Comment les Russes contournent massivement la censure du web par le Kremlin sur la guerre en Ukraine

C’est encore une image qui s’est répandue comme une trainée de poudre sur le web et les réseaux sociaux, mais cette fois il ne s’agit pas d’une scène de dévastation en Ukraine mais d’un extrait télévisé à Moscou. Elle est apparue sur le plateau de Pervi Kanal, la principale chaîne de télévision nationale de Russie, en plein direct consacré à la propagande d’État et en brandissant un panneau « Non à la guerre ».

Un accroc non négligeable, alors que le gouvernement russe s’est assuré que seule sa version des faits puisse être diffusée sur les médias du pays alors que toute voix dissonante se retrouve muselée. Mais les Russes, les plus jeunes surtout, apprennent massivement à contourner la propagande d’État pour se trouver d’autres sources d’informations, et les technologies actuelles leur offrent des outils qui auraient été inimaginables pour les générations ayant vécu sous la bannière soviétique.

Messageries cryptées et brouilleurs de localisation

Le premier outil essentiel pour contourner les limitations imposées à l’internet en Russie consiste à investir dans un VPN, un réseau privé virtuel permettant de créer un lien direct entre des ordinateurs distants pour isoler leurs échanges du reste du trafic des réseaux publics. Une manière de cacher son identité et sa position qui permet de faire croire au web qu’on se trouve ailleurs, et donc d’accéder aux réseaux bloqués en Russie, mais accessibles dans d’autres pays.

Et durant la semaine du 28 février, les Russes ont téléchargé les 5 applis VPN les plus populaires 2,7 millions de fois au total, soit une demande presque trois fois plus importante que la semaine précédente, selon le cabinet d’études de marché SensorTower. La société suisse Proton, par exemple, a confirmé à CNN Business qu’elle avait enregistré un pic de 1.000 % des inscriptions en provenance de Russie ce mois-ci.

Les Russes adoptent aussi en masse les systèmes de messagerie et les réseaux qui ont cours en Occident, comme Messenger et WhatsApp, tandis que le trafic venu de ce pays était en forte hausse début mars sur Twitter, YouTube, ou encore TikTok. Tout était bon sans doute pour obtenir une information contradictoire. Et face aux restrictions imposées par le Kremlin sur l’accès à certains réseaux sociaux, comme Facebook, les Russes dotés de quelques compétences informatiques utilisent de plus en plus massivement le réseau informatique décentralisé Tor, le fameux « dark web » de tous les fantasmes.

Des réseaux alternatifs loin des yeux de l’État

Mais l’application de messagerie qui connaît la plus forte croissance en Russie est peut-être l’application de messagerie cryptée Signal. Selon SensorTower, Signal a été téléchargée 132.000 fois dans le pays la semaine dernière, soit une augmentation de plus de 28 % par rapport à la semaine précédente. Or celle-ci est réputée parmi les plus sûres accessibles au public en terme de cryptage des messages. D’autres applications de messagerie privée, telles que Telegram, ont enregistré plus d’un demi-million de téléchargements au cours de cette période, selon SensorTower.

L’importance croissante de certains de ces outils met en évidence les enjeux pour les internautes russes, alors que le Kremlin a arrêté des milliers de personnes pour avoir protesté contre la guerre en Ukraine. Cette situation contraste avec les mesures prises par la Russie pour réprimer les réseaux sociaux, depuis le blocage complet de Facebook jusqu’à l’adoption d’une loi prévoyant jusqu’à 15 ans de prison pour ceux qui partagent ce que le Kremlin considère comme des informations « fausses » sur la guerre.

Alphabétisation numérique

Mais on ne peut toutefois par parler de résistance massive, en tout cas par ce biais ; des centaines de milliers de personnes cherchent à mieux s’informer certes, mais des millions de Russes se contentent de la télévision. Car ces outils informatiques, il faut savoir les utiliser, malgré les conseils que certains offrent pour sécuriser au mieux sa connexion… Et qui sont accessibles en ligne.

« Le souci, bien sûr, est que la majorité des gens, la population générale, ne connaît pas nécessairement ces outils », rappelle Natalia Krapiva, avocate au sein du groupe de défense des droits numériques Access Now. « Ils peuvent s’avérer complexes si votre niveau de connaissances numériques est assez faible. Il sera donc difficile de faire en sorte qu’une plus grande partie de la population adopte réellement ces outils. Mais je suis sûr qu’il y aura une éducation croissante et je veux garder l’espoir qu’ils vont persévérer. »

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