Paul Magnette (PS) obtient-il ce qu’il veut ? Depuis des semaines, il plaide haut et fort en faveur d’une approche « ferme » à l’égard d’Engie, à savoir l’obliger, via les lois sur la sécurité de l’approvisionnement, à maintenir les centrales nucléaires ouvertes et à commencer à produire à un prix fixe. Ce dernier point semble plutôt utopique, mais la Vivaldi avance beaucoup dans la direction du président du PS. Car on entend désormais dans les plus hautes sphères du gouvernement qu’il existe bel et bien un « plan B » en cas d’échec des négociations avec Engie. « L’option préférée est un accord négocié », indique une source gouvernementale. Ajoutant un message très clair, également avalisé par les Verts : « La question n’est pas de savoir si les deux réacteurs nucléaires resteront ouverts, mais comment ». En d’autres termes : la Vivaldi devra peut-être jouer dur et contraindre légalement le géant français à maintenir Doel 4 et Tihange 3 en activité. Entre-temps, cependant, une nouvelle date limite a été fixée pour trouver un accord, à savoir le début de l’année prochaine.
Dans l’actualité : la Vivaldi termine un « kern nucléaire » et décide de hausser le ton face à Paris.
Le détail : La date limite est repoussée d’un cran, « plus de clarté au début de l’année prochaine », selon le Premier ministre.
- Pendant quatre jours, le vice-premier ministre David Clarinval (MR) était en Indonésie : en tant que ministre de l’Agriculture (pour la petite partie qui relève encore de la compétence fédérale), il s’y est rendu pour promouvoir « la coopération sur les questions sanitaires et phytosanitaires », selon son communiqué de presse. Quatre jours bien nécessaires, si l’on en croit le ministre : le marché des frites surgelées belges s’ouvre désormais là-bas, et une coopération sur un programme d’élevage indonésien de la race bovine Blanc bleu belge a été établie, lit-on dans son communiqué de presse triomphant.
- En l’absence de Clarinval, la Vivaldi n’a pu se réunir qu’hier soir sur un dossier crucial : le nucléaire. Le Premier ministre De Croo avait prévu un « kern nucléaire » spécialement dédié à la question, un moment pour faire le point sur les très longues négociations avec Engie, sur Doel 4 et Tihange 3.
- Au printemps, la Vivaldi a décidé de donner un souffle supplémentaire à ses deux derniers réacteurs. Pour dix années seulement, si cela dépendait entièrement des Verts, qui ont déjà dû avaler pas mal de couleuvres dans ce dossier. Mais le cd&v et les libéraux veulent garder les réacteurs ouverts plus longtemps, et plus de deux réacteurs pour bien faire.
- Sur ce point, le langage musclé des présidents de parti continue de pleuvoir. Ils « ont à nouveau fait de nombreuses déclarations dans les médias ces derniers jours », a déclaré De Croo dans l’hémicycle, visiblement ennuyé. « Il y a la réalité des présidents, et puis il y a la réalité politique au sein du gouvernement », entend-on sur les bancs gouvernementaux, à propos des « belles-mères » de la Vivaldi.
- Le Premier ministre se concentre donc principalement sur le consensus au sein de son équipe concernant les deux derniers réacteurs : son kern d’hier ne portait que sur cela. Lui et la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Verts), ont présenté un rapport assez détaillé aux vice-premiers ministres sur l’état d’avancement des négociations. Et il n’en ressort pas une histoire particulièrement optimiste : Engie joue particulièrement dur, ce qui signifie qu’ils ne sont en fait « encore nulle part », selon une source gouvernementale.
La réalité brutale : Engie veut le beurre et l’argent du beurre, à propos des déchets nucléaires.
- Le temps joue en faveur des Français dans toutes les discussions : ils traînent les pieds parce qu’ils savent que la Belgique a besoin, sans gaz russe, de clarifier rapidement son approvisionnement pour les hivers à venir. Au début, la Vivaldi voulait conclure un accord avant l’été, mais cela s’est terminé par une « note d’intention » plutôt vague en juin. Puis, la négociation a de nouveau manqué l’échéance d’un accord intermédiaire en septembre.
- En fin de compte, Engie a obtenu ce que les Verts voulaient éviter comme « ligne rouge » : la Vivaldi est prête à entrer dans l’actionnariat de Doel 4 et Tihange 3. C’était initialement un tabou absolu pour les écologistes. Car la véritable motivation des Français est d’éviter de pays plein pot pour le potentiel boulet financier que représentent les déchets. Être coactionnaire, c’est en être coresponsable. C’est ce que pensent les Parisiens. Engie ne veut pas traîner éternellement dans son bilan ces déchets radioactifs issus de la démolition des sept centrales et de leur élimination : Engie préfère négocier dès maintenant un montant forfaitaire définitif avec le gouvernement belge.
- La lettre d’intention de juin mentionne bien une telle somme finale, mais pas le montant. Et c’est précisément sur ce point qu’Engie demande des éclaircissements.
- Mais la Vivaldi n’a pas l’intention de céder au chantage d’Engie, ont confirmé hier les sept partis au pouvoir. « La question n’est pas de savoir si les réacteurs seront prolongés, mais comment » : tout le monde semble désormais déterminé, y compris chez les Verts. « Doel 4 et Tihange 3 resteront ouverts. »
- Ce faisant, sans surprise, Pierre-Yves Dermagne, le vice-premier ministre PS, a insisté « pour qu’Engie ne se contente pas de dicter ses conditions », selon un initié. Depuis des semaines, son patron, Paul Magnette, colporte la thèse selon laquelle Engie pourrait être traité beaucoup plus sévèrement en invoquant la loi sur la sécurité de l’approvisionnement.
- Dans le gouvernement Leterme, Magnette a résolu une négociation similaire avec Engie, alors que la situation était également bloquée pendant des mois. Le puissant département d’étude du PS a examiné la question légalement pour le récent dossier Doel 4 et Tihange 3, et est convaincu que la Vivaldi a de solides arguments à faire valoir. Cela a tellement frustré Magnette que ce dernier a finalement commencé à défendre ouvertement cette position dans la presse, mais ce faisant, il a mis les négociateurs De Croo et Van der Straeten dans une situation un peu délicate : pourquoi le duo n’avait-il pas envisagé cette solution plus ferme ?
- Le PS semble maintenant avoir discrètement fait passer cette ligne dure, bien qu’il s’agisse d’un « plan B » ou d’une option de repli, puisque le « scénario préféré » reste la solution négociée. « Nous avons dit que nous allions y réfléchir, mais rien n’a encore été décidé », a néanmoins aussi été entendu de manière un peu plus nuancée de la part d’un vice-premier ministre, à propos de l’enthousiasme des rouges dans leur « victoire » contre Engie.
- Quoi qu’il en soit : dans l’hémicycle, De Croo a immédiatement repoussé le délai un peu plus loin, au « début de l’année prochaine« . Il reste à voir si, d’ici là, on parlera toujours de deux réacteurs pour dix ans ou plus.