Depuis le début de la crise énergétique, les États ont accordé presque toute leur attention aux ménages avec des réductions de TVA et des chèques-énergies. Les industries subissent de plein fouet la flambée des prix, presque silencieusement. Une bombe à retardement selon Javier Blas, éditorialiste au Financial Times et Bloomberg.
Pour Javier Blas, qui s’épanche dans les colonnes de Bloomberg, « le secteur manufacturier européen croule sous le poids des prix élevés de l’électricité et du gaz naturel ». Alors que ce secteur s’attendait à une crise de plusieurs mois, il planche désormais pour une crise énergétique de plusieurs années, avec des prix qui resteront hauts longtemps.
La flambée des prix est déjà une réalité alors que le rationnement n’a même pas encore commencé. La semaine dernière, l’Allemagne a en effet déclenché son niveau d’alerte 2 sur une échelle de 3. « L’état d’urgence » (niveau 3) signifie que le gouvernement peut commencer à prendre des mesures de rationnement. Ce dernier a déjà indiqué que la priorité pour le gaz serait accordée aux ménages et pas aux industries, ce qui suscite les plus grandes inquiétudes en Allemagne. Beaucoup pensent qu’il ne s’agit désormais plus que d’une question de temps.
Pourtant, on n’en est pas encore là, « mais l’impact des prix sur l’activité industrielle se fait déjà sentir », souligne Blas. « Les gouvernements doivent décider dès maintenant quelles entreprises bénéficieront d’un soutien financier et lesquelles ne le recevront pas. »
« Les dirigeants européens devraient se réunir lors d’un sommet d’urgence consacré à la crise énergétique. Le mois prochain ne sera pas trop tôt. L’Europe a besoin d’une campagne à l’échelle du continent pour économiser l’énergie et réduire la demande. Commencez dès maintenant ; n’attendez pas l’hiver. »
Économiser de l’énergie
Réduire « immédiatement » la consommation d’énergie, c’est l’appel lancé ce weekend par TotalEnergies, EDF et Engie, en France. Cet appel s’adresse aux ménages et aux entreprises pour réduire leur consommation de carburant, de pétrole, d’électricité et de gaz, afin d’éviter un risque de pénurie et une nouvelle flambée des prix.
« L’effort doit être immédiat, collectif et massif. Chaque geste compte », indiquent dans une rare tribune commune publiée par le Journal du Dimanche, Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Jean-Bernard Levy (EDF) et Catherine MacGregor (Engie).
Que trois grands producteurs d’énergie de cette taille lancent un tel appel doit certainement être un signal. Un risque de pénurie est une menace sérieuse si la Russie décide de couper davantage ses provisions de gaz, notamment.
« Agir dès cet été nous permettra d’être mieux préparés pour aborder l’hiver prochain et préserver nos réserves de gaz », estiment les trois dirigeants. On sait que la plupart des États européens travaillent activement à porter leurs stocks de gaz à 80% des capacités d’ici l’automne prochain. La moyenne tourne plutôt actuellement autour des 50%.
Vague de faillites
Du reste, Javier Blas s’inquiète que la flambée des prix dure plus longtemps que prévu: « Les contrats à terme pour 2023, 2024 et même 2025, qui servent à bloquer les coûts énergétiques, deviennent de plus en plus chers. »
« Prenez le contrat à terme de deux ans sur l’électricité en Allemagne, qui a récemment atteint près de 200 euros (211 dollars) par mégawattheure. Il s’agit d’un record et d’un niveau nettement supérieur aux sommets atteints en décembre et juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, fin février (…). La situation est similaire en France, où le contrat d’électricité à terme de deux ans a atteint un niveau record d’environ 220 euros. »
Et il en va de même pour le gaz: « Le contrat de l’année civile 2024 pour le gaz TTF, une référence européenne, oscille autour de 65-70 euros par mégawattheure, soit près d’un sommet historique, en hausse par rapport au pic de 60 euros atteint en décembre. »
« La perspective de perdre de l’argent pendant quelques mois, peut-être six mois ou même un an, était une chose ; perdre de l’argent indéfiniment en est une autre », ajoute le spécialiste en énergie.
Pour Javier Blas, c’est désormais une certitude, une vague de faillites touchera les industries les plus énergivores. Il convient maintenant aux dirigeants européens de décider ce qu’on fera pour répondre à cette crise: « L’Europe ne sera pas en mesure de sauver toutes les entreprises grandes consommatrices d’énergie. Elle ne devrait d’ailleurs pas le faire. Ce qu’il faut faire, c’est préserver les chaînes d’approvisionnement qui sont menacées et la production alimentaire avant tout. C’est maintenant qu’il faut réduire la consommation, pas lorsque le gaz sera interrompu. »