Mahdi opère un tournant sur l’avortement mais trace immédiatement une nouvelle ligne rouge : « 14 semaines ou rien »

Le cd&v prend officiellement position sur l’avortement. Aujourd’hui, le rapport d’experts sur le sujet est présenté à la Chambre des représentants : il est unanime et veut prolonger l’avortement jusqu’à 18 semaines ainsi que réduire fortement le délai de réflexion. Sous Joachim Coens (cd&v), les chrétiens-démocrates flamands refusaient même de discuter de l’extension de l’avortement légal au-delà de 12 semaines. Mais hier, par l’intermédiaire de la députée Els Van Hoof (cd&v), porte-parole pour les questions éthiques, le parti a soudainement ouvert la porte. Van Hoof a annoncé que son parti était « disposé à porter la limite à 14 semaines », à condition qu’il y ait une contrepartie, comme la gratuité du stérilet. Mais sans attendre, le président du cd&v, Sammy Mahdi, est venu tracer une nouvelle « ligne rouge » : « Nous avons toujours dit quil n’était pas question d’organiser un marchandage de tapis sur l’avortement. Nous ne négocierons donc pas au-delà de 14 semaines », a-t-il déclaré froidement dans Het Laatste Nieuws. Groen et Vooruit ne sont pas impressionnés. « En réponse à un rapport d’experts très réfléchi, ils répondent au doigt mouillé : nous voulons une politique basée sur la science, et non sur des sentiments instinctifs », a déclaré Nadia Naji (Groen). À son tour, l’Open Vld appuie sur l’accélérateur et veut faire le lien avec un autre dossier éthique : l’euthanasie pour les personnes atteintes de démence.

Dans l’actu : Aujourd’hui, une grande discussion autour du rapport d’experts sur l’avortement, au sein de la commission de la justice de la Chambre des représentants.

Les détails : le tournant du cd&v était attendu depuis longtemps. Les démocrates-chrétiens l’assument désormais ouvertement, mais ils ont immédiatement placé leurs partenaires dans un jeu de surenchère.

  • « Alors, formez un gouvernement sans nous ». C’est Sammy Mahdi en personne, envoyé par Joachim Coens (cd&v), alors président du parti, qui était venu poser un ultimatum dans les studios de la VRT, dans les derniers jours cruciaux qui ont précédé la formation de la Vivaldi. Si les six autres partenaires de la coalition étaient parvenus à forcer un accord sur l’avortement, le cd&v n’aurait pas fait partie du gouvernement, a encore précisé Mahdi à la fin de l’été 2020.
  • L’avortement, ou l’interruption volontaire de grossesse, est immédiatement devenu un trophée pour les chrétiens-démocrates, qui se sont tenus côte à côte avec la N-VA et le Vlaams Belang tout au long de l’année 2020 à la Chambre. Ces trois partis flamands n’étaient pas favorables à un projet de loi des socialistes, des libéraux et des Verts, soutenus par le PTB et DéFI, qui visait à augmenter la limite légale pour demander un avortement à 18 semaines et à raccourcir le délai de réflexion de six jours actuellement à deux jours. Lors d’une réunion cruciale, Coens avait même lié cet « avortement » à la question du nucléaire, que Jean-Marc Nollet (Ecolo) avait mis sur la table : pas d’accord sur la sortie du nucléaire si la prolongation du délai de l’avortement est actée.
  • Et Coens a gagné la bataille : il y a finalement eu un passage dans l’accord de coalition, qui stipulait que les partis au pouvoir devaient tous s’entendre sur les questions éthiques, sinon rien ne se passerait. Mais en échange, le cd&v a accordé qu’un comité d’experts se penche sur la question.
  • Ce rapport était prêt à la mi-mars. Et il était très clair : les experts ont unanimement indiqué qu’il était souhaitable de prolonger le délai de 12 à 18 semaines. Mais le cd&v a tenu bon : « Notre position n’a toujours pas changé depuis la présidence de Joachim Coens », expliquait aux médias Jan Vanderhoeven, porte-parole du parti.
  • De plus, lorsque nous évoquions à l’époque la possibilité pour le parti de s’écarter de la ligne dure de Joachim Coens, le président Mahdi a démenti dans toutes les langues à ses collègues de la rue de la Loi : « pas question. »
  • Hier soir, c’est donc à la surprise générale des partis de la Vivaldi que le cd&v a ouvert la porte sur la question. Après un bureau de parti chez les démocrates-chrétiens, Els Van Hoof, en tant que porte-parole sur les dossiers éthiques, a été envoyée sur l’avant-scène pour opérer officiellement le tournant.

Que dit le rapport présenté aujourd’hui ? « Une contribution exceptionnelle du monde universitaire à une question sociale très sensible ».

  • Un « comité interuniversitaire, pluridisciplinaire et indépendant chargé d’étudier et d’évaluer la pratique et la législation en matière d’interruption volontaire de grossesse », tel est le nom complet du comité d’experts qui travaille depuis plus de deux ans à l’élaboration de recommandations sur l’avortement.
  • Pour commencer, le comité n’est pas un groupe d’idéologues : il n’aime pas l’idée d’inscrire l’avortement dans la Constitution, comme le souhaitent Groen et d’autres.
  • Mais sur les délais, ils sont très clairs, dans un avis unanime : « Au moins 18 semaines », disent-ils. Il y a deux raisons principales à cela : d’une part, ils estiment que jusqu’à 880 femmes par an émigrent aux Pays-Bas pour se faire avorter après 12 semaines. D’autre part, il y a aussi une raison morale, qui tient compte des stades de développement du fœtus.
  • Ils demandent également que si le délai pour avorter était prolongé jusqu’à 18 semaines, de nouvelles installations soient prévues dans les hôpitaux belges, avec des possibilités d’anesthésie, d’hébergement pour la nuit et d’équipement plus important. Ainsi qu’une équipe pluridisciplinaire d’accompagnement, avec un soutien à la fois psychosocial et médical.
  • En outre, la commission s’est montrée particulièrement claire en ce qui concerne le délai de réflexion obligatoire. Aujourd’hui, les femmes doivent légalement attendre six jours, mais la commission parle d’un délai « humiliant » car, selon son rapport, cela laisserait entendre que les femmes ne seraient pas en mesure de décider par elles-mêmes. La commission souhaite aussi supprimer les informations obligatoires sur la possibilité d’adoption ou de prise en charge.

Le marchandage politique : le cd&v fait une ouverture, semble-t-il. Mais place immédiatement « une ligne rouge ».

  • « Nous avons toujours dit qu’en matière d’avortement, on ne peut pas organiser un marchandage de tapis. 14 semaines, c’est une proposition ferme et j’espère que les autres partis respecteront cela », a déclaré hier Sammy Mahdi à Het Laatste Nieuws : il s’agit donc immédiatement du signal que c’est « à prendre ou à laisser. »
  • Pour ce faire, le cd&v s’est penché sur le rapport des experts, dans lequel les chrétiens-démocrates ont trouvé une « lecture prudente » qui parlait de 14 semaines. « L’interprétation de ce rapport est assez étrange », déclare-t-on au sein de la Vivaldi à propos de l’explication du cd&v.
  • Van Hoof parle de 14 semaines, argüant que « jusqu’à cette date, le fœtus sera encore enlevé par curetage par aspiration, après quoi c’est l’accouchement ou le fœtus est réellement coupé en morceaux ». Sur Terzake, la députée a même parlé de « violence gynécologique ».
  • De plus, il est assorti d’une liste de conditions : entre autres, la gratuité du stérilet.
  • Groen a été le premier à rejeter l’offre d’ouverture. La réponse ferme de Nadia Naji, sur Twitter et un peu plus tard dans un communiqué de presse, ne laisse guère de doute : « Lorsque les femmes prennent des décisions qui changent leur vie, elles devraient pouvoir s’appuyer sur des faits scientifiques pour le faire. Elles ne devraient pas avoir à se fier à l’intuition d’un parti qui pense qu’une opinion l’emporte sur l’avis d’un expert. Quatorze semaines, ce n’est pas assez ».
  • Mais les socialistes ont également été immédiatement agacés, notamment par l’attitude « à prendre ou à laisser » du cd&v. Dans les studios de Terzake, Van Hoof a eu beaucoup de mal à se justifier face à la jeune députée du parti Vooruit, Melissa Depraetere.
    • « Nous sommes surpris : le cd&v a lui-même demandé le rapport, vous avez vous-même demandé une base scientifique approfondie. Et les experts arrivent maintenant à une conclusion très claire : ce n’est pas 14 semaines, ils disent très clairement 18 semaines. Vous n’en tenez pas compte. »
    • « Il s’agit d’un travail au doigt mouillé : ‘Qui offre plus, qui offre moins, combien de semaines cela va-t-il prendre ?’, ce n’est pas ainsi que l’on doit traiter un avis scientifique.
    • « Aux femmes très souvent socialement vulnérables, vous leur dites désormais : ‘Tirez votre plan’. »
  • Van Hoof a rétorqué assez maladroitement qu’il « ne s’agit que de recommandations, que ce sont des experts ». Et d’ajouter : « Nous ne sommes pas un parlement d’experts, sinon ce sont des scientifiques qui devraient diriger le Parlement ». La membre du cd&v a donné l’exemple de la France, où le délai est également de 14 semaines. Et que 57 % des femmes seraient aussi aidées à cette échéance, en Belgique.
  • Pour Van Hoof, ce timide virage est de toute façon humiliant : elle et Coens étaient le visage de la résistance du cd&v. En 2020, elle a écrit un article d’opinion enflammé contre la prolongation du délai de 12 semaines, où elle se plaignait qu’on n’avait pas entendu le corps médical sur la question. Voilà qui est fait.

L’essentiel : La Vivaldi veut certainement éviter une crise sur la question de l’avortement. Surtout du côté flamand.

  • Ce matin encore, le président du Vooruit, Conner Rousseau, a déclaré « qu’il n’y a pas lieu pour lui de provoquer une crise gouvernementale », ce qui ne veut pas dire qu’il serait d’accord pour une grossesse à 14 semaines. Il semble plutôt qu’il n’y aura pas d’accord pour le moment.
  • En effet, entretemps, l’Open Vld ne rend pas l’affaire plus simple : son Egbert Lachaert, tient à associer une autre « avancée éthique » au dossier de l’avortement, à savoir l’euthanasie pour les personnes souffrant de démence. « Beaucoup plus de gens restent silencieux à ce sujet, et c’est une question qui n’est pas encore bien réglementée », a-t-on entendu au siège libéral. La question est de savoir si le cd&v est prêt pour cela : bien que ce dossier soit peut-être moins sensible que le mot fatidique « avortement ».
  • De plus, il y a toujours le flanc francophone de la Vivaldi. Là, tant le PS que le MR et Ecolo sont en faveur d’un régime d’avortement plus souple depuis bien plus longtemps. Et l’opposition du PTB, de DéFI et même des Engagés (les anciens démocrates-chrétiens), souffle sur le cou des trois partis de gouvernement : tous sont en faveur d’une prolongation des délais.
  • Le rapport d’experts y est perçu comme une excellente nouvelle. « C’est une nouvelle méthode de travail, qui a permis de dépassionner et dépolitiser le débat, qui fut âpre, entre progressistes et conservateurs. Cette fois, nous sommes au-delà, il y a une caution scientifique, académique, qui doit nous permettre d’avancer ensemble en faveur des droits des femmes, sous cette législature », a précisé le député Patrick Prévot (PS) dans Le Soir.
  • Du côté des Engagés, la députée Catherine Fonck est venue témoigner du changement d’approche des Engagés : « Oui, il faut lever les sanctions qui peuvent encore frapper les femmes, tout en continuant à responsabiliser les médecins, bien entendu. » Mais elle précise dans la foulée qu’il faut éviter à tout prix les IVG et « agir sur la prévention et donc la promotion de la contraception (pilule du lendemain) ».
  • Du côté francophone, l’empressement à se passer du cd&v et à lui faire sentir qu’il est mathématiquement inutile est donc très fort. Du côté flamand, on ne voit pas vraiment cela d’un bon œil : « Si nous leur faisons ce coup-là, la N-VA et le Vlaams Belang en finiront avec le cd&v », affirme un protagoniste de la Vivaldi.
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