Année désastreuse pour la lire, année record pour les actions turques

L’inflation galopante en Turquie a des conséquences à la fois prévisibles et imprévisibles. Il n’est pas surprenant, par exemple, que l’économie soit en difficulté et que la lire soit sous pression. Mais c’est une grande surprise que l’inflation élevée déclenche également un rallye sur le marché boursier turc.

Les investisseurs risquent d’avoir l’air bizarre quand ils verront bientôt les listes des gagnants et des perdants en 2022. Dans une année d’investissement plutôt mauvaise, le marché boursier d’Istanbul se distingue avec un rendement de 173 %. Toutefois, cette reprise n’est pas due au fait que le monde financier est soudainement devenu très à l’aise avec les affaires turques. Au contraire, l’économie du pays traverse une période très difficile, l’inflation ayant même dépassé 80 % ces derniers mois. Dans presque tous les pays, une inflation élevée incite la banque centrale à augmenter les taux d’intérêt. Cela ralentit l’économie, entraînant une baisse de l’inflation. La Turquie, cependant, est une exception notable à cette règle.

Aller à contre-courant

En effet, sous la pression du président Recep Tayyip Erdoğan, la banque centrale de Turquie (TCMB) choisit de baisser les taux d’intérêt. En dépit du bon sens, il espère que cela stimulera suffisamment la croissance économique pour que le pays se sorte lui-même de la crise. Alors que les banques centrales d’Europe et des États-Unis relèvent leurs taux directeurs cette semaine, la TCMB a réduit son taux directeur de 14 à 9 % depuis juin. La combinaison de la baisse des taux d’intérêt et de l’inflation galopante rend la lire très peu attrayante sur les marchés des changes. La monnaie a chuté de 24 % par rapport à l’euro depuis la fin de l’année 2021. Il est donc de plus en plus coûteux pour les gens d’acheter des biens et services étrangers.

Quand investir semble plus sûr qu’épargner

La chute libre de la lire est également la raison immédiate de la forte hausse du marché boursier turc cette année. Comme la valeur d’un solde d’épargne s’érode très fortement, de nombreux ménages choisissent de détenir leur patrimoine en actions. Cela fonctionne bien pour l’instant, mais l’afflux de richesse des ménages constitue à lui seul une base très fragile pour la reprise des marchés boursiers. D’autant que l’économie turque risque de subir un nouveau choc majeur : les élections présidentielles, qui auront lieu le 18 juin. Et il semble qu’Erdoğan va sortir le grand jeu pour être réélu. Selon certaines rumeurs, il souhaite augmenter considérablement le salaire minimum pour accroître ses chances de réélection.

Le simulacre de la stabilité

Ce faisant, Erdoğan risque de compromettre le soutien des entreprises et le bon moral des marchés boursiers. Ces derniers mois, la banque centrale a déployé des dizaines de nouvelles règles et mis en réserve des devises supplémentaires. Il s’agit de munitions avec lesquelles la TCMB peut stabiliser la valeur de la lire à l’approche des élections. Si elle réussit, ce sera au mieux un simulacre de stabilité temporaire. Sans une banque centrale politiquement indépendante qui lutte de manière convaincante contre l’inflation, il est inévitable que la lire finisse par reprendre sa chute. Ainsi, après une chute de taux de près de 90 % au cours de la dernière décennie, la monnaie turque ne s’annonce pas non plus sous les meilleurs auspices en 2023.


Joost Derks est un spécialiste des devises chez iBanFirst. Il a plus de 20 ans d’expérience dans le monde de la monnaie. Cette chronique reflète son opinion personnelle et ne constitue pas un conseil professionnel (d’investissement).

MB

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