Pas de drame nocturne cette fois, pas de cris, mais « plutôt la constatation, ensemble, que le moment était passé », raconte un participant à la réunion kern, hier soir. La Vivaldi et le Premier ministre De Croo ont dû conclure que c’était fini pour de bon, cette réforme fiscale. « C’était finalement très serein. » D’autres sources indiquent que seul le cd&v « était très déçu et voulait vraiment continuer à essayer ». Mais : « Devions-nous finir avec une réforme de 500 ou 600 millions ou quelque chose du genre, qui ne serait même pas correctement financée ? » De Croo a immédiatement tourné la page, même s’il avait assuré ces dernières semaines au Parlement qu’il y aurait « une réforme avant le 21 juillet ». « Cela n’était pas prévu dans l’accord de gouvernement », a-t-il tenté d’apaiser. La Vivaldi peut donc simplement poursuivre son chemin, d’autant que le cd&v ne devrait pas créer de problèmes. Vincent Van Peteghem (cd&), le ministre des Finances à l’origine de la réforme, s’est toutefois montré fort critique à la radio ce matin, particulièrement à l’égard du MR, qui est tenu pour responsable de l’échec : « Un des sept partis n’était pas prêt. » Mais les chrétiens-démocrates ne vont pas retourner la table pour autant. « Ils devraient aussi se regarder dans le miroir. Répéter obstinément ce que vous désirez, cela ne fonctionne pas », dit un partenaire de la Vivaldi, à propos de Van Peteghem.
Dans l’actualité : Pas de trois sur trois, pour De Croo.
Les détails : Après l’accord bien maigre sur les pensions et l’accord avec Engie, la réforme fiscale devait permettre à Vivaldi d’aborder l’été avec un bon sentiment. Cela s’est terminé amèrement, un peu après 23 heures hier soir. Pas d’accord, et plus aucune perspective d’un accord sur la réforme fiscale. « C’est désormais fini », confirme-t-on.
- Avec une très longue déclaration sur Twitter, Vincent Van Peteghem, vice-premier ministre du cd&v mais surtout l’architecte de la réforme fiscale, a voulu clore le chapitre de « son dossier ». Ou du moins, il a essayé.
- « Aujourd’hui, nous devons conclure que tout le monde n’est pas capable de quitter ses tranchées et de montrer le courage de prendre des décisions dans l’intérêt de tous. »
- « Évidemment, je suis déçu. Ces derniers mois et ces dernières années, nous avons travaillé dur sur des plans auxquels je crois vraiment. »
- Ce matin sur Radio 1, Van Peteghem avait déjà entièrement concentré son message sur un parti, qui était tenu pour responsable : le MR de Georges-Louis Bouchez.
- « Si vous continuez à plaider pour les 100 personnes les plus riches, au lieu de donner un peu plus à ces centaines de milliers de personnes qui vont travailler, alors rien n’est possible. »
- « Six des sept partis étaient prêts à chercher un consensus, à trouver un moyen d’obtenir le tax shift. Et je suppose qu’un parti libéral est en faveur de la réduction des taxes sur le travail, non ? »
- Un Van Peteghem visiblement en colère. De là à débrancher la prise ? « Si un parti dit aujourd’hui, ‘nous ne voulons pas’, alors vous devez leur poser la question à eux », a répondu le vice-premier ministre de manière évasive.
- Cette ligne d’attaque correspondait d’ailleurs bien à celle du PS et d’Ecolo, qui ont également pointé explicitement le MR comme ‘coupable’. « Le MR ne voulait pas de notre réforme Robin des Bois : aller chercher chez les riches et donner aux moins fortunés », a déclaré ce matin le vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS) sur BelRTL. Le PS et Ecolo avaient auparavant stigmatisé le MR comme « Mouvement des Riches ».
L’essentiel : Le cd&v voit maintenant son trophée s’évaporer au niveau fédéral. Le Premier ministre ne perd lui qu’un sentiment du travail accompli avant l’été.
- Pour le cd&v, la semaine n’est pas particulièrement agréable, juste avant les vacances d’été. Au sein du gouvernement flamand, le dossier sur les émissions d’azote est dans une impasse, et au niveau fédéral, le dossier qu’ils avaient monté jusqu’à en faire leur pièce maîtresse, leur échappe des mains
- Pour Van Peteghem, c’est ennuyeux : il a tenté de mettre en avant « à quel point il avait essayé » après l’échec. Mais pour Sammy Mahdi aussi : le président de parti qui est très proche de Van Peteghem a exigé à plusieurs reprises que cette réforme fiscale se fasse. Les autres partis de la Vivaldi peuvent maintenant l’ignorer sans aucune conséquence, puisque le cd&v ne débranchera pas la prise.
- Pire encore : au cours des derniers mois, on pensait, au siège du parti, qu’une ligne avait été ouverte avec succès avec le MR de Bouchez. Les dirigeants des chrétiens-démocrates se sont sentis pousser des ailes : ils étaient quasi certains que cette réforme se ferait avec les libéraux, « car les relations entre Mahdi et Bouchez sont excellentes ». Cette relation spéciale s’avère avoir été totalement inutile.
- La pique qu’a lancée le cd&v en direction du Premier ministre, selon laquelle il a saboté son plus fidèle partenaire, a été reçue avec moquerie au Seize. « Le Premier ministre avait au moins autant d’intérêt que Van Peteghem de conclure un accord. Peut-être même plus. Mais la réforme n’avait tout simplement pas de quoi être financée. C’est la triste vérité. »
- Pour De Croo, ce n’est pas l’adieu rêvé, juste avant l’été. Le libéral flamand aurait aimé marquer un ‘trois sur trois’, afin d’avoir à nouveau un narratif, une histoire à construire autour d’une Vivaldi « qui fonctionne ». Il voit ce narratif s’évaporer et le temps risque d’être bien long jusqu’aux élections de mai prochain. La réforme, elle, est définitivement abandonnée. « C’est fini », nous glisse avec certitude un vice-premier ministre. Même une discussion en septembre prochain n’arrivera pas, à l’occasion de l’exercice budgétaire.
Vue d’ensemble : « Avec ces sept partis autour de la table, cela n’a pas fonctionné. Et ce n’était pas seulement à cause du MR », résume un haut responsable.
- Le Premier ministre a tenté de limiter les dégâts dans une déclaration, hier. Il a souligné que cette réforme fiscale n’a jamais été l’ambition initiale de la Vivaldi : « Nous sommes allés bien plus loin que ce qui était prévu dans l’accord gouvernemental. »
- Mais De Croo a surtout touché l’essence même de la discussion qui se profilait hier soir : il s’agissait en fait d’une discussion budgétaire. « Il est notable que chaque parti à la table hier répétait que cette réforme fiscale devait être neutre sur le plan budgétaire », confirme une source.
- Au MR, le vice-Premier ministre David Clarinval (MR) était bloqué depuis des semaines sur ses « quatre parts », ses quatre parties qui devaient constituer le tax shift : du côté des dépenses, la moitié pour les indépendants et l’autre moitié pour les salariés, et du côté des revenus, la moitié provenant des réformes du marché du travail, et des nouvelles taxes beaucoup plus limitées. « On ne peut pas dire que c’était nouveau. »
- « Mais le problème avec cette réforme du marché du travail est en fait simple. Si vous faites bien les choses, avec des mesures fortes, vous êtes assez sûr des effets de retour en termes de récupération des coûts. Intervenir dans le chômage dans le temps, ou dans les métiers en pénurie par exemple. Mais à gauche, PS et Ecolo en tête, personne ne voulait de ces solutions. Mais si vous prenez des mesures plus ‘soft’, par exemple avec les flexijobs qui ne payent déjà pas de taxes, il devient alors plus dangereux de compter sur ces effets de retour », décrit un haut responsable. C’est dans ce cercle vicieux que la Vivaldi s’est finalement embourbée.
- « On ne pouvait tout simplement pas faire l’addition : des mesures que tout le monde pouvait accepter et la certitude des revenus futurs. Alors, vous vous embarquez dans des discussions budgétaires, et personne n’en avait envie, pas même le MR », entend-on dire.
- Mais est-ce alors à cause du MR ? « Pas du tout », disent plusieurs sources. « Le PS était également très soulagé que la réforme n’aboutisse pas », dit l’un des initiés. Et Van Peteghem en prend aussi pour son grade, d’un autre : « Lui et le cd&v doivent aussi se regarder dans le miroir. Répéter obstinément ce que vous désirez, ça ne marche pas non plus. Van Peteghem a perdu beaucoup de temps en répétant obstinément ses positions et en ne cherchant pas assez de solutions créatives. »
- « Regardez, nous partions de 6 milliards d’euros. Ensuite, c’est devenu seulement 2 milliards. On pouvait finir avec environ 500 à 600 millions d’euros. Mais même cela n’aurait pas été correctement financé. Nous nous sommes préservés de ces aventures », résume un membre du gouvernement.
- Devant les micros de la VRT, le Premier ministre a tenu un discours légèrement plus optimiste : « Année après année, le budget va dans la bonne direction, je n’accepterais pas que nous mettions notre gouvernement dans le rouge à l’avenir. »