Les Verts pansent leurs plaies après l’accord : la confiance envers le Premier ministre demeure, mais entre le MR et les Verts, le lien est définitivement rompu

L’accord de vendredi sur l’énergie résonne encore dans la rue de la Loi. « Une défaite terriblement lourde pour Groen et Ecolo », c’est le sentiment qui ressort au sein de la Vivaldi. La relation entre les Verts et Alexander De Croo (Open Vld) semble toutefois intacte : les « lignes rouges » que les Verts avaient fixées au préalable ont été soigneusement respectées par le Premier ministre. C’est surtout le MR qui suscite l’irritation : durant les discussions, les libéraux francophones ont mis sur la table le maintien de cinq réacteurs ouverts. Le rôle joué par Georges-Louis Bouchez irrite une nouvelle fois la coalition.

Dans l’actualité : « Notre objectif n’a jamais été de fermer l’ensemble du parc nucléaire », a affirmé ce matin Georges Gilkinet, vice-premier ministre d’Ecolo, dans La Libre.

Les détails : « L’humour, encore l’humour, toujours l’humour », Bouchez a réagi très cyniquement à cette déclaration, ce matin sur Twitter. Très révélateur.

  • La Vivaldi n’arrive tout simplement pas à conclure un accord politique majeur et, surtout, à le transmettre de manière sereine et à en sortir gagnante, en équipe, dans son ensemble. Ce fut déjà le cas lors des négociations budgétaires d’octobre, lors du premier accord sur l’énergie de décembre, du deuxième accord sur l’énergie de début mars, et aujourd’hui encore, après la décision du gouvernement de maintenir deux réacteurs nucléaires ouverts pendant dix années supplémentaires.
  • Les échauffourées de ce matin entre le vice-premier ministre d’Ecolo et le président du MR ne sont qu’une confrontation de plus, dans un bras de fer qui a dégénéré en guerre des tranchées depuis des mois : pour une grande partie des Verts, il est devenu impossible de travailler avec Bouchez.
  • Même après la conclusion de l’accord de vendredi, Bouchez n’a cessé de répéter qu’il souhaitait toujours garder plus de deux réacteurs ouverts. Le libéral n’a aucune raison de s’arrêter : il enfonce son adversaire qui est pourtant déjà au sol. Derrière le débat sur le nucléaire, c’est bien sûr une lutte électorale qui se joue.
    • « Dire qu’aujourd’hui: ‘nous ne garderons que deux réacteurs ouverts’ ne serait pas sage. Nous devons garder l’esprit ouvert et rester sérieux dans notre approche », a-t-il expliqué ce dimanche à la VRT.
    • « Je regrette que Tinne Van der Straeten (Verts) n’ait jamais travaillé sur le plan B, mais je suis heureux qu’aujourd’hui elle ait retrouvé la raison et ait finalement choisi ce plan B, que les Verts appelaient le plan Bouchez. »
    • Preuve que le MR ne compte pas lâcher le morceau, l’ancienne ministre de l’Énergie Marie-Christine Marghem a annoncé dans un post sur LinkedIn avoir l’intention de déposer ce lundi « une proposition de loi organisant la prolongation de minimum 4 GW de nucléaire et la création de centrales de nouvelle génération en Belgique ». Soit le double de la capacité prévue dans l’accord de gouvernement.
  • Si à l’intérieur de la Vivaldi, on reconnait volontiers ce moment difficile à passer pour les Verts, personne ne veut vraiment en rajouter : « Écoutez, c’était une discussion difficile, mais c’est le changement de circonstances qui a été le facteur décisif. D’un point de vue idéologique, la donne reste inchangée chez les Verts », dit un dirigeant de l’Open Vld d’un ton apaisant. « C’est une question d’accessibilité financière et de sécurité de l’approvisionnement. Mais il leur a fallu du temps pour s’en rendre compte. Cette dépendance à l’égard d’autres sources ne pouvait être résolue d’aucune autre manière. »

L’essentiel : Groen et Ecolo ont essayé de sauver les meubles autant que possible.

  • Ce que presque tout le monde souligne au sein de la Vivaldi, c’est qu’Ecolo et Groen n’étaient pas tout à fait sur la même longueur d’onde dans les discussions: « Ils ont bien un groupe parlementaire commun mais tout le monde n’est pas sur la même ligne. »
  • Mais à la tête des Verts, on souligne qu’au cours des dernières semaines, un ensemble d’exigences a été mis sur la table, en cas de prolongation du nucléaire. « Nos lignes rouges étaient claires », entend-on dans l’entourage de Petra De Sutter, la vice-Première ministre verte. Quelles étaient ces lignes rouges ?
    • Ne garder que deux réacteurs nucléaires ouverts.
    • Une prolongation de maximum dix ans.
    • Ne pas prendre en charge les coûts de l’élimination des déchets ou du démantèlement.
    • Ne pas modifier totalement la loi de la sortie du nucléaire de 2003. Le principe de la sortie du nucléaire reste inscrit, seulement la date en serait changée.
  • Ces « lignes rouges » étaient également claires pour les partenaires gouvernementaux avant vendredi. « Et en gros, tout le monde y a adhéré, personne ne l’a contesté », entend-on dire du côté de Groen. « Sauf du côté du MR, donc. »
  • Pour les libéraux francophones, David Clarinval (MR) était seul à la table, car la vice-première ministre Sophie Wilmès (MR) était malade ce jour-là. Et il se trouve que Clarinval a un style plus direct : il a donc immédiatement mis en avant l’idée de maintenir cinq réacteurs nucléaires pendant vingt ans, ainsi que l’abandon total de la loi sur la sortie du nucléaire. Il n’y avait pas d’arguments techniquement solides, selon ses collègues présents. Il est apparu assez clairement et rapidement que Clarinval était seul, et n’avait aucune chance.
  • La vraie discussion a donc porté sur l’enveloppe accordée à la « transition énergétique », une compensation que les Verts ont exigée. Ils avaient mis sur la table un chiffre de 8 milliards d’euros. « Une méthode de négociation qui a l’inconvénient de vous faire gagner peu, car vous avez misé extrêmement haut. Mais la réalité est que nous n’avons jamais rapporté autant d’argent pour l’énergie verte », a déclaré De Suttter. Au final, l’enveloppe sera de 1,2 milliard d’investissements supplémentaires.
  • La différence de communication entre Groen et Ecolo est toutefois frappante.
  • De Sutter a été très réaliste et s’est dit « très satisfaite des investissements ». « C’est bien que ce ne soit pas une lutte des Verts contre tous. Le MR a fait cavalier seul : je constate que tout ce qui a été mis sur la table, y compris par exemple les ‘obligations vertes’, a été bien accueilli ».
  • Du côté d’Ecolo, avec le vice-premier ministre Gilkinet, il y a beaucoup plus de triomphalisme dans La Libre ce matin. « Au final, il ne s’agit que de repousser de dix ans la fermeture de deux centrales. Notre objectif n’a jamais été de fermer l’ensemble du parc nucléaire », affirme-t-il sans sourciller. C’est bien différent de tout ce que préconisait Ecolo en 2020, en posant comme condition stricte la fermeture des centrales nucléaires, avant de se lancer dans la Vivaldi.
  • Le vice-premier ministre a bien du mal à justifier aussi la construction de deux centrales au gaz, qui cristallise aussi un certain nombre de tensions, y compris parmi les associations environnementales. Après tout, il s’agit de plusieurs milliards d’investissements dans une énergie fossile: « Avec la guerre en Ukraine, il était plus prudent de répartir notre production d’électricité sur plusieurs sources. En outre, le nouveau plan d’investissement de 1,2 milliard d’euros dans la transition énergétique va augmenter l’électrification de notre société, notamment via le soutien aux pompes à chaleur. Enfin, la moindre disponibilité du parc nucléaire français va rendre plus difficiles les importations d’électricité en provenance de France. » L’écologiste se réfugie derrière le rapport d’Elia qui pointe du doigt ce dernier point.
  • Du côté du coprésident d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, sur LN24, on tentait même d’inverser les rôles: « Je comprends bien l’énorme déception de Georges-Louis Bouchez. Il voulait maintenir au moins 5 réacteurs, l’accord dit: on en ferme 5 et on en maintient peut-être 2. C’est l’accord, il doit commencer à accepter les accords »

Ce que cela signifie maintenant pour la coalition fédérale : la confiance demeure entre Verts et l’Open Vld. Bouchez reste le fauteur de trouble.

  • Tout le week-end et même encore aujourd’hui, le MR savoure sa victoire politique. Le fait que le changement de cap sur le nucléaire soit davantage le résultat de la guerre en Ukraine que des aboiements incessants du président du MR est sans importance pour ce dernier. Mais son attitude suscite systématiquement le rejet : « Bouchez est et restera le fauteur de trouble de cette coalition. Tout le monde autour de la table en est conscient », nous explique un vice-premier ministre.
  • Le fait que le MR et la N-VA forment systématiquement un tandem dans ce dossier est devenu presque embarrassant pour les nationalistes flamands. Le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA) a également critiqué l’accord ce week-end : « Je ne comprends pas vraiment pourquoi il ne doit s’agir que de deux réacteurs nucléaires, et je ne comprends pas non plus pourquoi l’accord ne porte que sur dix ans si nous réalisons tous ces investissements. Un meilleur accord était possible ».
  • Au sein de la Vivaldi, le comportement du MR, même après l’accord, irrite au plus haut point, qui plus est avec cette nouvelle proposition de loi de Marie-Christine Marghem: « Le MR se perd avec un tel comportement. Plus personne ne veut avoir à faire à un tel amateur », tacle un participant. « Un comportement totalement déloyal », dit une autre source. Nos deux interlocuteurs ne sont pas des Verts : l’irritation est beaucoup plus large.
  • Ce qui est frappant par contre, c’est le langage apaisé entre les libéraux flamands et les Verts ce matin. Le fait que De Croo ne se soit pas engagé dans la voie des 8 milliards n’a pas surpris les Verts. « Le Premier ministre a fait son travail. Alexander a dû garder son portefeuille fermé, c’est son travail de Premier ministre. Mais en même temps, lui et Tinne vont mener les négociations avec Engie. Pour que personne ne puisse nous accuser de sabotage si les choses tournent mal. »
  • Et en Engie, Groen et Open Vld ont apparemment trouvé l’ennemi commun. Car il faudra tordre le bras des Français pour que les centrales restent ouvertes. En décembre, Engie a répété que Doel 4 et Tihange 3 seraient également fermées définitivement.
  • Le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, qui s’était d’abord prononcé pour le maintien des centrales, puis pour leur fermeture, et à nouveau pour leur maintien, s’est soudainement montré menaçant à l’égard d’Engie : « Nous n’allons pas laisser une multinationale dicter sa loi dans notre marché de l’énergie », a déclaré le leader libéral. « Nous disposons d’un certain nombre de moyens juridiques autour de la sécurité nationale et de l’ordre public pour obliger un opérateur à faire certaines choses. Nous devrons prendre des mesures inamicales. » Une formation de front, donc, avec les Verts.
  • Joachim Coens (CD&V) est également intervenu, ce matin sur Radio 1 : « Engie aura ses exigences, mais ils seront demandeurs. Ils se rendent compte que le monde a changé, notamment avec la fermeture de leur gazoduc Nord Stream 2 ».
  • Le président du CD&V a aussi touché un mot sur le futur du nucléaire: « Nous pouvons maintenant passer à d’autres formes, avec la quatrième génération de centrales nucléaires. » Le CD&V, comme l’Open Vld, n’a manifestement pas perdu l’espoir de donner un futur à l’énergie nucléaire, ce qui n’est évidemment pas la vision des Verts à long terme.
  • Mais qu’ils le veuillent ou non, le débat sur le nucléaire continuera à faire rage. Parce que Groen et Ecolo se sont battus pour ne pas supprimer la loi sur la sortie du nucléaire, mais simplement pour repousser la date butoir. Ainsi, en 2035, il sera toujours interdit d’exploiter des centrales nucléaires dans ce pays, à moins de trouver une majorité pour revenir en arrière, sans les Verts.

Ailleurs : Les Verts allemands attaquent la Vivaldi.

  • La ministre allemande de l’Énergie, Steffi Lemke, réagit négativement à la décision belge. Ces derniers jours, les Verts allemands ont également semblé ouvrir la porte à une prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires. Mais Lemke a refermé cette porte dans la foulée : « Une petite contribution à l’approvisionnement énergétique comporterait des risques économiques, juridiques et de sécurité importants. Ce serait imprudent et injustifiable », a-t-elle déclaré aux médias allemands.
  • Immédiatement, les Allemands ont également fait appel à leurs ressources juridiques : ils ont exigé un rapport transfrontalier sur les incidences environnementales. Il s’agit d’une obligation légale et, comme l’Allemagne est relativement proche de Doel et de Tihange, la population doit également être consultée.
  • « Il est certain qu’en période de crise comme celle-ci, je ne trouve pas défendable une prolongation de la durée de vie pour des raisons de sécurité d’approvisionnement. Cela pourrait nous rendre encore plus vulnérables », a encore martelé M. Lemke à propos de la décision belge.
  • Groen tente une explication : « La décision allemande de ne pas prolonger a plus à voir avec des détails techniques. Toutes leurs centrales nucléaires sont de plus ancienne génération. Il était tout simplement impossible de les prolonger. La discussion, là-bas, était donc plus facile. »
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