Le conflit au sein de la Vivaldi autour du budget, et plus particulièrement de la réduction de la TVA sur l’énergie, ne s’arrête pas. Dans l’hémicycle, le Premier ministre a tenté de faire face aux critiques de l’opposition. Ce faisant, il a entièrement rejeté la faute sur sa collègue de parti, Eva De Bleeker (Open Vld), qui, en tant que secrétaire d’État au Budget, « aurait commis une erreur matérielle. » Mais Alexander De Croo (Open VLD) a aggravé la situation : il a répété à plusieurs reprises que les notifications des négociations budgétaires (le rapport qui reprend mot pour mot ce que les partis au pouvoir ont décidé) indiquaient également que la baisse de la TVA serait « neutre pour le budget ». « Il a menti, ce n’est pas ça qui est écrit dans les notifications », ont fait écho les socialistes, qui étaient dans tous leurs états face aux déclarations du Premier ministre. Devant les caméras, Vooruit et Groen sont restés polis, corrigeant gentiment le Premier ministre, sur Villa Politica et via Twitter. En coulisses, ils ont été cinglants : « Il aurait dû profiter de ce moment pour clarifier les choses, mais il a fait le contraire. » L’opposition a le sourire.
Dans l’actualité : le Premier ministre qui s’attire de nouveaux ennuis.
Les détails : Cette réduction de la TVA sur l’énergie est-elle neutre sur le plan budgétaire ou non ?
- « Il est dit très clairement dans les documents budgétaires que la réforme doit être neutre sur le plan comptable. C’est la décision. Je le répète : la réforme doit être budgétairement neutre. » À cinq reprises au total, le Premier ministre a répété explicitement ce message : il voulait que ce soit dit très clairement. « La neutralité budgétaire figure dans les notifications budgétaires. (…) Ce n’est pas là par hasard. Elle y figure parce qu’une réforme des accises est prévue pour compenser la TVA de 6 % sur l’énergie ».
- Par cette déclaration, le Premier ministre a tenté de démentir le fait que la mesure visant à réduire la TVA sur le gaz et l’électricité de 21 à 6 % coûtera effectivement 1,3 milliard d’euros supplémentaires à l’État belge l’année prochaine.
- Ce montant a fait l’objet d’un énorme remue-ménage cette semaine : la secrétaire d’État Eva De Bleeker (Open VLD) l’avait inscrit dans le budget, par souci de prudence, ce qui a immédiatement couronné la Belgique en tant « que le pays le plus déficitaire de toute l’UE », avec un trou de 6,1 % en 2023. Le Premier ministre a réagi avec colère : De Bleeker a dû faire marche arrière, cela ne correspondait pas au budget annoncé lors de l’état de l’Union, lors du discours de rentrée d’Alexander De Croo devant le Parlement.
- Une « erreur matérielle donc », a rejeté De Croo hier, à la Chambre, où l’ensemble de l’opposition réunie avait bien sûr beaucoup de questions. La majorité est d’abord restée silencieuse, agacée : c’était « un problème que l’Open Vld avait créé lui-même, à lui de le résoudre », entendait-on dans les couloirs.
- Et l’Open Vld a également résolu le problème de manière ‘interne’ : De Bleeker n’était pas autorisé à répondre pendant l’heure des questions, c’est De Croo qui s’en chargeait seul. Elle est restée stoïque, mais le tableau était triste à voir : elle a elle-même assisté aux funérailles de sa propre crédibilité politique.
- Cela n’a pas semblé déranger le Premier ministre, qui a continué à affirmer qu’il n’y aurait pas d’impact sur le budget, et qui a répliqué avec aplomb à l’opposition. Cette dernière ne l’a pas raté, réagissant bruyamment et éclatant de rire lorsqu’il a déclaré « qu’une erreur matérielle avait été commise ».
La vue d’ensemble : Toute cette affaire entraîne une forte tension avec les socialistes. Y a-t-il eu des « mensonges » au Parlement ?
- Le Premier ministre a construit toute sa défense autour du fait que la baisse de la TVA n’est donc pour l’instant que « temporaire » dans le budget. C’est désormais le cas au moins jusqu’en mars 2023 : la mesure est prolongée jusque-là, sans aucune recette compensatoire. Et une fois qu’elle sera devenue permanente, la baisse de la TVA sur l’énergie sera alors compensée par les droits d’accises et sera « budgétairement neutre ». Ce qui n’aurait ainsi aucune incidence sur le budget supplémentaire à partir de 2023.
- Les socialistes et les verts ont été agacés par le fait que le Premier ministre ait fait ces déclarations en mentionnant les notifications : « Il a dit à plusieurs reprises que cela ferait partie des notifications budgétaires. Ce n’est tout simplement pas correct », a lancé un chef de groupe de la majorité.
- Les socialistes ont immédiatement divulgué ce qu’elles contenaient :
- La réduction permanente de la TVA est liée à la réforme des droits d’accises.
- Lorsque les prix seront revenus aux niveaux de 2021, nous introduirons (par étapes) les nouveaux droits d’accises.
- Notant subtilement que la CREG, l’organisme de surveillance de l’énergie, a déjà prédit qu’il faudra attendre 2026, soit quatre ans, pour retrouver les niveaux de 2021.
- À la Chambre, la majorité est restée polie, question de ne pas trop attaquer le Premier ministre de front. Mais devant les caméras de Villa Politica (VRT), Joris Vandenbroucke (Vooruit) a reconnu « qu’il n’est pas tout à fait vrai qu’il s’agit d’un budget neutre : nous ne savons pas quand cette situation se présentera, c’est-à-dire à partir du moment où les prix baisseront de façon permanente, en dessous du niveau de 2021. Et d’ici là, le prix de la TVA sur l’énergie restera simplement à 6 %, et il n’y aura pas de droits d’accises supplémentaires. »
- Ça ne pouvait pas être plus clair. Et Groen n’était pas en reste : le chef de groupe Wouter De Vriendt (Groen) a mis les points sur les i : « La réduction permanente de la TVA est une demande verte importante et viendra, comme décidé. Les notifications sont claires. Tant que les prix de l’énergie seront plus élevés qu’en 2021, il n’y aura pas de compensation par les accises. »
- En coulisses, la colère des socialistes est bien plus grande : « D’abord, il n’explique pas correctement son budget, et maintenant, il commence à mentir sur les accords ? Des hausses de droits d’accises dès l’année prochaine pour le budget 2023 ? Ce n’est pas du tout l’accord qui a été passé. L’accord est le suivant : normaliser quelque peu les prix. Les mesures devraient simplement aider les gens à maintenir leur pouvoir d’achat. » En clair, la gauche de la Vivaldi ne veut pas reprendre d’une main, ce qu’elle a donné de l’autre aux citoyens.
- Une autre source importante au sein de la Vivaldi : « Il aurait dû profiter de ce moment pour clarifier les choses, et a fait le contraire. »
L’essentiel : en 2023, De Bleeker pourrait bien avoir raison : une catastrophe supplémentaire arrive pour De Croo.
- Le fait que l’ensemble de l’opération n’aura donc aucun impact sur le budget en 2023 est ouvertement remis en question par les socialistes : « Il serait également assez stupide de réduire la TVA et de se retrouver avec quelque chose de ‘budgétairement neutre’ à de tels prix », entend-on.
- Et donc, une fois de plus, la discussion budgétaire devient très politique, il y a beaucoup plus qu’une « erreur matérielle » technique : l’année prochaine, si la réduction de la TVA doit rester réduite au-delà de mars 2023 pour les Verts et les socialistes, le gouvernement devra décider comment l’interpréter alors en termes de budget.
- En fait, De Bleeker, en intégrant la baisse de la TVA dans les dépenses, a « cédé » à l’aile gauche de la Vivaldi, sans le vouloir. Cela lui est férocement reproché dans ses propres rangs. Elle aura peut-être raison plus tard, en 2023, mais elle a inutilement mis son propre parti et par extension la droite de la Vivaldi dans la difficulté. Non pas comme un acte de « transparence », comme l’opposition l’a interprété, mais plutôt parce qu’elle n’a pas assez lu et compris le jeu politique, entend-on au sein de la majorité.
- Quoi qu’il en soit, tout cet épisode, qui a vu apparaitre puis disparaitre plusieurs milliards de déficits, sans oublier la question qui reste latente pour l’après mars 2023, ne rend pas du tout service à la Vivaldi : la crédibilité sur les chiffres est définitivement brisée. Et le Premier ministre et le secrétaire d’État en sortent tous deux affaiblis. La première pourra sauver la face, si les contrôles budgétaires de 2023 révèlent plus tard que le coût de cette réduction de la TVA doit être finalement pris en compte.
À Noter : Pour l’opposition, c’était un grand jour.
- Sander Loones (N-VA), qui a allumé la mèche, a pu triompher: « Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous jeter quelqu’un qui dit la vérité sous un bus de cette manière ?
- « Je trouve cela extraordinaire », a-t-il clamé, défendant cyniquement De Bleeker. Lui aussi avait remarqué l’irritation sur les bancs rouges, pendant la réponse du Premier ministre : « Les socialistes disent que tout le monde sera mieux loti. Même si les mesures fonctionnent, elles ne rapporteront jamais plus de fonds. Ceci n’est pas une erreur matérielle. Oublier mes clés de voiture, c’est une erreur matérielle. »
- « Donc, au final, ce sera la même chose pour les gens. Nous voulons une véritable réduction à 6 %, pas une réduction qui sera contrée par les droits d’accises. Si vous voulez de l’argent, allez le chercher auprès des millionnaires et des multinationales, pas auprès du peuple », a fait valoir Marco Van Hees (PTB).
- « Nous avons appris aujourd’hui que nous sommes la risée de l’Europe, dans tous les domaines. Nous ne sommes pas en mesure de soumettre un budget correctement. Nous sommes même le champion d’Europe du déficit budgétaire, avec 33 ou 35 milliards. Alors que tous ces pays connaissent aussi la crise énergétique et la guerre », a fustigé Jean-Marie Dedecker (Indépendant avec N-VA).