Groen et Ecolo se préparent au virage le plus difficile pour eux depuis le début de la législation : les centrales nucléaires resteront ouvertes. Il est question d’une prolongation de 10 ans pour au moins deux réacteurs, Doel 4 et de Tihange 3. C’est ce qui ressort d’une note présentée par la ministre Tinne Van der Straeten (Groen). Dans la rue de la Loi, on appelle cyniquement cette note « le catalogue vert », car elle contient une collection de compensations qui coûteront pas moins de 8 milliards d’euros au total jusqu’en 2024. Le projet de loi, qui fuit de partout dans la presse, place donc la barre particulièrement haut en faveur des Verts. Mais de cette manière, les écologistes semblent organiser leur propre défaite. Car tout indique désormais qu’ils ne sont plus prêts à quitter le gouvernement en dernier recours. Demain promet donc d’être une longue journée pour eux.
Dans l’actualité : « Il faut arrêter d’enrichir la Russie en achetant tant de gaz, de pétrole et d’uranium », crie sur tous les toits Georges Gilkinet, vice-premier ministre d’Ecolo.
Les détails : « Le lundi, ils ont demandé 1 milliard, et au final ils ont obtenu 13 millions. Qu’est-ce que ça signifie pour vendredi selon vous ? », nous glisse-t-on dans les couloirs de la rue de la Loi.
- « Hoe Groen Poetin een loer wil draaien« , titre De Standaard, à propos du catalogue vert que Van der Straeten a présenté au sein du comité ministériel restreint. Ce n’est pas la première fois que le journal reprend la rhétorique des Verts, qui ont clairement choisi comme cible le président russe et ses revenus issus des énergies fossiles.
- « L’indépendance énergétique est une question de sécurité nationale et la guerre nous oblige à accélérer. Chaque euro que nous investissons signifie moins de dépendance vis-à-vis de Poutine », a tweeté hier la vice-première ministre verte Petra De Sutter.
- Dans La Libre de ce matin, Ecolo, par la voix du vice-premier ministre Gilkinet, reprend ce raisonnement : « La guerre en Ukraine montre que nous devons encore accélérer notre transition énergétique, pour mettre fin le plus rapidement possible à notre dépendance aux énergies fossiles. Nous ne pouvons pas continuer à enrichir la Russie. »
- Pourtant, il n’y a pas si longtemps, quand certains critiquaient le choix des Verts de se porter sur les centrales au gaz plutôt que le nucléaire, ils criaient haut et fort que nous ne dépendions que très peu du gaz russe.
- Soit. La guerre et la flambée des prix montrent clairement aujourd’hui que les importations de combustibles fossiles sont un phénomène macro-économique, que la Belgique n’y échappe pas, et qu’il est effectivement préférable de limiter notre dépendance à un seul pays.
- Mais il reste à savoir si ce raisonnement suffira à convaincre les partenaires de la coalition demain, lors de l’évaluation des propositions que Van der Straeten a déjà présentées au sein du kern lundi.
- La discussion tant attendue sur la sortie du nucléaire y est à l’ordre du jour. Une sortie de facto entérinée lors de l’écriture de l’accord de coalition de la Vivaldi en septembre 2020. C’était d’ailleurs la condition d’entrée des Verts et surtout d’Ecolo pour rejoindre la coalition fédérale. Mais pour éviter que le MR ne perde la face, la porte est restée un tout petit peu ouverte pour une prolongation, principalement de manière symbolique.
- Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a fait des pieds et des mains pendant des mois en 2021 pour empêcher que cette porte ne se referme, ce que le reste de la coalition voulait. La crise énergétique, aggravée par la guerre en Ukraine, a tout fait basculer.
- Sur la question de fond, tout le monde semble avoir tranché : deux réacteurs resteront ouverts. « Compte tenu de la forte dépendance à l’égard des combustibles fossiles et des tensions géopolitiques qui rendent les prix très volatils, on examine si et dans quelles conditions une capacité nucléaire allant jusqu’à 2 GW, en particulier Doel 4 et/ou Tihange 3, pourrait être prolongée pour une période de 10 ans. Des discussions à ce sujet sont engagées avec l’exploitant nucléaire et avec la Commission européenne », écrit la ministre de l’Énergie dans sa note. La porte n’est donc plus entrouverte, elle est grande ouverte.
L’essentiel : que demandent exactement Groen et Ecolo en échange du maintien en activité des deux réacteurs nucléaires ?
- Depuis lundi, date à laquelle elle a fait surface dans les cercles gouvernementaux, la note a été appelée avec un certain mépris « le catalogue vert » par plusieurs partenaires. Il s’agit plus d’une liste de souhaits que d’une véritable offre de négociation, entend-on.
- Car ces propositions étaient déjà sur la table ce lundi, lorsque Vivaldi a approuvé un plan à 1,3 milliard de mesures de soutien, principalement en faveur de l’utilisation des combustibles fossiles. « On ne l’a même pas regardé », a déclaré un dirigeant de parti de la Vivaldi. « Ça dit tout, non? »
- On note également dans les milieux gouvernementaux que les Verts ont demandé lundi plus d’un milliard de compensations. « Cela a abouti à 13 millions d’euros, un paquet supplémentaire pour la SNCB. Je sais compter autant que vous. Pour eux, ça n’est pas un bon présage pour vendredi. »
- À quoi ressemble la liste ?
- Investissements ferroviaires : 1,2 milliard d’euros.
- Écologisation des transports : 187 millions d’euros.
- Accélération du déploiement des énergies renouvelables et des économies d’énergie : 1,04 milliard d’euros.
- Écologisation des biens publics (SNCB, Défense, Régie) : 1,3 milliard d’euros.
- Production propre d’énergie renouvelable (éolien principalement) : 2,1 milliards d’euros.
- Développement de la chaîne d’importation d’hydrogène vert : 2,2 milliards d’euros.
- Il y a aussi un calendrier, car le total de 8 milliards d’euros d’investissements devrait encore suivre dans cette législature. 2,1 milliards déjà cette année, 3,8 milliards l’année prochaine, et en 2024 encore 2,1 milliards.
- En revanche, des « revenus substantiels » sont attendus d’ici 2030 :
- La Belgique produirait alors 40 térawattheures, soit près de 50 % de la production actuelle, d’énergie renouvelable supplémentaire.
- Dans le même temps, plus de 75 térawattheures de combustibles fossiles seraient économisés, soit 20 % de la consommation actuelle.
- Selon les Verts, cela permettrait d’économiser 8,5 milliards d’euros en gaz, 1 milliard d’euros en pétrole et 18 millions de tonnes d’émissions de CO2, soit 1,4 milliard d’euros d’économies.
La vue d’ensemble : La vraie question dans les négociations est de savoir quel est le moyen de pression dont les écologistes disposent. Ecolo et Groen ne veulent pas quitter le gouvernement…
- Que les Verts veuillent vendre chèrement leur peau n’est pas illogique : en inversant la sortie du nucléaire, ils perdent leur plus grand marqueur dans la Vivaldi.
- D’ailleurs, les détails de cette bataille n’ont pas encore été réglés : le MR fait pression pour maintenir plus de deux réacteurs ouverts, et pour empêcher à tout prix la construction de nouvelles centrales à gaz, en s’appuyant sur les conseils de la CREG, l’organisme de surveillance de l’énergie, qui souhaite réduire notre dépendance au gaz. D’un point de vue politique, ces centrales à gaz sont donc extrêmement difficiles dans le contexte actuel.
- Cela signifierait également l’abandon du système complexe de subventions CRM, sur lequel Van der Straeten a travaillé jour et nuit. C’est une pilule dure à avaler, tout comme l’abandon de toutes les centrales au gaz, dont Groen a toujours dit qu’elles étaient nécessaires, même en cas de prolongation de certains réacteurs.
- D’ailleurs, la centrale de Vilvorde d’Engie n’a finalement pas reçu son permis à temps, mais la Vivaldi peut se tourner vers les déçus de la première enchère avec la centrale de Luminus à Seraing ou celle d’Eneco à Manage, en plus de celle d’Engie aux Awirs.
- Demain sera dans tous les cas une journée difficile pour Van der Straeten et co. Et les partenaires de la coalition pointent déjà du doigt une déclaration politique que la vice-première ministre De Sutter a faite fin février dans De Tijd : « Il serait irresponsable de dire maintenant : nous démissionnons », lisait-on à la une d’une interview dans laquelle la vice-première ministre a montré que les écologistes ne feront pas tomber le gouvernement.
- « Les Verts sont coincés dans cette coalition, ils ne peuvent pas en sortir. Alors, qu’avons-nous à craindre ? », commente pour nous un partenaire de la coalition. Ambiance.