Les futurs colons de Mars devront-ils avoir recours au cannibalisme ?

Nous voici à l’aube d’une nouvelle grande période d’expansion spatiale. Grandes puissances et compagnies privées rêvent, à un horizon pas si lointain, d’implanter une présence humaine sur la Lune et Mars, puis peut-être plus loin encore. Ça ne se fera toutefois sans doute pas sans danger ni périodes de crise. Or n’oublions pas que les futurs pionniers de l’espace n’auront comme ressources que ce qu’ils pourront emporter avec eux ou produites sur place, d’une manière plus radicale encore que des marins en mer autrefois.

Cannibalisme spatial

Jusqu’à envisager, en cas de crise, les derniers moyens de subsistance des anciens naufragés ? C’est une question que se sont très sérieusement posée Kelly et Zach Weinersmith, respectivement écologue comportementale et dessinateur, et tous deux auteurs de vulgarisations scientifiques. Dans leur dernier ouvrage « A City On Mars: Can We Settle Space, Should We Settle Space, and Have We Really Thought This Through?« , ils se demandent si le cannibalisme n’est pas un élément à prendre en compte pour la survie des astronautes.

Cela semble peu sérieux de prime abord, mais dans un futur plus ou moins proche où des êtres humains se lanceraient dans des missions lointaines, il n’est pas exclu que la situation se présente. Toutes les ressources comptent, quand on se trouve bien trop loin pour être secouru rapidement en cas de pépin, ou de perte des stocks de nourriture. Que ça soit en mer, quelque part dans l’Arctique, ou sur un avant-poste humain isolé sur Mars.

Funérailles spatiales

Deux cas de figure se présentent : manger un mort, et manger un vivant. Le premier est plus simple, et il vaut mieux d’ailleurs qu’on se pose la question dès maintenant : que faire des corps des astronautes morts en mission ?

« La mort parmi les astronautes a toujours été rapide, et a toujours emporté des équipages entiers, donc il n’y a jamais eu de situation où quelques astronautes se rassemblent autour d’un compagnon perdu en se demandant quel est le mode d’élimination approprié. »

Kelly et Zach Weinersmith, dans un extrait de leur livre publié sur Live Science

La SF nous a fait imaginer des funérailles « de marins », avec un corps largué dans l’espace pour dériver sans fin. Cela permettrait d’économiser de l’espace tout en évitant les problèmes de la décomposition, ou de gaspiller de l’énergie dans une éventuelle crémation. Les auteurs notent toutefois que, plutôt que de laisser le corps dériver éternellement, on pourrait lui donner une légère impulsion pour qu’il retourne vers la Terre et se consume dans son atmosphère. Symboliquement, cela aurait un sens.

Pas de gaspillage dans l’espace

Mais écologiquement, ça serait quand même un gâchis des ressources les plus utiles au maintien en vie d’un autre corps humain. L’option du recyclage des nutriments pour faire pousser des légumes dans le sol martien doit bien sûr être prise en compte. Mais il n’est pas impossible que, dans un vaisseau et/ou pressé par le temps, on doive recourir à la boucherie. Les deux coauteurs remarquent d’ailleurs la quasi-absence de ce thème dans la littérature scientifique consacrée à l’exploration spatiale. À l’exception d’un ouvrage de 1978 intitulé « Survival Homicide in Space » par Robert A. Freitas.

Un titre qui, d’emblée, introduit le second cas de figure : tuer, pour survivre. Le cannibalisme, même de survie, est tabou dans l’extrême majorité des sociétés humaines. Mais ce n’est pas pour autant qu’il soit inconcevable, malgré le défi qu’il pose moralement et juridiquement. Selon Freitas, l’Article VIII du Traité de l’espace extérieur suggère d’ailleurs que les astronautes seraient soumis à la loi de l’État d’enregistrement du vaisseau. À voir ce que celle-ci prévoit concernant les « lois de la nécessité ». Mais ça sera plus compliqué dans une station internationale, fait remarquer le couple Weinersmith : « Nous n’avons pas besoin à la fois de cannibalisme spatial et d’un incident international. »

Mourir, plutôt que tuer

Cela dit, serions-nous capables de sacrifier un membre d’équipage pour la survie des autres ? Que ce soit pour sa viande ou pour économiser de l’oxygène, ce genre de dilemme des naufragés ne devrait pas se poser. Mais le poids moral d’une telle décision laisse penser qu’il est probable que beaucoup de gens préféreraient ne pas la prendre. Jusqu’à sciemment choisir la mort. Freitas va jusqu’à donner des exemples contemporains de refus du cannibalisme, dans des mines ou sur des navires.

Nous avons beaucoup de mal, en tant qu’espèce, à tirer à la courte paille pour condamner quelqu’un et sauver les autres. « Il s’avère que la plupart d’entre nous préfèrent mourir plutôt que tuer », notent les coauteurs du livre. Une note finale qui arrive à conjuguer un certain optimisme sur notre nature humaine avec une vision particulièrement sinistre.

Plus