La nouvelle stratégie de la Fed pour éviter de justesse la récession : « Welcome back to 1994 »

Cette crise économique n’est pas la première, loin s’en faut, et à chaque fois la Fed avait été contrainte de jouer les équilibristes au bord de la récession. Elle était parvenue à garder son équilibre en 1965, 1984, et 1994, négociant à chaque fois un « soft landing ». C’est fort logiquement son objectif en 2022, et Jerome Powell compte bien s’inspirer du cas de 1994. Mais la situation générale a bien changé.

La Réserve fédérale, la banque centrale américaine, fait tout ce qui est en son pouvoir pour contrebalancer les effets de l’inflation, au risque d’y sacrifier la croissance américaine : au début du mois, son président, Jerome Powell, a annoncé une hausse d’un demi-point de pourcentage des taux d’intérêt, soit la plus importante hausse en plus de deux décennies. Et Powell a également indiqué qu’il n’hésiterait pas à recommencer. Une annonce qui a déclenché un bain de sang à Wall Street. Mais au sein de la Fed, on estime qu’il reste un espoir d’éviter de voir l’économie basculer dans la récession ; à condition de s’inspirer des recettes du passé.

Sept hausses en 1994

Dans les 12 mois qui ont suivi février 1994, la Fed, sous la direction de son ancien président Alan Greenspan, a presque doublé les taux d’intérêt pour les porter à 6 % en seulement sept hausses, dont deux hausses d’un demi-point et une hausse de trois quarts de point, rappelle CNN. Et elle avait réussi à maintenir la barre en dépit des prédictions les plus pessimistes. « Je crois que le dossier historique fournit quelques raisons d’être optimiste : les atterrissages doux, ou du moins relativement doux, ont été relativement fréquents », a déclaré M. Powell dans un discours prononcé en mars.

Mais nous ne sommes plus dans les années 1990, et la Fed va devoir composer avec un contexte fort différent :

Greenspan avait augmenté les taux de manière proactive, alors que l’économie était encore en plein essor et voulait devancer l’inévitable inflation. Powell a, lui, augmenté les taux seulement après que l’inflation ait atteint des niveaux jamais vus depuis des décennies. Il est possible que la Fed soit trop à la traîne pour être en mesure de réduire l’inflation sans infliger des difficultés économiques aux Américains.

En 1994, les baby-boomers étaient au sommet de leur carrière, de nombreuses nouvelles technologies étaient introduites sur le lieu de travail et l’immigration était forte aux États-Unis. Tout cela a conduit à une main-d’œuvre énorme et à des taux de productivité qui ont maintenu le chômage à un niveau bas, même si les taux d’intérêt ont augmenté. En 2022, les boomers prennent massivement leur retraite et la proportion de main-d’œuvre disponible véritablement active est au plus bas.

En 1994, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) venait d’être adopté et le mur de Berlin était tombé cinq ans auparavant. Le monde entrait dans une période de relative stabilité, ce qui a augmenté la disponibilité des importations et réduit le coût des marchandises. Une situation très différente de la nôtre, mise à mal par les conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine, en particulier un cout du fret prohibitif et des chaînes de production à la traîne.

Une chance inouïe et pas prête de se répéter

« En y regardant de plus près, la Fed de Greenspan a bénéficié d’une chance considérable, dont la Fed actuelle ne bénéficiera probablement pas », a écrit Carl Tannenbaum, économiste en chef de Northern Trust, dans une note de recherche. « Cela ne veut pas dire qu’un atterrissage en douceur est impossible cette fois-ci. Mais le degré de difficulté est bien plus élevé qu’il y a 28 ans. »

Un constat qu’on peut nuancer : si atterrissage en urgence fut particulièrement réussi en 1994, la Fed en a d’autres à son actif où elle a su limiter la casse. Très exactement 11 depuis 1965, dont 7 qui se sont résolus avec une baisse de la production économique inférieure à 1 %. Froisser de la tôle mai sauver les passsagers, c’est peut-être ce à quoi on peut s’attendre de mieux.

Plus