De Sutter reconnait « une erreur de débutante », mais passe immédiatement la patate chaude au PS et charge Hanard et Magnette

La ministre des Entreprises publiques Petra De Sutter (Groen) semble en passe de sauver sa peau dans l’affaire Bpost. À la Chambre, l’affaire était déjà réglée avant même qu’elle ne commence : elle avait renvoyé ses deux employés détachés de Bpost dans l’entreprise publique. « Appelez cela une erreur de jugement ou une erreur de débutante », a-t-elle déclaré en guise de mea culpa, sans pour autant admettre un quelconque conflit d’intérêts sur le fond. Plus frappant encore : au début de la séance, elle s’en est prise immédiatement à Audrey Hanard, la présidente du conseil d’administration, et à ses contacts étroits avec Paul Magnette. « Je ne trouve pas ça normal », a-t-elle commenté, refilant la patate chaude à la présidente du conseil d’administration ainsi qu’au PS. Elle l’a également fait à plusieurs reprises au cours de l’audition : « Vous devriez interroger Hanard à ce sujet la semaine prochaine », a-t-elle répondu, notamment lorsqu’on lui a demandé pourquoi l’audit interne n’avait pas été publié. La réaction du camp socialiste au sein de Vivaldi a été vive. Sur le plan du contenu, la nouvelle la plus importante était la confirmation que le duo Hanard et Dirk Tirez voulait assainir l’entreprise avec un plan de restructuration qui supprimait de 6.500 emplois chez Bpost.

Dans l’actualité : De Sutter renvoie la balle au PS et à Audrey Hanard.

Les détails : Lors d’une séance animée à la Chambre, la ministre écologiste ne s’est jamais vraiment mise en difficulté. Elle avait résolu elle-même son plus gros problème en licenciant les deux membres du cabinet détachés et en les renvoyant chez Bpost.

  • « Je réitère avec force ma confiance dans les deux conseillers détachés de Bpost, dont l’expertise m’a été utile, ainsi qu’à l’ensemble du gouvernement. Je ne tolère pas que l’on dise qu’ils ont interféré de quelque manière que ce soit, sans servir l’intérêt public. Le fait qu’ils soient accusés d’avoir travaillé comme des taupes pour Bpost est très douloureux ».
  • Ceux qui se sont limités à ces déclarations pourraient croire que la ministre défend toujours le système de détachement de chez Bpost. Car à aucun moment elle ne s’en est prise à ses anciens employés, bien au contraire. « C’est terrible ce qui leur arrive, dans les médias », a par exemple commenté De Sutter.
  • Mais après avoir fait l’éloge du duo, et toute une série d’arguments pour expliquer qu’il ne pouvait être question de conflit d’intérêts, est venu l’aveu de culpabilité tant attendu. Mais avec le frein à main.
  • « Une erreur de jugement, une erreur de débutante, appelez cela comme vous voulez. C’était une pratique ancienne. Il est évident aujourd’hui, une semaine plus tard, qu’il fallait absolument y mettre un terme », a déclaré De Sutter. Et aussi : « Je comprends le soupçon, le soupçon d’intérêt, je l’assume. Il y a une apparence, nous devons nous en débarrasser, mais ne regardez pas les insinuations dans les médias, en particulier de la part d’employés licenciés, mais regardez plutôt mes actions. »

Puis le coup de théâtre : la présidente du conseil d’administration, Audrey Hanard, et le PS se sont retrouvés au centre des débats.

  • Dès son arrivée dans l’hémicycle, avant le début de la commission, De Sutter a immédiatement utilisé une technique bien connue dans la rue de la Loi : détourner l’attention. Interrogée par les journalistes sur une réunion entre les dirigeants de Bpost, dont la présidente Hanard, et le président du PS, Paul Magnette, dans les bureaux de Bpost, elle a répondu très sèchement.
    • « Je ne pense pas que ce soit normal. Comme vous, je m’interroge. En tout cas, je n’ai jamais eu de liens aussi étroits avec l’entreprise. J’ai toujours gardé mes distances », a-t-elle répondu.
  • Et même lors de ses réponses devant la commission, elle a renvoyé à plusieurs reprises la balle à Hanard, qui sera auditionnée la semaine prochaine, pour qu’elle s’explique devant les députés.
    • « Je suis moi-même favorable à ce que les audits internes de Bpost soient rendus publics, mais l’entreprise a choisi de ne pas le faire. Je le regrette. Il vaut mieux demander à la présidente pourquoi ».
    • « L’ancienne direction de Bpost s’était apparemment spécialisée dans la maximisation des coûts, à la limite des pratiques légales, pour tirer le maximum des contrats publics. Leur propre audit l’a montré, c’est à la présidente du conseil d’administration de répondre ».
    • « Les contacts de la présidente à d’autres niveaux ? Je ne peux rien ajouter à cela, j’ai aussi des questions à ce sujet, mais c’est à elle qu’il faut poser la question. C’est elle qui a lancé l’audit interne, grâce auquel nous avons découvert toute l’affaire. Et j’ai toujours pu travailler en bonne intelligence avec elle. »
    • « J’ai demandé à Mme Hanard de m’expliquer si l’État a été floué ou non. Nous allons maintenant y ajouter un audit externe, pour vérifier ce qui n’a pas fonctionné ».
  • En outre, De Sutter a annoncé tout un « plan d’action », dans lequel elle a l’intention d’infliger un « châtiment majeur » à Bpost. Elle va également étudier la possibilité d’une procédure de « clawback » (clause de récupération) dans le contrat du prochain CEO : cette procédure permettrait de faire éventuellement payer le nouveau patron de Bpost en cas de dérapage. Ce n’est pas vraiment une clause qui attirera beaucoup de candidats supplémentaires pour ce poste, pour lequel les chasseurs de têtes ne parviennent déjà pas à trouver des candidats décents.
  • Elle s’en est prise violemment à l’ancien PDG Tirez, qui a, lui aussi, fait l’objet d’une raillerie. « Des messages ont été divulgués, manifestement une sélection, qui correspondaient au cadre de l’un des principaux acteurs de l’affaire de fraude, qui a dû quitter l’entreprise entre-temps, et qui fait toujours l’objet d’une enquête criminelle. Je m’étonne de la facilité avec laquelle certaines de ces choses sont prises pour argent comptant dans les médias ».
  • Dans le camp socialiste, on n’apprécie pas du tout l’attaque de De Sutter contre le PS. « Aujourd’hui, vous avez Georges Gilkinet (Ecolo) qui fait la une de l’actualité. Et De Sutter n’a pas fait d’erreur, n’a rien fait de mal ? Qu’en est-il de sa responsabilité ? C’est petit bras, je pensais que les Verts étaient opposés à l’idée de renvoyer la patate chaude, mais apparemment ce n’est pas le cas… », déclare l’un d’entre eux.

En débat : Le sentiment demeure que l’affaire n’est pas terminée.

  • « Nous avons déjà vu suffisamment de faux audits, on donne à un ami ou à un membre de la famille politique et on résout le problème de cette manière. Je veux un audit de la Chambre sur ce que le cabinet a fait en termes d’actions et de communications avec Bpost. Nous n’avons pas le droit de jouer les seconds rôles, le Parlement ne peut pas être laissé pour compte », a déclaré Freilich, député N-VA.
  • « Vous n’avez pas déchargé le conseil d’administration, je vais faire la même chose avec vous : je ne vous donne pas décharge aujourd’hui, j’attends des réponses concluantes », a également répété le chef de file de la N-VA. Il est plus que probable que Freilich sortira l’artillerie lourde lors de l’audition de Hanard, mais il n’a pas demandé la démission de la ministre De Sutter.
  • Le PTB n’a pas non plus été indulgent, avec Maria Vindevoghel : « Vous dites vous-même que vous avez réglé le problème en mettant les employés sur le payroll de votre cabinet, mais seulement après trois ans. »
  • Pour Vooruit, Joris Vandenbroucke a également exprimé les critiques de la majorité : « Pendant des années, le contribuable a payé des dizaines de millions d’euros en trop pour des services, aidé par des consultants qui se sont emparés d’une grande partie de l’argent public. Le tout au moins facilité par la pratique courante des détachements. » L’Open Vld s’est aussi montré critique, Marianne Verhaert demandant qu’un « gestionnaire de crise soit nommé dès à présent chez Bpost ».
  • Du côté du PS et des Verts, certains tentent l’apaisement : « Nous sommes dans une mauvaise passe, les vautours tournent autour de la proie et préparent leur attaque. Dans cette situation, nous devons tirer d’en haut et non d’en bas. Il faut s’en sortir et avancer, pas jeter la pierre », a philosophé Jean-Marc Delizée, député PS.
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