L’armée ukrainienne a les moyens de tirer des drones explosifs sur Moscou, et elle sait le rappeler implicitement au Kremlin. Mais est-ce une raison d’exécuter la menace ? Elle est plus maligne que ça.
Après de nouvelles frappes meurtrières sur ses villes, l’Ukraine pourrait-elle riposter sur Moscou ?
Pourquoi est-ce important ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l'enjeu qui revient le plus souvent sur la table est le risque de l'escalade vis-à-vis de Moscou. Mais dans les faits, c'est le Kremlin qui opte pour la surenchère dans les atrocités. Est-ce pour autant une raison de le suivre sur une pente aussi inhumaine ?Dans l’actualité : de nouvelles frappes russes sur Dnipro ont fait au moins 30 morts ce samedi, un missile de croisière antinavire Kh-22 ayant détruit un immeuble d’habitation.
- Selon les Nations-Unies, plus de 7.000 civils ont été tués en Ukraine depuis l’invasion de février dernier, et il s’agit vraisemblablement d’un nombre très sous-estimé. De nombreux rapports ne sont pas encore corroborés, et les combats rendent certaines zones inaccessibles.
- « La plupart des victimes civiles enregistrées ont été causées par l’utilisation d’armes explosives ayant des effets sur une vaste zone, notamment des tirs d’artillerie lourde, des systèmes de roquettes à lancement multiple, des missiles et des frappes aériennes » détaillait ce lundi le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
L’enjeu : l’Ukraine pourrait-elle décider de riposter en frappant des villes russes à son tour ?
- L’armée ukrainienne a les moyens de frapper en profondeur dans le territoire russe. Elle l’a démontré plusieurs fois, avec des drones militarisés ou des missiles ciblant des dépôts d’armes ou de carburant, ainsi que des aérodromes militaires. Deux bombardiers Tupolev Tu-95 ont ainsi été détruits sur leur base, située, et ce n’est pas un détail, à une distance depuis l’Ukraine similaire à Moscou.
- Kiev a donc les moyens techniques de frapper une ville russe à l’aveugle, comme l’armée de Poutine le fait régulièrement en Ukraine, ciblant les civils à des fins de terreur.
- Les Ukrainiens disposent encore vraisemblablement de drones Tupolev Tu-141 Strij soviétiques, des engins de reconnaissance des années 1970 qui peuvent être convertis en missiles guidés. Leur portée est de l’ordre du millier de kilomètres ; il n’y en a qu’un peu plus de 800 entre Kiev et Moscou.
La frontière du crime de guerre
Le véritable enjeu de cette question est surtout d’estimer si les Ukrainiens seraient prêts à leur tour à se livrer délibérément à un crime de guerre contre des populations civiles. Car c’est ce qu’est un bombardement à l’aveugle sur un centre urbain, indépendamment de la charge explosive employée ou du résultat.
- Frapper Moscou – même symboliquement – durant un grand défilé militaire du régime aurait un impact fort, que le Kremlin ne pourrait cacher.
- Mais celui-ci pourrait être contre-productif, avec une opinion russe qui se braquerait peut-être durablement contre cette Ukraine et cet Occident qui se posent en menace pour la Russie, et que le Kremlin aurait beau jeu de comparer aux nazis de 1941. En d’autres termes, si le régime tient le premier choc, il pourrait en ressortir renforcé.
- Mais les Ukrainiens semblent avoir adopté une approche plus intéressante : ils rappellent régulièrement, mais implicitement aux militaires russes que cette frappe est de l’ordre du possible. On peut ainsi noter la carte apparaissant dans le bureau de Kyrylo Boudanov, le directeur du renseignement militaire ukrainien : c’est celle de Moscou. Et on ne peut imaginer qu’un maître du renseignement n’ait pas laissé passer ce détail à dessein. C’est un rappel tant pour Moscou que pour les Occidentaux : cette menace existe. Et dans un monde où plus une menace est répétée, mais jamais mise à exécution moins elle a d’impact – comme Poutine avec son chantage nucléaire – ne rien dire, mais laisser deviner est un coup de génie.
Faire regarder les Russes dans la mauvaise direction
- Kiev ne frappera vraisemblablement pas Moscou à des fins de représailles. Mais tout le sel tient dans ce « vraisemblablement » : il semblerait que, dans le doute, les Russes aient déployé des systèmes antiaériens S-400 autour de leur capitale. Des systèmes intercepteurs, sans doute les plus efficaces de l’arsenal russe, qui vont donc manquer ailleurs, en Ukraine, ou ailleurs en Russie, là où il y a des usines d’armement, des entrepôts de carburant, ou des lignes de ravitaillement. Des cibles moins symboliques, mais ô combien plus importantes pour affaiblir l’armée russe en tapant sur sa logistique.