Aduhelm, ce médicament contre Alzheimer ultra-controversé qui coûte la moitié du budget de la Défense américaine

Début juin, la Food and Drug Administration (FDA), le régulateur américain des médicaments, a octroyé une autorisation accélérée de mise sur le marché au nouveau traitement contre la maladie d’Alzheimer conçu par la biotech Biogen. Mais ce qui aurait pu constituer un immense élan d’espoir pour des millions d’Américains s’est transformé en une gigantesque polémique.

En donnant son feu vert à l’Aduhelm (c’est le nom sous lequel doit se vendre ce médicament), la FDA a octroyé sa première autorisation pour un traitement contre la maladie d’Alzheimer depuis 2003. Une décision historique et a priori hautement réjouissante, tant cette maladie dégénérative fait des ravages. Elle est la principale cause de la démence et la sixième cause de mortalité aux Etats-Unis.

Mais depuis que la FDA a donné son aval, les critiques se déchaînent contre elle. Elles viennent tant de (proches de) patients que de scientifiques. Ceux-ci estiment que l’efficacité du médicament n’a pas été prouvée via les essais cliniques, et que l’autorisation a donc été donnée beaucoup trop rapidement. D’après eux, les essais n’ont pas eu les résultats escomptés, et les quelques signes potentiellement encourageants ont été uniquement décelés chez des patients atteints par une forme légère de la maladie.

Essais cliniques bâclés ?

L’Adulhem- « aducanumab », de son nom scientifique – a fait l’objet de deux essais de grande ampleur réalisés par Biogen. Ils ont été interrompus en 2019 à la suite de la publication d’une étude intermédiaire indépendante qui avait conclu qu’il était inutile. Mais Biogen a tout de même repris les données de ses deux essais et l’un d’eux – l’autre pas – a montré que le produit avait permis de légèrement ralentir le déclin cognitif des patients. Des résultats insuffisants selon les détracteurs, d’autant plus que cela n’implique pas nécessairement la guérison des problèmes de mémoire des patient.

Les critiques ont également alerté sur les effets secondaires potentiellement très grave de l’Aduhelm – des œdèmes cérébraux et des hémorragies cérébrales – qui feraient nettement pencher la balance bénéfices-risques vers la deuxième option.

Notons qu’un comité consultatif de la FDA avait d’abord conseillé à l’organisme de ne pas accorder son feu vert à Biogen pour le déploiement de son traitement. Un avis que ses décideurs avaient finalement refusé de suivre, arguant qu’une telle autorisation accélérée était destinée à « fournir à des patients souffrant de maladies graves, pour lesquelles il existe une demande insatisfaite, un accès anticipé à des traitements potentiellement précieux et promettant des bénéfices cliniques malgré des incertitudes résiduelles concernant les bénéfices. »

Trois membres du comité consultatif ont démissionné, en guise de protestation, début de juin. Un organisme de surveillance du secteur a quant à lui demandé la démission de trois hauts responsables de la FDA à l’origine de l’octroi de cette autorisation accélérée.

Prix démentiel

Si les motifs scientifiques n’ont pas (encore ?) suffi à refaire passer le feu au rouge pour Aduhelm, ses détracteurs ont sorti de leur chapeau l’argument financier. En effet, Biogen compte faire payer son traitement à prix d’or: 56.000 dollars par an, par personne.

Un coût démentiel qui devra être supporté par Medicare, le système d’assurance-santé géré par le gouvernement fédéral des États-Unis au bénéfice des personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères.

Une analyse réalisée au début du mois par la Kaiser Family Foundation a mis en lumière que, si seulement un quart des 2 millions de bénéficiaires de Medicare qui utilisent actuellement un traitement contre la maladie d’Alzheimer – soit environ 500.000 bénéficiaires – commençaient à prendre l’Aduhelm, cela coûterait à Medicare 29 milliards de dollars par an. Or, en 2019, Medicare a dépensé 37 milliards de dollars pour l’ensemble des médicaments administrés par les médecins.

Et si cela n’était pas encore assez parlant, Stat, un organisme qui réalise des études dans les domaines des biotech et de la pharma, a publié ce lundi un nouveau calcul. Si les 5,8 millions d’adultes éligibles à Medicare atteints de la maladie d’Alzheimer commençaient à prendre l’Aduhelm, cela pourrait coûter 334,5 milliards de dollars par an à Medicare. C’est beaucoup plus que la somme totale de l’argent consacré en 2019 par Medicare aux médicaments administrés par ordonnance par les médecins et à ceux vendus au détail en pharmacie. C’est aussi, soit dit en passant, près de la moitié du budget de la Défense.

Le politique s’en empare

Visiblement, l’argument financier a fait mouche. Ainsi, la semaine dernière, l’affaire a pris une tournure politique.

La sénatrice démocrate Elizabeth Warren et le sénateur républicain Bill Cassidy ont demandé une audience pour « examiner les nouvelles questions et les nouveaux défis ennuyants » que l’approbation de l’Aduhelm soulève pour Medicare.

Peu après, la commission de la Chambre des représentants chargée de la surveillance et de la réforme a annoncé qu’elle ouvrait une enquête sur l’approbation et la tarification d’Aduhelm. « Nous sommes très préoccupés par le prix élevé d’Aduhelm, le nouveau médicament de Biogen contre la maladie d’Alzheimer, et par le processus qui a conduit à son approbation en dépit des questions relatives aux avantages cliniques du médicament », ont déclaré dans un communiqué commun les démocrates Carolyn Maloney et Frank Pallone Jr., qui dirigent l’enquête.

Jusqu’à présent, tant la FDA que Biogen n’ont pas cédé aux critiques, la première réaffirmant les raisons l’ayant poussé à donner son feu vert, la seconde estimant son prix « justifié par la valeur que [son médicament] est censé apporter aux patients, aux soignants et à la société. »

Reste à voir si l’entrée de la polémique dans l’arène politique y changera quelque chose.

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