Au lendemain d’une opération policière inédite en Belgique, dont le tour de force tient au décryptage de la technologie de communication d’un cartel de la drogue, le ministre de la Justice nous ramène à la réalité du terrain: notre pays manque de moyens dans la lutte contre la cybercriminalité.
La plus vaste opération judiciaire jamais menées en Belgique. Plus de 1600 policiers déployés, plus de 200 perquisitions, 48 arrestations en lien présumé avec une organisation, la saisie d’un million d’euros, d’armes et d’uniformes de police. Une action spectaculaire qui a naturellement fait les gros titres.
Pourtant, pour reprendre les mots du ministre de la Justice, il s’agit d’une ‘manœuvre de rattrapage’. Cette enquête ne marque que le début d’une réponse et rappelle sans fard que les criminels maîtrisent les dernières technologies pour échapper à la police.
À ce propos, l’avancée significative dans ce dossier tient au déchiffrage du code des cryptophones qu’utilisaient les suspects pour orchestrer commandes, livraisons, corruption et blanchiment d’argent. Loin d’en tirer tout le mérite, les forces de l’ordre belges ne peuvent porter un coup à ce genre de crime organisé que grâce à la coopération internationale, sous la coordination d’Europol.
Numérisation de la criminalité
Car la criminalité se réinvente et progresse au fur et à mesure que la société poursuit sa transformation digitale. D’ailleurs, si presque toutes les infractions pénales ont diminué depuis l’éclatement de la crise sanitaire, la fraude informatique et les escroqueries sur internet ont bondi.
‘La cybercriminalité progresse. Le coronavirus a amplifié le phénomène avec le télétravail et le commerce en ligne. Le parquet confirme cette tendance’, a précisé le ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) en Commission de la Chambre.
Le ministre de la Justice a estimé que notre arsenal légal était suffisamment fourni pour réagir à la hausse de ces activités répréhensibles en ligne, et a assuré notamment que le Code d’instruction criminelle avait été ‘modernisé pour mieux outiller les autorités judiciaires’. Malgré tout, de nombreux défis demeurent.
Besoin pressant de ressources
Le pouvoir judiciaire belge souffre de carences, en ressources logistiques mais aussi humaines : besoin de matériel, de policiers et membres du parquet qualifiés en IT…
‘Au cours des derniers mois, 450 postes ont été déclarés vacants, dont 100 pour la police judiciaire fédérale d’Anvers, en ce compris des profils spécialisés’, a souligné le ministre Van Quickenborne.
Chaque parquet compte ‘un ou des magistrats spécialisés en cybercriminalité’, mais qui ne sont pas dédiés et traitent également des dossiers de droit commun. Le parquet fédéral dispose d’une cyber unit composée de trois magistrats et d’un juriste de parquet. Des experts de la ‘PJ du web’, une section de la police judiciaire fédérale dédiée aux investigations sur Internet, tente de venir en renfort auprès des autres unités policières ou de la magistrature.
Néanmoins, face à l’explosion des délits informatiques, les avancées semblent rares. Le parquet de Bruxelles a récemment réuni la PJ fédérale, l’autorité des marchés FSMA et la Cellule de traitement des informations financières (Ctif) pour ne citer qu’elles, afin créer une ‘fraud team’.
Difficultés (inter)nationales
La justice belge doit déjà combler ses effectifs pour, entre autres choses, pleinement lutter contre la cybercriminalité.
‘Mais ces profils spécifiques sont difficiles à recruter dans les cadres et barèmes existants’, concède Vincent Van Quickenborne.
La bonne paie joue un rôle visiblement principal. En comité parlementaire des questions technologiques, le commissaire en chef de la section Recherche sur Internet de la police judiciaire fédérale, a encore dernièrement rappelé aux législateurs les difficultés liées au fait de ne pas pouvoir aligner les rémunérations à celles pratiquées dans le privé.
‘Les enquêteurs sont également confrontés à la complexité de la territorialité et l’encryptage croissant sans parler de la collaboration parfois difficile pour le partage des données, notamment entre les médias sociaux et la police’, épingle Vincent Van Quickenborne. Et d’ajouter que ‘l’arrêt de la Cour de Justice européenne d’octobre sur la rétention des données n’aide en rien’.
Notre ministre de la Justice n’appréciant manifestement pas que l’instance communautaire s’oppose à une législation belge qui oblige les opérateurs de télécommunication à conserver les données de tous les utilisateurs, sans distinction, pendant des périodes pouvant aller jusqu’à 12 mois. Alimentant un autre débat houleux sur la surveillance de masse au nom de la lutte contre le crime.
François Remy.
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