Ce soir, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) invite toute son équipe fédérale pour un « barbecue convivial » chez lui à Brakel, en Flandre orientale. C’est devenu une tradition : une sortie de groupe que la Vivaldi fait chaque année. « Le timing ne pourrait être meilleur », nous confie avec un clin d’œil un membre du gouvernement. En effet, la coalition fédérale traverse la semaine la plus agitée de la législature. L’affaire des visas iraniens impliquant la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR) a failli entraîner la chute du gouvernement De Croo I : le PS et Ecolo ont poussé jusqu’aux limites, tout comme le MR dans l’autre sens. Parallèlement, De Croo se retrouve président de parti. Il doit trouver un successeur à Egbert Lachaert (Open Vld), qui a pris la porte. Un violent conflit sur la réforme fiscale est à l’origine de la séparation : « Le président n’a pas accepté les plans du Premier ministre et en a tiré les conséquences », déclare une source haut placée. De Croo doit donc maintenant trouver un nouveau capitaine pour son parti. Le nom du vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) revient forcément. Il est depuis le début de la législature le « pitbull » du Premier ministre au sein du kern : un fidèle allié qui mord s’il le faut. « C’est possible », entend-on au Seize. Cela provoquerait immédiatement un jeu de chaises musicales : l’Open Vld devrait alors chercher un nouveau ministre de la Justice, pour seulement quelques mois.
Dans l’actualité : « Ça va être fun ! », déclare ironiquement un socialiste du gouvernement à propos du barbecue chez De Croo ce soir.
- « DJ De Croo et Frank, le sorteur, vous invitent ! » L’humour est toujours présent au sein du gouvernement fédéral après quelques semaines tumultueuses pour De Croo et son équipe. Ils se retrouvent ce soir chez le Premier ministre : ce dernier organise son barbecue annuel, une tradition qu’il perpétue depuis un certain temps.
- Pas de pluie prévue, seulement quelques nuages : tout se présente bien. Le timing est par contre un peu particulier, car tout est arrivé en même temps pour De Croo. Son gouvernement a été au bord de l’effondrement pendant près d’une semaine, car plusieurs partis au sein de la coalition souhaitaient évincer la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib. Le MR a refusé de céder. Les partis flamands de la coalition ont joué les désamorceurs.
- Ensuite, mercredi, son propre président de parti, Egbert Lachaert, a démissionné. Et De Croo doit maintenant s’occuper aussi de cette tâche : il est actuellement « président par intérim » de l’Open Vld.
- C’est tout ? Non : un accord avec Engie a été conclu, grosso modo, et le week-end qui arrive doit permettre de finaliser la réforme fiscale, même si elle est moins ambitieuse qu’initialement prévue.
- C’est tout ? Toujours pas : le dossier le plus délicat semble être celui des pensions. Une note reçue vendredi dernier de la Commission européenne exerce une pression intense sur le gouvernement, s’il veut enfin recevoir l’argent du plan de relance européen.
- C’est tout ? Et non : il y a eu beaucoup de turbulences suite à nos révélations concernant l’altercation physique entre les vice-premiers ministres Vandenbroucke et Van Quickenborne. Les choses se sont apaisées depuis, Franck Vandenbroucke s’est excusé, tout en niant les faits devant la presse.
- Dans tous les cas, De Croo et ses ministres ne manqueront pas de sujet de discussion à Brakel, autour d’une saucisse ou d’une entrecôte. « En réalité, De Croo dispose maintenant de trois semaines pour construire ou briser son propre mandat de Premier ministre, son héritage. S’il réussit à conclure des accords, cela pourrait marcher pour lui », explique un membre du gouvernement.
- Un autre invité ce soir, bien qu’il soit bleu, relativise également les spéculations sur une mauvaise ambiance au sein de l’équipe : « On ne ressentira rien de tous ces problèmes lors du barbecue de ce soir. La situation est assez schizophrénique dans ce gouvernement : les ministres s’entendent plutôt bien les uns avec les autres. »
La question (aussi ce soir lors du BBQ) : Pourquoi Lachaert est-il parti si soudainement ?
- Une question domine les discussions, rue de la Loi : qu’est-ce qui a déclenché le départ soudain du président de l’Open Vld ? Il est clair que sa démission a été une surprise pour beaucoup, Lachaert n’a donné aucune indication à ses collègues de la rue de la Loi. L’idée selon laquelle son départ était prévu depuis longtemps et a simplement été « mis sur pause » à cause de la crise autour de Lahbib doit être mise à la poubelle, selon plusieurs sources de haut niveau chez les libéraux.
- La cause directe était un dossier symptomatique, au cœur des préoccupations de l’Open Vld : la réforme fiscale. Celle-ci doit être clarifiée ce week-end, entre les Vivaldistes. Mais après le marathon du week-end dernier, et tout ce qui en a découlé, les lumières sont passées au rouge au quartier général du parti, dans la rue Melsens, le M34.
- Lachaert et sa cheffe de cabinet, Caroline Deiteren, ont pâli lorsqu’ils ont vu les contours de cette réforme, élaborée par De Croo. Et un véto du parti aurait menacé directement le Premier ministre. La bisbrouille, qui est latente depuis un certain temps entre le M34 et le Seize, a atteint un point culminant mercredi, avec le départ du président déchu.
- « C’est un exemple typique de ce qui s’est mal passé entre le M34 et le Seize durant toute la législature : Lachaert n’a pas pu montrer les limites de son parti, n’a reçu aucune information, mais doit ensuite défendre l’affaire devant tout le monde ? Le tout, avec le souffle de Georges-Louis Bouchez (MR) dans le cou, qui viendra dire sur les plateaux flamands qu’il est le seul vrai libéral ? C’était devenu insoutenable », dit une source haut placée.
- L’histoire est entièrement confirmée par une autre source : « Cette réforme fiscale était la goutte d’eau. En combinaison avec les agitations constantes des ‘vieux crocodiles’ de son propre parti, qui voulaient clairement sa peau, c’était intenable. »
- Pour l’Open Vld et plus précisément pour le Premier ministre, cela signifie par contre une voie royale pour finaliser la grande réforme ce week-end. « Il y a des choses là-dedans qui devraient faire frémir chaque libéral, mais bon, De Croo ne rencontrera pas d’opposition de la part de son président désormais », dit-on avec un peu d’ironie.
- Au MR, ils ne sont pas tranquilles : leur « allié », Lachaert, qui pouvait parfois peser, leur manque totalement. Cela laisse Bouchez et son vice-premier ministre David Clarinval (MR) complètement seuls à la table du gouvernement.
Et maintenant ? La spéculation sur un jeu de chaises musicales chez les libéraux est certainement permise ce soir. L’Open Vld va-t-il bientôt devoir se chercher un nouveau vice-premier ministre ?
- Ce que De Croo ne mettra certainement pas sur la table ce soir, c’est le nom de celui qui prendra sa place, dans son ombre, comme nouveau leader du parti. Depuis le bureau de parti de mercredi, où Lachaert a reçu des faibles applaudissements de sortie et où De Croo a immédiatement saisi le marteau de président, il n’y a plus qu’un seul patron : le superman des libéraux, Alexander De Croo.
- Mais cette situation n’est pas tenable et n’est pas souhaitable : les partenaires de la coalition se plaignent déjà de l’incompatibilité des deux casquettes, celle de Premier ministre et celle de président du parti. « Nous réalisons que la transition doit se faire rapidement », reconnait-on chez les proches du Premier ministre.
- De Croo doit donc désigner personnellement quelqu’un qui dirigera les opérations dans la rue Melsens, jusqu’aux élections, et qui de préférence établira également les listes et coordonnera la campagne. Et si cette personne pouvait tenir le coup dans les débats télévisés à venir entre les présidents, ce serait bien aussi.
- Un scénario qui circule de plus en plus dans différents journaux et qui n’est pas rejeté au plus haut niveau est Vincent Van Quickenborne. Le Courtraisien de 49 ans a quelques qualités qui le rendent apte à la tâche.
- Il bénéficie de la pleine confiance de De Croo. Après le départ de Lachaert, le triumvirat qui a pris le pouvoir de l’Open Vld en 2020 est maintenant réduit à un duo : ‘Q’ et le Premier ministre.
- Van Quickenborne peut en outre se reposer sur sa ville de Courtrai. Ce modèle a fait ses preuves : les bourgmestres-présidents De Wever et Paul Magnette ne le contrediront pas.
- De plus, le poste de président est à peu près le lieu le plus sûr et le plus élevé au sein de l’Open Vld, même après les élections de 2024 : la défaite devra être assumée par De Croo et personne d’autre.
- Un nouveau visage au gouvernement pour succéder à ‘Q’ pourrait aussi donner un peu plus d’oxygène au parti. Mais la Justice est un portefeuille lourd : y mettre un nouveau venu n’est pas évident.
- « Par le passé, il a déjà été envisagé de faire venir Vincent à la tête du parti. Mais à l’époque, il n’était pas du tout emballé par l’idée. Ce n’est pas non plus comme s’il allait apporter un vent nouveau, lui aussi est complètement impliqué dans le pouvoir depuis des années », dit un député.
- Tous les autres noms qui circulent n’ont en tout cas pas le même lien avec le Premier ministre : Maggie De Block (Open Vld) est une option, pour donner de la stabilité. Un Patrick Dewael (Open Vld) ou Bart Somers (Open Vld) donneraient un visage familier à la barre, mais on se demande si De Croo le souhaite.
- « Maggie et Patrick se préparent clairement, ils sont ‘dispo’ comme on dit », observe un ponte du parti, amusé.
- Il en va de même pour une génération plus jeune de libéraux de l’Open Vld : il y a beaucoup de gens qui ne pensent pas qu’un ‘vieux crocodile’ est une bonne idée pour le M34. Les alternatives qui circulent sont Mathias De Clercq (Open Vld), qui reçoit ouvertement du soutien dans la fraction flamande, mais aussi un Tom Ongenae (Open Vld), un proche de Somers, qui en tant que président sauverait alors son siège parlementaire.