvernement avaient toutefois voulu faire obstacle plus fermement au RN, comme Pap Ndiaye, actuel ministre de l’Enseignement.
Entre la gauche et l’extrême droite, Ensemble! choisit le pouvoir
Conséquence de ce front républicain à géométrie variable : 72% des électeurs d’Ensemble! se sont abstenus en cas de duel Nupes/RN au second tour, selon France Info. Et les huiles du parti de défendre encore une ligne au cas par cas, considérant certains candidats de gauche comme « moins républicains » que ceux d’extrême droite. Une ligne qui avance que « les extrêmes se valent » défendue par l’aile droite de la coalition présidentielle, malgré que Nupes regroupe des partis de gauche ou écologistes réputés plutôt modérés.
Le glissement suivant ne s’est pas fait attendre, et suscite déjà colère et incompréhension pour celles et ceux attachés aux valeurs de la République française : des personnes haut placées dans le gouvernement au pouvoir déclarent déjà sans ambages qu’une collaboration avec le RN est envisageable au sein de l’assemblée, court-circuitant ainsi une opposition de gauche pourtant plus nombreuse. C’est le cas du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, qui se place là à contre-courant de ses propres campagnes électorales dans le département du Nord, où il s’est souvent présenté comme un barrage contre le parti de Marine Le Pen. L’homme politique, originellement avocat pénaliste, ayant même appelé à interdire le FN en 2015.
Dégoût de la politique
Dans un tel contexte, difficile de prédire comment évoluera une France plus ingouvernable que jamais. Mais une chose est claire: malgré la relative force de la gauche, les lendemains qui chantent ne sont pas pour demain, dans ce pays où plus de la moitié de la population ne se déplace même plus pour voter, en grande partie par dégoût de la politique.