La Belgique a une pression fiscale parmi les plus élevées du monde, à 46,2 %. Mais après ce conclave budgétaire, elle risque d’y ajouter une nouvelle couche. « Il est prévu de supprimer la prime au logement pour les résidences secondaires, de réformer les droits d’auteur, ainsi qu’un impôt minimum pour les multinationales », a annoncé le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V). En outre, une augmentation de l’impôt sur les valeurs mobilières à 21 % circule dans les couloirs. Ce n’est pas immédiatement une bonne nouvelle pour l’aile libérale de la Vivaldi. Mais ce n’est pas tout : le vice-premier ministre, Pierre-Yves Dermagne (PS), a rejeté sans ménagement le projet de travailler sur une « indexation nette », ce qui soulagerait les entreprises. Alexander De Croo (Open Vld), quant à lui, tente de calmer le jeu depuis Prague : « Nous faisons un budget pour deux ans, cela donne la possibilité de faire des choses structurelles ». Mais une réforme fiscale, une réforme des retraites ou une intervention sur le marché du travail ne semblent pourtant pas être dans les plans. Et les salaires des ministres ? « Quelle stupidité, de commencer à parler de ça », entend-on au sein du gouvernement.
Dans l’actualité : Le Premier ministre veut réduire les salaires des ministres de 8 %, « suivant l’exemple de la Communauté germanophone ».
Les détails : Des critiques virulentes se font entendre au sein de sa propre équipe. « Devons-nous nous préoccuper de cela ? Qu’est-ce que cela apporte en termes de budget ? Cela ne fait que mettre l’accent sur les salaires des politiciens, que les gens trouvent trop élevés de toute façon », déclare une source gouvernementale.
- Ce soir à partir de 18 heures, le gouvernement Vivaldi entame « sa dernière danse », la dernière grande discussion budgétaire de la législature. « Le talent fait gagner des matchs, mais le travail d’équipe et l’intelligence font gagner des championnats », avait déclaré le Premier ministre en début de législature, en citant la légende du basket Michael Jordan. Mais le « travail d’équipe » est rarement ressorti gagnant lors des désormais tristement célèbres conclaves budgétaires de la Vivaldi.
- Chaque partenaire de la coalition fédérale entre donc dans les négociations finales avec les réserves nécessaires. Le jeu politique est bien connu, toute comme l’éternel clivage gauche-droite. Mais le Premier ministre, actuellement à Prague pour un important sommet européen sur l’énergie (voir ci-dessous), a déclaré sur Radio 1 ce matin, qu’il voulait garder de l’ambition, pour son gouvernement. Car lorsqu’on lui demande s’il y aura de « vraies réformes », il répond : « Nous en avons besoin, j’espère que nous pourrons dégager les derniers éléments ensemble. »
- Concernant l’exercice dans son ensemble, il a admis que « ce n’est pas facile », « mais qu’aurions-nous dû faire ces dernières années ? Laisser ces entreprises et ces personnes à leur propre sort ? Nous sommes intervenus dans deux crises majeures, et c’était juste », faisant référence au fossé de pas moins de 23 milliards d’euros, sur lequel la Vivaldi débat actuellement, pour le budget 2023.
- Le Premier ministre souhaiterait économiser environ 0,7 %, pour terminer l’année 2024 avec un déficit d’un peu plus de 3 %. Pour le moment, ce déficit menace de dépasser 5 % : la Belgique présenterait ainsi le pire budget de toute l’UE. La question est de savoir si cela est réalisable : cela nécessiterait à la fois une augmentation des recettes et une réduction des dépenses. Pour combler quelque peu l’écart, nous nous rabattons sur une formule classique en trois parties : 1/3 d’économies, 1/3 de nouvelles taxes et 1/3 « d’extras ».
- Dans l’entretien radiophonique, De Croo est également revenu sur sa « proposition d’austérité », à savoir commencer à économiser 20.000 euros par an et par ministre sur les salaires. Ce faisant, il s’est inspiré de la Communauté germanophone, qui la mettait déjà en œuvre. Sa proposition a suscité de vives critiques de la part de certains partenaires de la Vivaldi, off the record : « Pourquoi toujours cette focalisation sur nos propres salaires ? Qu’allons-nous obtenir ? Les gens vont de toute façon penser que les politiciens gagnent trop. Et cela représente une économie de quoi, plusieurs centaines de milliers d’euros ? Quelle différence cela va-t-il faire pour le budget ? », a vivement réagi un ministre de premier plan.
- Dans l’hémicycle, le chef de groupe chez Groen, Kristof Calvo, a par ailleurs suggéré de faire des économies également sur les parlementaires et en particulier sur les « postes spéciaux », des membres des commissions, entre autres. « Ceux-ci doivent se réunir plusieurs heures supplémentaires par semaine, pour un salaire beaucoup plus élevé », a suggéré Calvo, introduisant là aussi « l’austérité ». Le député de la N-VA, Theo Francken, s’est emporté contre lui : « On ne l’a pas vu dans l’hémicycle pendant des mois, parce qu’il a dû se ressourcer auprès de GroenLinks aux Pays-Bas après avoir raté un portefeuille ministériel. Il a pourtant été payé à 100%… Allez. »
À noter : « L’indexation nette » est accueillie très froidement par les socialistes.
- La question de l’indexation des salaires était présente dans toutes les discussions hier à la Chambre. Le vice-premier ministre et ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), y a été interrogé sur « l’indexation nette », une proposition des libéraux flamands, mais aussi de la N-VA.
- Ce faisant, les travailleurs recevraient le montant total, mais l’État abandonnerait, ou reporterait, sa part via les cotisations sociales et patronales. Les employeurs, ainsi que les économistes, avertissent depuis des semaines que la Belgique, qui est pratiquement le seul pays de l’UE à pratiquer l’indexation automatique, risque de prendre un sérieux coup en termes de compétitivité.
- Fait remarquable, les questions adressées à Dermagne dans l’hémicycle n’émanaient pas de l’Open Vld ou du MR : ils sentaient déjà venir le retour de bâton. Car le socialiste a rejeté en bloc ces projets autour d’une indexation nette : « Les services publics sont les piliers fondamentaux de l’État-providence. Ils doivent être correctement financés. Nous ne devons pas affaiblir ces mécanismes, nous devons simplement les renforcer », a-t-il argumenté.
- Puis, comme lors d’un congrès du PS, Dermagne a conclu son discours en citant Jean Jaurès : « L’État social favorise et renforce la liberté. » En fait, pour les socialistes, il n’est pas question de toucher à l’indexation automatique d’une quelconque manière que ce soit. Pas question de défiscaliser, donc, en tout cas de manière généralisée. Car cela affaiblirait grandement la sécurité sociale.
- L’opposition s’est une nouvelle fois régalée de ce clivage au sein de la Vivaldi :
- « Egbert Lachaert (Open Vld), une chose est claire, votre ballon d’essai a déjà été crevé. Hier, je vous ai entendu annoncer à la télévision avec beaucoup de bruit : « Nous allons procéder à une indexation nette. » Je viens de l’entendre : c’est terminé », a ricané Jean-Marie Dedecker (Indépendant).
- « Il est très frappant de constater que l’Open Vld a fait grand bruit dans les journaux hier, mais qu’ici au Parlement, il ne dit pas un mot des problèmes auxquels les gens sont confrontés. Pas un mot », a soutenu Björn Anseeuw (N-VA).
- À gauche, Raoul Hedebouw (PTB) a saisi l’occasion au bond pour s’attaquer à la droite : « Les mêmes personnes de droite qui disent depuis des mois qu’il n’y a pas d’argent dans la sécurité sociale et que nous ne pouvons pas donner plus d’argent à tous les retraités et aux malades de longue durée sont les mêmes qui disent maintenant qu’ils vont mettre moins d’argent dans la sécurité sociale. Une vraie folie. »
À noter : Entre PS et MR, c’est vraiment comme chien et chat.
- Entre-temps, il devient de plus en plus clair que des recettes supplémentaires seront également prises en compte dans cet exercice budgétaire. Le scénario d’un impôt sur les valeurs mobilières plus élevé, qui passerait à 21 %, circule sans cesse. Et à Villa Politica, sur la VRT, le vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V), qui dirige les Finances, a également admis que l’avantage fiscal pour une deuxième résidence est susceptible de disparaître, bien que le MR et Georges-Louis Bouchez mettent un point d’honneur à le conserver.
- Par ailleurs, Van Peteghem envisage aussi d’adapter le régime des droits d’auteur, qui profite actuellement à un certain nombre de professions telles que les informaticiens et les avocats, puisqu’ils ne doivent payer que le précompte professionnel sur ces droits. Ainsi, cette charge fiscale passe à environ 10 %, ce qui est utilisé comme une échappatoire. Van Peteghem veut éliminer cela depuis un certain temps.
- Enfin, il y a l’impôt minimum pour les multinationales. Ce principe a été approuvé à l’OCDE, l’association des pays industrialisés, sous l’impulsion du président américain Joe Biden : les mégasociétés devraient payer un impôt minimum de 15 %, telle est l’idée. Au sein de l’UE, cela serait inscrit dans un cadre juridique, mais la Hongrie de Viktor Orban y fait obstacle : elle utilise ce dossier pour débloquer son propre financement européen, qui a été suspendu en raison d’atteintes à la démocratie. Van Peteghem, ainsi qu’un groupe d’autres pays de l’UE, voudraient maintenant introduire cette taxe, quoi qu’il arrive : elle figurait également dans les plans budgétaires de la Vivaldi, pour 300 millions d’euros.
- Tout cela n’est donc pas une bonne nouvelle pour les libéraux, et certainement pas pour le MR. Le PS en a rajouté une couche hier, en reprenant une interview de Hadja Lahbib sur LN24, où elle suggérait qu’il ne fallait pas s’arrêter à limiter le salaire des ministres, mais aussi d’aller voir dans le privé, du côté des hauts revenus. Certainement une maladresse de la part de la ministre, pas encore rompue à l’exercice de l’interview, de l’autre côté de la barrière.
- Paul Magnette, le président du PS, n’en a pas fait grand cas : ce matin, il a mis sur la table une autre proposition visant à faire payer aux plus hauts revenus un impôt de crise supplémentaire : « Tarif social, tarif réduit pour la classe moyenne, TVA réduite… Il faut prolonger les mesures de soutien en 2023. C’est indispensable, mais ça coûte cher. Les banques, les multinationales, les plus hauts revenus doivent contribuer davantage à la solidarité. »
- Il n’en fallait pas plus pour faire réagir le président du MR, Georges-Louis Bouchez : « Les hauts revenus, c’est-à-dire pour le PS, les travailleurs de plus de 41.000 euros/an, paient plus de 55% d’impôts. Sans compter les taxes et contributions sociales. Ils paient donc une contribution de crise permanente… Pas de fiscalité nouvelle. Stop. »
- Paul Magnette lui a directement répondu en vidéo, pour marquer le coup : « Ce matin, comme très souvent, on a une nouvelle fake news du président du MR (…). Nous ne taxerons pas les revenus de 41.000 euros, mais nous sommes d’accord pour taxer les salaires des ministres et donc les hauts revenus équivalents, à savoir 250.000 euros par an, pour une contribution de crise ».
- Dans l’opposition, à la N-VA, on observe bien sûr ce spectacle et on tente de mettre un peu plus de pression sur l’aile droite flamande de la Vivaldi. Dans un post sur LinkedIn, le président du parti, Bart De Wever (N-VA), a comme à son habitude réagi de manière très cynique : « Quiconque regarde les rapports de presse des dernières semaines et des derniers mois doit arriver à la conclusion que nous vivons dans un pays prospère où les dettes n’existent pratiquement pas, où la croissance économique est supérieure à la moyenne et où les excédents budgétaires s’accumulent. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. »
- Le président des nationalistes a souligné le contraste avec les négociations budgétaires flamandes, où il a fallu faire des économies: « Les mots manquent pour décrire le fait que, lors des négociations budgétaires flamandes, nous avons été critiqués pour avoir rejeté des mesures trop coûteuses. Cela contraste fortement avec la politique fédérale, où l’argent des impôts s’envole par les fenêtres, de la manière la moins efficace et la moins productive qui soit. »
L’essentiel : tout le monde connaît la clé d’un budget plus sain. Mais la volonté de réformer existe-t-elle ?
- « Un budget, nous le faisons un an à l’avance, mais cela donne l’occasion de réformer davantage, de faire quelque chose de structurel », a admis le Premier ministre De Croo ce matin depuis Prague.
- C’est frappant, car Van Peteghem a également déclaré quelque chose de similaire hier à Villa Politica : « Quel genre de gouvernement voulons-nous être ? De quelle manière les gens doivent-ils se souvenir de ce gouvernement ? Nous devons nous assurer que nous sommes plus qu’un gouvernement de crise, en réformant. »
- De beaux mots que la Vivaldi ferait bien d’appliquer dans trois grandes réformes pour renflouer ses finances : le marché du travail (avec un vrai chemin vers ce fameux taux d’emploi de 80 %), les retraites (où une sérieuse tentative de réforme au printemps a accouché d’une souris) et la fiscalité. Mais aucun des trois dossiers ne semble pouvoir être mis sur la table du conclave budgétaire.
- Et c’est très frappant : car si Van Peteghem appelle ainsi à un « gouvernement réformateur » devant les caméras, les critiques virulentes du CD&V se font tout juste entendre dans les couloirs. Car le ministre ne veut apparemment pas soumettre à l’approbation de ce conclave ses propres projets de redécoupage fiscal, qu’il a rendus publics cet été. Ce n’est pas illogique : il est clair que le MR de Bouchez ne se laissera pas faire. « Nous voulons notre plan complet, nous ne ferons pas de sélection », entend-on au CD&V.
- « Nous sommes donc de facto les seuls, au PS et chez Vooruit, à continuer à faire pression pour obtenir cette réforme. Sûrement illusoire », nous dit-on sur les bancs rouges du gouvernement, où l’on ne comprend pas l’attitude du CD&V, qui trouve à son tour la critique « très étrange ». Tout ça pour dire : les nerfs sont tendus.
- Quoi qu’il en soit, depuis la nuit des temps, lorsque le clivage gauche-droite apparait dans la rue de la Loi, il y a beaucoup de déclarations et de propositions fortes. Il en résulte généralement un compromis, ou une souris diront certains : à savoir le plus petit dénominateur commun.
Pendant ce temps à Prague : un plafonnement des prix du gaz, un serpent, ou rien ?
- Aujourd’hui, l’UE fait face à une réunion houleuse, mais hier, elle pouvait déjà célébrer un succès : sa « Communauté politique européenne » a tenu une première bonne réunion. Tout le monde est donc venu, sauf Mette Frederiksen, dont le gouvernement est tombé au Danemark.
- C’est ainsi que l’UE, par l’intermédiaire du président français Emmanuel Macron et du président du Conseil européen Charles Michel (MR), a réussi à réunir les présidents arménien et azerbaïdjanais autour d’une même table, afin d’avoir une conversation ouverte sur la flambée de violence entre les deux pays.
- Par ailleurs, Liz Truss, la Première ministre britannique, a déclaré sans ambages qu’Emmanuel Macron était un « ami » et non un « ennemi », comme elle l’avait laissé entendre auparavant. Seul le président turc Tayyip Erdogan a réussi à provoquer un incident mineur : lorsqu’il est intervenu au cours du dîner et a interpelé les Grecs dans une énième provocation entre les deux pays de l’OTAN, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a quitté la table avec colère. Tous deux ont eu des mots très durs l’un envers l’autre lors de discussions avec la presse.
- Le Premier ministre belge De Croo a de nouveau cherché les caméras au niveau international : il reste frappant de voir à quel point il est à l’aise sur cette scène supranationale. Il a parlé d’un « moment très symbolique, parce que seuls deux pays n’étaient pas là, pas du tout par coïncidence : la Russie et le Belarus ».
- Un succès, donc, car il est déjà question d’un autre sommet de ce CPE, qui aurait lieu à Chişinău, la capitale de la Moldavie. Hors de l’UE, donc : également symbolique. D’un autre côté, quiconque a déjà été à Chişinău peut se demander comment ils vont pouvoir accueillir 44 chefs de gouvernement et présidents pour un sommet là-bas, avec ses installations très limitées (il y a deux hôtels décents dans toute la ville).
- Pour le sommet européen d’aujourd’hui, les choses sont différentes. Les 27 États membres sont très divisés sur le fameux plafonnement du prix du gaz. L’Allemagne reste opposée, mais dans le même temps, la Belgique, la Grèce, l’Italie et la Pologne ont mis sur la table une proposition de « serpent de prix », avec une limite supérieure et inférieure. La question est de savoir si cela est acceptable pour des adversaires comme les Pays-Bas, le Danemark et les Allemands.
- De Croo lui-même a déjà eu une conversation en privé avec le chancelier allemand Olaf Scholz. « Je lui ai dit que l’action commune est importante, non seulement pour l’énergie, mais aussi dans le contexte de la sécurité. Une Europe qui entre en récession deviendra également plus instable, et les choses ne pourront que devenir plus difficiles. C’est donc aussi une question de sécurité. » Attendons de voir si cela aura un effet.